Intervention de Didier Migaud

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 26 septembre 2018 à 15h00
Audition de M. Didier Migaud président du haut conseil des finances publiques sur l'avis du haut conseil relatif aux projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019

Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques :

Pour vous présenter les principales conclusions de l'avis du Haut Conseil des finances publiques, je suis accompagné de François Monier, rapporteur général, de Vianney Bourquard, rapporteur général adjoint, et de Vladimir Borgy, rapporteur. Comme vous le savez, le Haut Conseil se prononce sur les prévisions macroéconomiques présentées par le Gouvernement à l'occasion du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 ainsi que sur la cohérence de ces projets avec les orientations pluriannuelles de solde structurel. Nous nous appuyons sur les prévisions d'organismes tels que la Commission européenne, le FMI, l'OCDE et sollicitons des prévisionnistes nationaux comme l'Insee, la Banque de France ou encore l'Observatoire français des conjonctures économiques.

J'aborderai en premier lieu le contexte macroéconomique. Ces derniers mois, la croissance mondiale s'est infléchie légèrement en Europe et au Japon, plus fortement dans certains pays émergents ; à l'inverse, elle s'est affermie aux États-Unis. S'agissant de la zone euro, la croissance économique est passée d'un rythme trimestriel de 0,7 % en 2017 à 0,4 % au 1er semestre 2018. Cette tendance reflète un environnement international moins favorable depuis l'été 2017. Les causes sont multiples : la hausse des prix du pétrole, l'appréciation de l'euro, l'accroissement des incertitudes commerciales, etc. Le climat des affaires s'est ainsi replié au cours du 1er semestre 2018. Plusieurs paramètres d'activité demeurent positifs : le climat des affaires reste supérieur à sa moyenne observée sur une longue période, la croissance européenne bénéficie de l'orientation favorable de la politique monétaire, ainsi que des effets bénéfiques de politiques budgétaires légèrement expansionnistes. La croissance de la zone euro devrait donc à l'avenir se stabiliser.

J'en viens à la situation de la France. Le ralentissement de l'activité économique française observé au début de l'année 2018 a été plus prononcé que celui de la moyenne de la zone euro. Cet écart tient essentiellement à la consommation des ménages. Le calendrier des mesures fiscales nouvelles a pu peser au cours du premier trimestre sur le pouvoir d'achat des ménages. D'autres facteurs temporaires, comme les grèves dans le secteur des transports, peuvent aussi expliquer ce ralentissement.

Le contexte international est marqué par des incertitudes élevées. Les risques économiques sont multiples : montée des tensions commerciales, résultats des négociations sur le Brexit, situation de l'Italie, déséquilibres financiers en Chine, fragilité de plusieurs pays émergents - Turquie, Argentine, Afrique du Sud, Brésil. Le déséquilibre budgétaire américain et le relèvement des tarifs douaniers pourraient provoquer une accélération de l'inflation. Enfin, le poids élevé de l'endettement public et privé dans de nombreux pays fait peser un risque supplémentaire sur la croissance mondiale.

J'en arrive aux observations formulées par le Haut Conseil sur le scénario présenté par le Gouvernement.

La prévision de croissance 2018 dans le projet de loi de finances pour 2019 est de 1,7 %, identique à celle retenue dans le projet de loi de finances pour 2018, mais inférieure à celle formulée dans le programme de stabilité. Compte tenu de l'acquis de croissance au deuxième trimestre 2018, estimé à 1,3 %, une croissance de 1,7 % en moyenne annuelle suppose une accélération de l'activité d'ici à la fin de l'année d'au moins 0,5 % par trimestre. La production industrielle de juillet et les dernières enquêtes de conjoncture permettent d'anticiper une remontée du taux de croissance au troisième trimestre 2018. Le Haut Conseil juge crédible la prévision de croissance du Gouvernement, en ligne avec celle des organisations internationales et des instituts de conjoncture. S'agissant de la croissance en 2019, qui s'élèverait à 1,7 %, là encore en ligne avec la moyenne des prévisions disponibles, le Haut Conseil considère que les hypothèses retenues par le Gouvernement quant à l'évolution de la demande des ménages et des entreprises sont plausibles. Il note toutefois que cette prévision est affectée d'un degré d'incertitude plus élevé que les années précédentes.

