Nous recevons Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques, pour nous présenter l'avis relatif aux projets de loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale pour 2019. Nous disposerons ainsi d'informations complémentaires sur la manière dont il a été élaboré et les données macroéconomiques sur lesquelles il s'appuie. L'avis du Haut Conseil est important pour éclairer la représentation nationale sur la sincérité du projet de loi de finances et la crédibilité de notre trajectoire budgétaire, au regard notamment de nos engagements européens.
Pour vous présenter les principales conclusions de l'avis du Haut Conseil des finances publiques, je suis accompagné de François Monier, rapporteur général, de Vianney Bourquard, rapporteur général adjoint, et de Vladimir Borgy, rapporteur. Comme vous le savez, le Haut Conseil se prononce sur les prévisions macroéconomiques présentées par le Gouvernement à l'occasion du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 ainsi que sur la cohérence de ces projets avec les orientations pluriannuelles de solde structurel. Nous nous appuyons sur les prévisions d'organismes tels que la Commission européenne, le FMI, l'OCDE et sollicitons des prévisionnistes nationaux comme l'Insee, la Banque de France ou encore l'Observatoire français des conjonctures économiques.
J'aborderai en premier lieu le contexte macroéconomique. Ces derniers mois, la croissance mondiale s'est infléchie légèrement en Europe et au Japon, plus fortement dans certains pays émergents ; à l'inverse, elle s'est affermie aux États-Unis. S'agissant de la zone euro, la croissance économique est passée d'un rythme trimestriel de 0,7 % en 2017 à 0,4 % au 1er semestre 2018. Cette tendance reflète un environnement international moins favorable depuis l'été 2017. Les causes sont multiples : la hausse des prix du pétrole, l'appréciation de l'euro, l'accroissement des incertitudes commerciales, etc. Le climat des affaires s'est ainsi replié au cours du 1er semestre 2018. Plusieurs paramètres d'activité demeurent positifs : le climat des affaires reste supérieur à sa moyenne observée sur une longue période, la croissance européenne bénéficie de l'orientation favorable de la politique monétaire, ainsi que des effets bénéfiques de politiques budgétaires légèrement expansionnistes. La croissance de la zone euro devrait donc à l'avenir se stabiliser.
J'en viens à la situation de la France. Le ralentissement de l'activité économique française observé au début de l'année 2018 a été plus prononcé que celui de la moyenne de la zone euro. Cet écart tient essentiellement à la consommation des ménages. Le calendrier des mesures fiscales nouvelles a pu peser au cours du premier trimestre sur le pouvoir d'achat des ménages. D'autres facteurs temporaires, comme les grèves dans le secteur des transports, peuvent aussi expliquer ce ralentissement.
Le contexte international est marqué par des incertitudes élevées. Les risques économiques sont multiples : montée des tensions commerciales, résultats des négociations sur le Brexit, situation de l'Italie, déséquilibres financiers en Chine, fragilité de plusieurs pays émergents - Turquie, Argentine, Afrique du Sud, Brésil. Le déséquilibre budgétaire américain et le relèvement des tarifs douaniers pourraient provoquer une accélération de l'inflation. Enfin, le poids élevé de l'endettement public et privé dans de nombreux pays fait peser un risque supplémentaire sur la croissance mondiale.
J'en arrive aux observations formulées par le Haut Conseil sur le scénario présenté par le Gouvernement.
La prévision de croissance 2018 dans le projet de loi de finances pour 2019 est de 1,7 %, identique à celle retenue dans le projet de loi de finances pour 2018, mais inférieure à celle formulée dans le programme de stabilité. Compte tenu de l'acquis de croissance au deuxième trimestre 2018, estimé à 1,3 %, une croissance de 1,7 % en moyenne annuelle suppose une accélération de l'activité d'ici à la fin de l'année d'au moins 0,5 % par trimestre. La production industrielle de juillet et les dernières enquêtes de conjoncture permettent d'anticiper une remontée du taux de croissance au troisième trimestre 2018. Le Haut Conseil juge crédible la prévision de croissance du Gouvernement, en ligne avec celle des organisations internationales et des instituts de conjoncture. S'agissant de la croissance en 2019, qui s'élèverait à 1,7 %, là encore en ligne avec la moyenne des prévisions disponibles, le Haut Conseil considère que les hypothèses retenues par le Gouvernement quant à l'évolution de la demande des ménages et des entreprises sont plausibles. Il note toutefois que cette prévision est affectée d'un degré d'incertitude plus élevé que les années précédentes.
