Intervention de Didier Migaud

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 26 septembre 2018 à 15h00
Audition de M. Didier Migaud président du haut conseil des finances publiques sur l'avis du haut conseil relatif aux projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019

Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques :

Certaines questions peuvent concerner le Haut Conseil des finances publiques, d'autres dépassent très largement le cadre de sa mission. Le Haut Conseil n'entre en effet pas dans le détail du projet de loi de finances pour 2019 et ne peut porter d'appréciation sur chacune des missions qu'il contient. Le PLF pour 2019 n'a d'ailleurs pas été porté en totalité à notre connaissance puisque nous devons donner notre avis avant son passage en Conseil des ministres : lorsque nous délibérons, les derniers arbitrages sur certaines dépenses n'ont donc pas encore été effectués.

Ce que regarde le Haut Conseil, c'est la cohérence du projet du Gouvernement : paraît-il crédible, compte tenu du scénario macroéconomique qu'il présente et de ce que nous constatons à partir de l'exécution pour l'année 2018, en liaison avec la Cour des comptes ? A priori, avec ce qui est présenté en recettes comme en dépenses, cela semble tout à fait plausible, sauf concrétisation de risques qui affecteraient la croissance en 2019 et nécessiteraient de réviser le scénario.

Vous êtes nombreux à vous interroger non sur les hypothèses de croissance mais sur la croissance potentielle de la France et son niveau de compétitivité. Chacun reconnaît que sa croissance potentielle mériterait d'être plus élevée et sa compétitivité renforcée. Que faire pour y parvenir ? Il n'est pas dans la mission du Haut Conseil de le dire, mais cela ne peut passer que par des réformes de structure qui peuvent prendre du temps. Le Gouvernement, dans la loi de programmation des finances publiques, a d'ailleurs prévu une augmentation de la croissance potentielle en fin de période, estimant qu'un certain nombre des mesures structurelles qu'il propose iront dans ce sens.

L'équilibre n'est pas facile à trouver : dès lors que vous prenez des mesures pour redresser les comptes publics, certaines peuvent avoir un effet récessif. D'où l'intérêt de prendre des mesures structurelles lorsque la conjoncture s'améliore, afin d'éviter que ces conséquences négatives ne soient trop fortes pour l'ensemble des acteurs économiques. Aux responsables politiques d'arbitrer pour trouver le bon équilibre.

Tout ce qui peut améliorer le niveau de déficit à la baisse va dans le bon sens. Avant de redistribuer, il convient de redresser les comptes publics pour retrouver des marges de manoeuvre, notamment au moment où la conjoncture ralentit ou se retourne. C'est ainsi que nous voyons d'ailleurs la fragilité de la situation des finances publiques françaises : nous avons réduit le déficit nominal, compte tenu d'une croissance plus forte, mais le déficit structurel reste élevé. Le déficit nominal pourra atteindre en 2019 un niveau que la France n'a pas connu depuis une vingtaine d'années : c'est formidable, sauf que la dette a augmenté de trente points de PIB... Bref, relativisons la situation, et mesurons l'importance des notions permettant de raisonner au-delà de la conjoncture que sont la croissance potentielle ou l'écart de production, même si elles sont très débattues entre économistes.

La Commission européenne raisonne davantage en termes d'ajustement structurel, qui prend en compte l'élasticité des recettes et aime bien, comme le Haut Conseil du reste, le concept d'effort structurel, qui est plus proche de l'effort réel. On voit bien qu'une règle en dépense peut avoir un intérêt pour apprécier la réalité de la situation des finances publiques dans un pays. Cela fait partie des réflexions au niveau européen, comme au sein du Conseil d'analyse économique (CAE) placé auprès du Premier ministre. Sauf blocage, des propositions seront sans doute faite à ce sujet au niveau européen.

J'en viens à la procédure de déviation significative. Beaucoup de pays dévient de la trajectoire recommandée dans le volet préventif. Pour l'heure, la Commission européenne n'a ouvert aucune procédure. Elle use pour apprécier la situation française de sa marge d'interprétation des règles européennes. Le commissaire européen a évoqué les 0,3 point de PIB d'effort structurel prévus par le Gouvernement, inférieurs au 0,5 point ou au 0,6 point recommandés. Encore faut-il que l'effort soit réellement de 0,3 point... À la suite de notre observation, le ministre a envisagé la possibilité que le cinquième acompte de l'impôt sur les sociétés, temporaire dans le projet de loi de finances, devienne pérenne, auquel cas il entrerait dans la définition de l'effort structurel. Comprenez que le Haut Conseil, composé d'experts, raisonne par rapport à des textes qu'il n'a pas la capacité d'interpréter. La Commission européenne, elle, est une autorité politique, qui a de ce fait une capacité d'appréciation. Les éléments du budget de la France seront portés à la connaissance de la Commission européenne le 15 octobre : nous verrons à ce moment-là, mais des échanges ont déjà eu lieu entre elle et le Gouvernement français.

Le Gouvernement a confirmé hier la résorption de la dette sociale à l'horizon 2024, c'est-à-dire la fin de la Cades, même si 15 milliards d'euros de dette de l'Acoss lui seront encore transférés. Dès lors que les taux d'intérêt peuvent remonter, il vaut mieux que cette dette soit gérée par la Cades plutôt que par l'Acoss, qui n'emprunte qu'à court terme et se trouve donc plus dépendante de l'évolution des taux d'intérêt. Or, la BCE envisageant de mettre petit à petit fin à sa politique actuelle, il faut craindre la remontée des taux d'intérêt. Cette mesure va donc dans le bon sens. La Cour des comptes avait déjà fortement recommandé cette gestion par la Cades, sous réserve de recettes adéquates, et pointé le risque de faire porter par l'Acoss une dette de plus en plus élevée.

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