Les prévisions d'emploi et de masse salariale pour 2018 sont cohérentes avec les informations disponibles. Pour 2019, les prévisions sont plausibles. La masse salariale des branches marchandes non agricoles augmenterait de 3,5 % en 2018 et en 2019. La croissance de l'emploi s'affaiblirait progressivement jusqu'en 2019. La prévision de masse salariale pour 2018 est revue à la baisse par rapport au programme de stabilité pour tenir compte des données d'activité du 1er semestre 2018. Enfin, la hausse des prix à la consommation anticipée dans le projet de loi de finances pour 2019 serait de 1,8 %.

L'inflation serait sensiblement plus élevée que le niveau prévu l'année dernière - 1,8 % contre 1,1 % -, pour l'essentiel en raison de l'évolution des prix de l'énergie. L'inflation sous-jacente, hors prix volatils, se redresserait progressivement de 0,4 % en 2017 à 0,9 % en 2018, soutenue par une remontée des prix des services liée à celle des salaires. Cette prévision est cohérente avec les indices des prix constatés jusqu'en août 2018, avec l'hypothèse d'une stabilisation du prix du pétrole à 73 dollars. La prévision d'inflation formulée par le Gouvernement pour 2019 est de 1,4 %, anticipant une baisse de l'inflation par rapport à 2018 du fait d'une moindre contribution des prix de l'énergie et des tarifs administrés. L'inflation sous-jacente continuerait de remonter sans refléter totalement l'accélération des salaires. Ces prévisions pour 2018 et 2019 sont légèrement inférieures aux moyennes du Consensus Forecasts de septembre, mais le Haut Conseil considère qu'elles sont raisonnables.

J'en viens aux observations formulées par le Haut Conseil sur les prévisions de finances publiques, dont je tiens à souligner le caractère particulièrement complexe pour les années 2017 à 2019. D'une part, l'Insee a révisé les comptes des administrations publiques pour intégrer notamment le reclassement de SNCF Réseau et la recapitalisation d'Orano, ex-Areva ; il en résulte une dégradation du déficit public nominal et du déficit structurel de 3,2 milliards d'euros en 2016 et de 1,9 milliard d'euros en 2017. Les déficits de 2018 et de 2019 ne sont affectés que de manière marginale. L'impact négatif du reclassement de SNCF Réseau serait presque compensé par les améliorations observées s'agissant des administrations de sécurité sociale et du compte d'affectation spéciale « Transition énergétique ».

D'autre part, les années 2017 à 2019 sont marquées par deux opérations budgétaires exceptionnelles de grande ampleur : le remboursement de la taxe de 3 % sur les dividendes en 2017 et en 2018 à la suite de son invalidation par le Conseil constitutionnel et sa compensation sur la seule année 2017 par une surtaxe exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés, qui représente 0,2 point de PIB en 2018 ; la transformation du CICE en baisse de cotisations au 1er janvier 2019, qui représente 0,9 point de PIB en 2019. Si on les neutralisait, le scénario d'évolution des finances publiques induirait une réduction du déficit public d'environ 0,3 point en 2018 et 0,5 point en 2019, se partageant entre une amélioration de la composante conjoncturelle et du solde structurel.

J'en viens à notre appréciation sur les prévisions de recettes et de dépenses. S'agissant des recettes, les prévisions pour l'année 2018 sont en ligne avec les informations dont nous disposons. Les recettes fiscales nettes de l'État, en particulier, sont cohérentes avec les encaissements à ce stade de l'année. Le Gouvernement retient une élasticité des prélèvements obligatoires au PIB de 1,1 en 2018, unitaire en 2019. Au total, pour 2018 et 2019, le Haut Conseil considère que les prévisions de prélèvements obligatoires sont réalistes.

L'augmentation globale des dépenses présentées dans le projet de loi de finances hors crédits d'impôt pour 2018 est de 1,6 % en valeur, nulle en volume. En 2019, hors crédits d'impôt et opérations exceptionnelles, elle s'élève à 1,9 % en valeur et 0,6 % en volume.