Les prévisions d'emploi et de masse salariale pour 2018 sont cohérentes avec les informations disponibles. Pour 2019, les prévisions sont plausibles. La masse salariale des branches marchandes non agricoles augmenterait de 3,5 % en 2018 et en 2019. La croissance de l'emploi s'affaiblirait progressivement jusqu'en 2019. La prévision de masse salariale pour 2018 est revue à la baisse par rapport au programme de stabilité pour tenir compte des données d'activité du 1er semestre 2018. Enfin, la hausse des prix à la consommation anticipée dans le projet de loi de finances pour 2019 serait de 1,8 %.
L'inflation serait sensiblement plus élevée que le niveau prévu l'année dernière - 1,8 % contre 1,1 % -, pour l'essentiel en raison de l'évolution des prix de l'énergie. L'inflation sous-jacente, hors prix volatils, se redresserait progressivement de 0,4 % en 2017 à 0,9 % en 2018, soutenue par une remontée des prix des services liée à celle des salaires. Cette prévision est cohérente avec les indices des prix constatés jusqu'en août 2018, avec l'hypothèse d'une stabilisation du prix du pétrole à 73 dollars. La prévision d'inflation formulée par le Gouvernement pour 2019 est de 1,4 %, anticipant une baisse de l'inflation par rapport à 2018 du fait d'une moindre contribution des prix de l'énergie et des tarifs administrés. L'inflation sous-jacente continuerait de remonter sans refléter totalement l'accélération des salaires. Ces prévisions pour 2018 et 2019 sont légèrement inférieures aux moyennes du Consensus Forecasts de septembre, mais le Haut Conseil considère qu'elles sont raisonnables.
J'en viens aux observations formulées par le Haut Conseil sur les prévisions de finances publiques, dont je tiens à souligner le caractère particulièrement complexe pour les années 2017 à 2019. D'une part, l'Insee a révisé les comptes des administrations publiques pour intégrer notamment le reclassement de SNCF Réseau et la recapitalisation d'Orano, ex-Areva ; il en résulte une dégradation du déficit public nominal et du déficit structurel de 3,2 milliards d'euros en 2016 et de 1,9 milliard d'euros en 2017. Les déficits de 2018 et de 2019 ne sont affectés que de manière marginale. L'impact négatif du reclassement de SNCF Réseau serait presque compensé par les améliorations observées s'agissant des administrations de sécurité sociale et du compte d'affectation spéciale « Transition énergétique ».
D'autre part, les années 2017 à 2019 sont marquées par deux opérations budgétaires exceptionnelles de grande ampleur : le remboursement de la taxe de 3 % sur les dividendes en 2017 et en 2018 à la suite de son invalidation par le Conseil constitutionnel et sa compensation sur la seule année 2017 par une surtaxe exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés, qui représente 0,2 point de PIB en 2018 ; la transformation du CICE en baisse de cotisations au 1er janvier 2019, qui représente 0,9 point de PIB en 2019. Si on les neutralisait, le scénario d'évolution des finances publiques induirait une réduction du déficit public d'environ 0,3 point en 2018 et 0,5 point en 2019, se partageant entre une amélioration de la composante conjoncturelle et du solde structurel.
J'en viens à notre appréciation sur les prévisions de recettes et de dépenses. S'agissant des recettes, les prévisions pour l'année 2018 sont en ligne avec les informations dont nous disposons. Les recettes fiscales nettes de l'État, en particulier, sont cohérentes avec les encaissements à ce stade de l'année. Le Gouvernement retient une élasticité des prélèvements obligatoires au PIB de 1,1 en 2018, unitaire en 2019. Au total, pour 2018 et 2019, le Haut Conseil considère que les prévisions de prélèvements obligatoires sont réalistes.
L'augmentation globale des dépenses présentées dans le projet de loi de finances hors crédits d'impôt pour 2018 est de 1,6 % en valeur, nulle en volume. En 2019, hors crédits d'impôt et opérations exceptionnelles, elle s'élève à 1,9 % en valeur et 0,6 % en volume.
Le Haut Conseil relève une budgétisation plus réaliste de certaines dépenses de l'État, notamment des OPEX, mais les risques de tension nécessiteront une exécution rigoureuse. Les dépenses des administrations de sécurité sociale diminueraient de 1,8 % en 2019 par rapport à 2018. Les dépenses de retraite et de certaines prestations sociales, hors minima sociaux, seraient modérées par une revalorisation de 0,3 %, inférieure à l'inflation.
Enfin, les dépenses des administrations publiques locales augmenteraient en 2018 et en 2019 de 2,3 %, contre 2,5 % en 2017. La capacité de financement des administrations publiques locales continuerait donc à progresser. Le Gouvernement fait l'hypothèse du respect en 2018 comme en 2019 de l'objectif d'évolution de la dépense locale de fonctionnement. Les informations disponibles indiquent une évolution modérée de la dépense locale de fonctionnement en 2018 ; une incertitude demeure concernant la vigueur de l'investissement local en 2018 et en 2019 dans une phase haute du cycle électoral.
En résumé, la prévision de dépenses repose sur des efforts de maîtrise de la part de l'ensemble des administrations - État, sécurité sociale, collectivités territoriales - pour 2018 comme pour 2019. Le Haut Conseil estime que cette perspective d'évolution est atteignable. Le déficit public retenu pour l'année 2019 est plausible, compte tenu du scénario macroéconomique et des baisses de prélèvements. Notre appréciation repose néanmoins sur la stricte tenue de la trajectoire de dépenses.
J'en viens à la cohérence des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale avec les orientations pluriannuelles de solde structurel. Les prévisions de solde structurel ne font pas apparaître un écart important, 0,5 %, par rapport à la trajectoire de la loi de programmation pour les annt/20172018-2018">ées 2018 à 2022. L'ajustement structurel s'élève à 0,1 point de PIB en 2018 et à 0,3 point de PIB en 2019. L'effort structurel serait nut/20172018-2018">l en 2018 et de 0,3 point de PIB en 2019. Le Gouvernement n'a pas comptabilisé en opération ponctuelle la mesure d'augmentation prévue en 2019 du cinquième acompte d'impôt sur les sociétés dont le rendement est estimé à 1,5 milliard d'euros, et donc considérée comme contribuant à l'amélioration du solde structurel. Le Haut Conseil estime qu'il serait logique de la classer en opération ponctuelle et temporaire. Si tel était le cas, le déficit structurel serait minoré de l'ordre de 0,1 point de PIB en 2019, et donc plus proche de 0,2 point. Même ainsi revu à la hausse, l'écart ne serait pas important au sens de l'article 23 de la loi organique. Il souligne néanmoins que les ajustements structurels prévus pour 2018 et 2019 qui seront soumis à l'appréciation de la Commission sont inférieurs au minimum de 0,5 point par an prévu dans le volet préventif du pacte de stabilité.
Le déficit public nominal resterait proche de 3 points de PIB à l'horizon 2019. Une fois neutralisé l'impact de la transformation du CICE en baisse de cotisations, le déficit nominal se réduirait sensiblement, mais cette réduction serait due pour plus de la moitié à la conjoncture économique favorable. Le déficit structurel de la France s'établit à 2,2 points de PIB en 2018, alors qu'il est en moyenne de 0,5 point dans les pays membres de la zone euro. Comme vous le savez, la France se situe désormais dans le volet préventif du pacte de stabilité et de croissance et reste loin de son objectif de moyen terme fixé à moins 0,4 point de PIB. Par ailleurs, elle n'aurait pas encore amorcé la réduction de son ratio d'endettement, à la différence de la quasi-totalité des pays européens.
Malgré une certaine amélioration, la situation de nos finances publiques constitue une fragilité de notre économie. Avec une dette approchant les 100 points de PIB, qui a progressé de plus de 30 points depuis la crise de 2008, la France ne dispose que de marges de manoeuvre limitées pour faire face à un éventuel fort ralentissement de l'activité économique, alors que le contexte international est marqué par des incertitudes élevées.
Le Haut Conseil relève que la prévision de croissance s'inscrit dans un contexte international marqué par des incertitudes particulièrement élevées : pourriez-vous quantifier ces incertitudes en nous donnant par exemple un ordre de grandeur de ce que pourrait être la croissance dans un contexte défavorable ?
Le ralentissement de la croissance a été deux fois plus prononcé en France que dans le reste de la zone euro au premier semestre. Vous soulignez que cela est sans doute lié à la politique fiscale du Gouvernement, qui a décalé les baisses de cotisations sociales pour les salariés, avec des effets sur la consommation et donc la croissance. Ne peut-on pas considérer, comme certains le font, au risque pour le Haut Conseil de sortir de sa traditionnelle réserve, qu'il y a là une erreur de pilotage macroéconomique évidente ?
Enfin, lors de notre récent déplacement à Washington, la directrice générale du FMI, Christine Lagarde, a fortement insisté sur la nécessité de « réparer la toiture quand le soleil brille ». Bien que l'actuelle majorité continue de bénéficier d'une conjoncture favorable, l'effort structurel est nul en 2018, après avoir été négatif l'année dernière, une première depuis 2012 ! N'est-on pas en train de manquer une opportunité historique de redresser la situation des comptes publics ?
Les économistes ne prennent pas le risque de quantifier les incertitudes, mais il est vrai que l'année 2019 nous paraît plutôt entourée d'incertitudes baissières. J'ai évoqué la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, la situation italienne, les tensions dans certains pays émergents. Le prix du baril du pétrole est lié aux tensions internationales. Or une augmentation de 10 dollars peut coûter 0,1 point de croissance. Cela dit, le pire n'est pas toujours certain ! Il faut rester prudent dans les prévisions et être attentif aux évolutions possibles. Le consensus des économistes table sur une croissance de 1,6 %, 1,7 % en 2018. En 2019, elle reste plausible, avec un degré d'incertitude plus fortement marqué. Les décisions de la présidence américaine peuvent avoir des conséquences négatives pour le reste du monde.
S'agissant de votre deuxième question, il ne m'appartient pas de me prononcer. Il convient d'analyser les résultats sur l'année, qui seront vraisemblablement très proches de la prévision du Gouvernement. Il faut avoir un peu de recul par rapport aux prévisions : il arrive que l'Insee révise les chiffres de bien plus de 0,1 point. Des facteurs psychologiques peuvent également avoir leur importance. Quoi qu'il en soit, je confirme l'intérêt de « réparer la toiture quand le soleil brille », et la France a dû mal à trouver le moment adéquat.
Ma première question porte sur le « bras préventif », selon lequel nous devons réduire notre déficit structurel de 0,5 point. Or le budget prévoit de réaliser un effort de 0,1 point cette année et de 0,3 point l'année suivante, voire 0,2 en tenant compte de vos réserves. Nous sommes donc loin du compte. Risquons-nous l'ouverture d'une procédure pour déviation significative ? Si oui, à quelle échéance ?
Ma seconde question concerne la notion d'effort structurel : n'est-il pas temps d'unifier notre définition et celle de l'Union européenne ?
Je me demande si tout cela a du sens. La croissance serait de 1,7 % en France cette année pour les optimistes, de 1,6 % pour les pessimistes, mais en moyenne de 2,5 % dans l'Union européenne. Quel que soit le scénario, nous sommes derniers et la France perd chaque année en compétitivité. Que devrait faire le Gouvernement pour que la croissance atteigne 2,5 % ?
Il est peu probable que les prix du pétrole ou du gaz baissent l'année prochaine, que les tensions commerciales s'arrangent. Le Haut Conseil n'envisage-t-il pas de tirer la sonnette d'alarme ? Compte tenu des prévisions en matière d'inflation, de déficit structurel et de déficit nominal par rapport au niveau européen, ne sommes-nous pas en train de prendre une pente extraordinairement dangereuse, tout en se disant que cela aurait pu être pire ?
La progression de la dépense publique serait nulle en volume cette année, mais nous ne tenons pas nos engagements européens et figurons en tête du classement, si je puis dire... Quelle est votre appréciation sur la baisse nécessaire du niveau de dépenses ? On a reproché au Gouvernement d'utiliser le rabot. Certaines pistes vous paraissent-elles pouvoir être mises en oeuvre pour parvenir au respect de nos engagements européens ?
Quelles sont les perspectives d'évolution du déficit public, compte tenu du reclassement de SNCF Réseau ? Que pensez-vous de la forte diminution des crédits des missions « Cohésion des territoires », notamment des aides au logement, et « Travail et emploi » dans le projet de loi de finances pour 2019, ou encore de l'augmentation de 1,5 % des dépenses de personnel et du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne ? Enfin, qu'en est-il de la dette transférée à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) ?
Comment les pertes liées aux tensions internationales sont-elles évaluées compte tenu des divergences entre économistes ? Vous appelez à un ajustement structurel plus fort : quel niveau d'équilibre proposez-vous pour que la trajectoire de baisse de la dépense publique ne soit pas négative pour la croissance ? Enfin, la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 a instauré un nouveau principe budgétaire consistant à affecter toute bonne nouvelle en recettes à la baisse du déficit. Disposez-vous d'un premier rapport d'étape sur ce nouveau principe ? Qu'en pensez-vous ?
Certaines questions peuvent concerner le Haut Conseil des finances publiques, d'autres dépassent très largement le cadre de sa mission. Le Haut Conseil n'entre en effet pas dans le détail du projet de loi de finances pour 2019 et ne peut porter d'appréciation sur chacune des missions qu'il contient. Le PLF pour 2019 n'a d'ailleurs pas été porté en totalité à notre connaissance puisque nous devons donner notre avis avant son passage en Conseil des ministres : lorsque nous délibérons, les derniers arbitrages sur certaines dépenses n'ont donc pas encore été effectués.
Ce que regarde le Haut Conseil, c'est la cohérence du projet du Gouvernement : paraît-il crédible, compte tenu du scénario macroéconomique qu'il présente et de ce que nous constatons à partir de l'exécution pour l'année 2018, en liaison avec la Cour des comptes ? A priori, avec ce qui est présenté en recettes comme en dépenses, cela semble tout à fait plausible, sauf concrétisation de risques qui affecteraient la croissance en 2019 et nécessiteraient de réviser le scénario.
Vous êtes nombreux à vous interroger non sur les hypothèses de croissance mais sur la croissance potentielle de la France et son niveau de compétitivité. Chacun reconnaît que sa croissance potentielle mériterait d'être plus élevée et sa compétitivité renforcée. Que faire pour y parvenir ? Il n'est pas dans la mission du Haut Conseil de le dire, mais cela ne peut passer que par des réformes de structure qui peuvent prendre du temps. Le Gouvernement, dans la loi de programmation des finances publiques, a d'ailleurs prévu une augmentation de la croissance potentielle en fin de période, estimant qu'un certain nombre des mesures structurelles qu'il propose iront dans ce sens.
L'équilibre n'est pas facile à trouver : dès lors que vous prenez des mesures pour redresser les comptes publics, certaines peuvent avoir un effet récessif. D'où l'intérêt de prendre des mesures structurelles lorsque la conjoncture s'améliore, afin d'éviter que ces conséquences négatives ne soient trop fortes pour l'ensemble des acteurs économiques. Aux responsables politiques d'arbitrer pour trouver le bon équilibre.
Tout ce qui peut améliorer le niveau de déficit à la baisse va dans le bon sens. Avant de redistribuer, il convient de redresser les comptes publics pour retrouver des marges de manoeuvre, notamment au moment où la conjoncture ralentit ou se retourne. C'est ainsi que nous voyons d'ailleurs la fragilité de la situation des finances publiques françaises : nous avons réduit le déficit nominal, compte tenu d'une croissance plus forte, mais le déficit structurel reste élevé. Le déficit nominal pourra atteindre en 2019 un niveau que la France n'a pas connu depuis une vingtaine d'années : c'est formidable, sauf que la dette a augmenté de trente points de PIB... Bref, relativisons la situation, et mesurons l'importance des notions permettant de raisonner au-delà de la conjoncture que sont la croissance potentielle ou l'écart de production, même si elles sont très débattues entre économistes.
La Commission européenne raisonne davantage en termes d'ajustement structurel, qui prend en compte l'élasticité des recettes et aime bien, comme le Haut Conseil du reste, le concept d'effort structurel, qui est plus proche de l'effort réel. On voit bien qu'une règle en dépense peut avoir un intérêt pour apprécier la réalité de la situation des finances publiques dans un pays. Cela fait partie des réflexions au niveau européen, comme au sein du Conseil d'analyse économique (CAE) placé auprès du Premier ministre. Sauf blocage, des propositions seront sans doute faite à ce sujet au niveau européen.
J'en viens à la procédure de déviation significative. Beaucoup de pays dévient de la trajectoire recommandée dans le volet préventif. Pour l'heure, la Commission européenne n'a ouvert aucune procédure. Elle use pour apprécier la situation française de sa marge d'interprétation des règles européennes. Le commissaire européen a évoqué les 0,3 point de PIB d'effort structurel prévus par le Gouvernement, inférieurs au 0,5 point ou au 0,6 point recommandés. Encore faut-il que l'effort soit réellement de 0,3 point... À la suite de notre observation, le ministre a envisagé la possibilité que le cinquième acompte de l'impôt sur les sociétés, temporaire dans le projet de loi de finances, devienne pérenne, auquel cas il entrerait dans la définition de l'effort structurel. Comprenez que le Haut Conseil, composé d'experts, raisonne par rapport à des textes qu'il n'a pas la capacité d'interpréter. La Commission européenne, elle, est une autorité politique, qui a de ce fait une capacité d'appréciation. Les éléments du budget de la France seront portés à la connaissance de la Commission européenne le 15 octobre : nous verrons à ce moment-là, mais des échanges ont déjà eu lieu entre elle et le Gouvernement français.
Le Gouvernement a confirmé hier la résorption de la dette sociale à l'horizon 2024, c'est-à-dire la fin de la Cades, même si 15 milliards d'euros de dette de l'Acoss lui seront encore transférés. Dès lors que les taux d'intérêt peuvent remonter, il vaut mieux que cette dette soit gérée par la Cades plutôt que par l'Acoss, qui n'emprunte qu'à court terme et se trouve donc plus dépendante de l'évolution des taux d'intérêt. Or, la BCE envisageant de mettre petit à petit fin à sa politique actuelle, il faut craindre la remontée des taux d'intérêt. Cette mesure va donc dans le bon sens. La Cour des comptes avait déjà fortement recommandé cette gestion par la Cades, sous réserve de recettes adéquates, et pointé le risque de faire porter par l'Acoss une dette de plus en plus élevée.
M. le président du Haut Conseil jugera sans doute mes questions davantage destinées au Premier président de la Cour des comptes, puisqu'elles portent sur son rapport sur les finances locales...
Votre note de synthèse laisse entendre que la décélération de la croissance des dépenses de fonctionnement des collectivités serait liée pour une partie non chiffrée au dispositif de contractualisation mis en place par l'État avec les grandes collectivités. Avez-vous envisagé que cette décélération soit plutôt due à la diminution des dotations versées aux collectivités via leur contribution au redressement des finances publiques ? Bref, ne s'agit-il pas plutôt des effets produits par le rabot décidé précédemment ?
La note de synthèse fait aussi allusion au rythme cyclique des dépenses d'investissement des collectivités territoriales. Le graphique, qui s'arrête en 2018, fait bien apparaître une croissance sur deux à trois ans, puis une baisse significative. Le cycle dans lequel nous sommes pourrait connaître son point d'inflexion en 2019, et on l'annonce beaucoup plus bas que lors des cycles précédents. Quelles conséquences cela aurait-il, alors que les collectivités locales sont les principales pourvoyeuses d'investissement public ?
Vous avez évoqué les incertitudes internationales pesant sur les perspectives de croissance, qui interdisent de retenir des hypothèses chiffrées très précises. Vous avez aussi évoqué ce qui va assurément se produire en 2019, en raison de la mise en place de certaines mesures, comme la retenue à la source de l'impôt sur le revenu. Si chacun sait qu'il ne s'agit que d'une pure affaire de trésorerie, cette nouvelle modalité pourrait avoir un impact psychologique sur des acteurs dont le comportement, vous l'avez dit, n'est jamais rationnel. Le Gouvernement semble avoir pris conscience de ce risque - d'où les atermoiements du Président de la République et, surtout, l'augmentation, dès janvier, des remboursements de crédits d'impôts. Comment l'évaluer ? Il paraît difficile de lire dans le marc de café, mais a-t-on tenté de chiffrer ce risque ?
Je ne résiste pas non plus à la tentation de vous interroger sur les finances des collectivités territoriales. J'ai été chagriné de lire ce matin dans la presse que vous préfériez la méthode Hollande à la méthode Macron, autrement dit qu'il valait mieux, pour obtenir un résultat, faire baisser les dotations brutalement plutôt que de contractualiser ! Si cette contractualisation pose question, elle prévoit toutefois, si l'exécution s'éloigne de l'objectif de dépense, un mécanisme de correction l'année suivante portant sur 75 % ou 100 % de cet écart. Vantez-vous donc réellement la méthode du rabot ? Limiter les dépenses des collectivités territoriales est à mon sens indissociable d'une réforme de la dotation globale de fonctionnement et des dotations de péréquation, et impose de regarder les charges de chacune pour les traiter de manière différenciée.
Le Gouvernement prévoit une hausse de la masse salariale de 3,5 % en 2019 et une baisse sensible du taux d'inflation. La masse financière disponible pourrait s'orienter vers la consommation ou vers l'épargne. Dans la mesure où la croissance ne devrait pas être supérieure en 2019 à ce qu'elle était en 2018, dois-je conclure que l'on anticipe une hausse de l'épargne en 2019 ?
Vous avez indiqué, à juste titre je crois, que le décalage entre l'augmentation et la réduction des prélèvements sur les ménages avait entraîné une stagnation de leur consommation, qui a été défavorable au taux de croissance au premier semestre. Un rattrapage aura nécessairement lieu, avec la réduction de la taxe d'habitation et des cotisations salariales ainsi que le versement au 15 janvier 2019, dans le cadre du prélèvement à la source, d'un acompte de 60 % concernant certaines réductions d'impôts. Bref, peut-on estimer que le 1er semestre 2019 aura une trajectoire inverse de celle constatée en 2018, et cela ne générera-t-il pas, toutes choses égales par ailleurs, un taux de croissance plus élevé ?
Je rejoins Christine Lavarde, même si l'optimisme sur les effets de la contractualisation est plutôt le fait du Gouvernement que de la Cour des comptes.
Je veux rappeler qu'un des soucis que nous avions l'an dernier était de savoir si les résultats accumulés dans les collectivités du fait de la diminution des dépenses seraient finalement bien utilisables pour augmenter l'investissement.
J'aurais été ravi, en 2016, de lire le mot « plausible » dans l'avis du Haut Conseil sur le PLF pour 2017. La prévision de croissance de 1,5 % était alors jugée optimiste ; nous avons fait 2,2 % ! Et la justification était terrible : « le scénario de croissance retenu tend à s'écarter du principe de prudence ». Phrase redoutable ! Je salue la prudence nouvelle du Haut Conseil et je me réjouis que le terme « plausible » puisse être employé. Vous écrivez toutefois de plus en plus volontiers que la croissance est très difficile à évaluer, car nous pouvons connaître des phénomènes de relance ou de récession très rapides.
Il faut toujours resituer les avis du Haut Conseil dans leur contexte. Ce que nous disions alors, c'est que compte tenu des hypothèses macroéconomiques présentées par le Gouvernement, la réalisation du scénario de finances publiques retenu était improbable. Ce qui s'est passé depuis l'a fortement démontré. Nous ne nous prononcions donc pas tant sur les hypothèses macroéconomiques - même si l'on pouvait alors les trouver optimistes - que sur la crédibilité du scénario global pour les finances publiques. Nous le voyons bien avec le résultat pour 2017 : il est à peu près celui annoncé, mais avec une croissance de 2,3 %, et non de 1,5 % comme le prévoyait le Gouvernement !
Certaines de vos questions ne concernant pas le Haut Conseil des finances publiques, je ne saurai y répondre en tant que président ! Le rapport sur les finances locales dit que la réduction des dotations sous le quinquennat précédent a eu le résultat escompté, c'est-à-dire une plus grande maîtrise de la dépense : une baisse des dépenses d'investissement et un ralentissement des dépenses de fonctionnement et de personnel. Nous nous bornons à constater que l'objectif fixé a été atteint. L'actuel Gouvernement propose un dispositif de contractualisation. La Cour des comptes observe qu'il n'y a pas lieu pour l'instant de penser que les objectifs ne seront pas tenus ; les premiers chiffres pour 2018 illustrent la poursuite d'une plus grande maîtrise des dépenses de fonctionnement, même si elles peuvent repartir à la hausse compte tenu de certaines décisions prises par l'État.
Le rapport dit encore que globalement, la situation financière des collectivités territoriales s'améliore. La question se pose de savoir ce qu'elles feront de ces marges de manoeuvre reconstituées. S'il est toujours aussi nécessaire de maîtriser l'évolution des dépenses publiques - la Cour des comptes ne fait en la matière aucune recommandation -, le Gouvernement devra s'interroger sur le bon mécanisme à retenir. Nous nous bornerons à observer si l'exécution du dispositif retenu correspond à l'objectif qu'il s'était assigné. Nous ne disons donc pas que la méthode précédente est supérieure à l'actuelle, nous constatons que la réduction des dotations aux collectivités a été remplacée par un objectif de dépense et une contractualisation avec quelques grandes collectivités. Nous verrons dans le temps comment les choses se passent.
Le Haut Conseil ne s'est pas prononcé sur le prélèvement à la source. Dans un précédent rapport, la Cour des comptes a relevé une incertitude sur le rendement de l'impôt sur le revenu en 2019, à la hausse comme à la baisse. Le Gouvernement lui-même prévoit un taux de collecte légèrement inférieur au taux actuel, compte tenu des incertitudes de début d'année. Sur le comportement des ménages, il est difficile de se prononcer. La mensualisation sur douze et non plus sur dix mois aura peut-être un effet psychologique positif ; les incertitudes sont plus fortes pour ceux qui bénéficient de crédits d'impôt. Nul ne peut dire avec certitude ce qui se produira. L'impôt sur la fortune immobilière (IFI) qui a remplacé l'ISF a pour l'heure un rendement plus important que prévu : relativisons donc les prévisions. Je reconnais qu'en raisonnant a posteriori, la Cour a toujours un avantage...
Il est tout aussi difficile de se prononcer avec certitude sur la consommation et la croissance. Le Gouvernement prévoit une augmentation du taux d'épargne en 2018 par rapport à 2017, et une stabilité en 2019. La consommation devrait en effet être un peu plus favorable au 1er semestre 2019 en raison de l'inflation. Le Gouvernement table sur l'effet positif des baisses de cotisations, mais certains facteurs négatifs, tel le prix du pétrole ou la sous-indexation des retraites, pourraient avoir un effet psychologique. Selon les comportements des ménages, certains facteurs peuvent jouer à la hausse ou à la baisse. Ce qui s'est passé au premier et au deuxième trimestre 2018 n'est pas même complètement expliqué... Peut-être l'INSEE révisera-t-il bientôt ses estimations - il peut le faire jusqu'à deux ans après !
Merci, monsieur le président. Nous vous recevrons mardi prochain au titre de votre troisième casquette, celle de président du Conseil des prélèvements obligatoires.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La commission soumet au Sénat la nomination de MM. Vincent Éblé, Albéric de Montgolfier, Philippe Dominati, Jean-François Husson, Mmes Sylvie Vermeillet, Sophie Taillé-Polian et Nathalie Delattre comme membres titulaires et de MM. Julien Bargeton, Jérôme Bascher, Éric Bocquet, Thierry Carcenac, Philippe Dallier, Vincent Delahaye et Mme Christine Lavarde comme membres suppléants de l'éventuelle commission mixte paritaire.
La réunion est close à 16 h 30.