Le Haut Conseil relève une budgétisation plus réaliste de certaines dépenses de l'État, notamment des OPEX, mais les risques de tension nécessiteront une exécution rigoureuse. Les dépenses des administrations de sécurité sociale diminueraient de 1,8 % en 2019 par rapport à 2018. Les dépenses de retraite et de certaines prestations sociales, hors minima sociaux, seraient modérées par une revalorisation de 0,3 %, inférieure à l'inflation.

Enfin, les dépenses des administrations publiques locales augmenteraient en 2018 et en 2019 de 2,3 %, contre 2,5 % en 2017. La capacité de financement des administrations publiques locales continuerait donc à progresser. Le Gouvernement fait l'hypothèse du respect en 2018 comme en 2019 de l'objectif d'évolution de la dépense locale de fonctionnement. Les informations disponibles indiquent une évolution modérée de la dépense locale de fonctionnement en 2018 ; une incertitude demeure concernant la vigueur de l'investissement local en 2018 et en 2019 dans une phase haute du cycle électoral.

En résumé, la prévision de dépenses repose sur des efforts de maîtrise de la part de l'ensemble des administrations - État, sécurité sociale, collectivités territoriales - pour 2018 comme pour 2019. Le Haut Conseil estime que cette perspective d'évolution est atteignable. Le déficit public retenu pour l'année 2019 est plausible, compte tenu du scénario macroéconomique et des baisses de prélèvements. Notre appréciation repose néanmoins sur la stricte tenue de la trajectoire de dépenses.

J'en viens à la cohérence des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale avec les orientations pluriannuelles de solde structurel. Les prévisions de solde structurel ne font pas apparaître un écart important, 0,5 %, par rapport à la trajectoire de la loi de programmation pour les annt/20172018-2018">ées 2018 à 2022. L'ajustement structurel s'élève à 0,1 point de PIB en 2018 et à 0,3 point de PIB en 2019. L'effort structurel serait nut/20172018-2018">l en 2018 et de 0,3 point de PIB en 2019. Le Gouvernement n'a pas comptabilisé en opération ponctuelle la mesure d'augmentation prévue en 2019 du cinquième acompte d'impôt sur les sociétés dont le rendement est estimé à 1,5 milliard d'euros, et donc considérée comme contribuant à l'amélioration du solde structurel. Le Haut Conseil estime qu'il serait logique de la classer en opération ponctuelle et temporaire. Si tel était le cas, le déficit structurel serait minoré de l'ordre de 0,1 point de PIB en 2019, et donc plus proche de 0,2 point. Même ainsi revu à la hausse, l'écart ne serait pas important au sens de l'article 23 de la loi organique. Il souligne néanmoins que les ajustements structurels prévus pour 2018 et 2019 qui seront soumis à l'appréciation de la Commission sont inférieurs au minimum de 0,5 point par an prévu dans le volet préventif du pacte de stabilité.

Le déficit public nominal resterait proche de 3 points de PIB à l'horizon 2019. Une fois neutralisé l'impact de la transformation du CICE en baisse de cotisations, le déficit nominal se réduirait sensiblement, mais cette réduction serait due pour plus de la moitié à la conjoncture économique favorable. Le déficit structurel de la France s'établit à 2,2 points de PIB en 2018, alors qu'il est en moyenne de 0,5 point dans les pays membres de la zone euro. Comme vous le savez, la France se situe désormais dans le volet préventif du pacte de stabilité et de croissance et reste loin de son objectif de moyen terme fixé à moins 0,4 point de PIB. Par ailleurs, elle n'aurait pas encore amorcé la réduction de son ratio d'endettement, à la différence de la quasi-totalité des pays européens.

Malgré une certaine amélioration, la situation de nos finances publiques constitue une fragilité de notre économie. Avec une dette approchant les 100 points de PIB, qui a progressé de plus de 30 points depuis la crise de 2008, la France ne dispose que de marges de manoeuvre limitées pour faire face à un éventuel fort ralentissement de l'activité économique, alors que le contexte international est marqué par des incertitudes élevées.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion