Intervention de Pascal Allizard

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 30 mai 2018 à 9h30
« pour la france les nouvelles routes de la soie : simple label économique ou nouvel ordre mondial ? » — Examen du rapport d'information

Photo de Pascal AllizardPascal Allizard, co-président :

Les chiffres sont effectivement impressionnants, ce qui nous a poussés à les vérifier à plusieurs reprises. Nous ne sommes pas sur des échelles de valeurs qui sont les nôtres au quotidien.

Nous partageons le diagnostic de nos collègues qui sont intervenus. Pour reprendre l'expression utilisée, ce n'est pas nous qui ouvrons les portes, aujourd'hui, les portes sont ouvertes aux investissements chinois par les pays récipiendaires. La Chine a une stratégie et un énorme avantage, qui est détaillé dans le rapport : sa puissance économique qui se traduit par des excédents et des réserves de change conséquents. Les Chinois disposent d'une réserve stratégique au sens financier et monétaire qui leur permet de financer les nouvelles routes de la soie, avec ou sans remboursement. Au niveau économique, on est dans une quasi-intégration en fait. Il n'y a pas de lien juridique hormis le contrat, mais le non-respect du contrat se traduit par un nantissement et induit un effet de dépendance économique et politique de facto. Des conflits du type de celui qui existait lors de la construction du canal de Suez pourront se reproduire. Il est à craindre que des pays ou des pays riverains des pays endettés n'accepteront pas que la Chine mette en oeuvre les clauses de nantissement.

Dans les pays situés en Afrique, il faut admettre que nous n'avons plus le monopole de la relation. Nous avons très peu de moyens pour intervenir, l'asymétrie avec la Chine est extrêmement forte. Nous en avons clairement parlé la semaine dernière dans le cadre de la relation entre la Chine et Djibouti. D'autres pays que la France d'ailleurs qui étaient sur leur zone d'influence historique vont vivre la même remise en cause. Il est assez étonnant de constater que la stratégie chinoise n'est en rien belliqueuse. C'est un peu anesthésiant si l'on n'y prête pas attention. C'est une sorte de cheval de Troie économique avec une politique de puissance en arrière-fond.

Lorsque l'on parle des problèmes de défense ou de main-d'oeuvre, les travaux réalisés dans le cadre des nouvelles routes de la soie mobilisent essentiellement des travailleurs chinois et pour assurer leur protection, certains pays mettent en oeuvre des polices spécifiques, mais il existe aussi des sociétés chinoises de sécurité qui assurent officiellement la sécurité des ouvriers. Leur présence dans ces pays soulèvera sans doute des questions.

Nous avons peut être présenté un peu rapidement la problématique du numérique qui fait l'objet de plus longs développements dans le rapport. Il y a effectivement de vrais enjeux de sécurité des câbles sous-marins, et la position de Djibouti est essentielle dans cette problématique. Le port de Gwadar au Pakistan est en face de Djibouti. Paisible port de pêche, Gwadar est en train de devenir un port de commerce important adossé à une zone économique chinoise et à 20 km de là un port militaire est en train d'émerger.

Dans le domaine de la défense, la problématique concerne également la présence maritime chinoise. La marine chinoise met à l'eau tous les quatre ans l'équivalent de la marine française. À court terme les Chinois ne sont peut-être pas encore dotés de la compétence humaine permettant d'exploiter pleinement ce potentiel, mais cela viendra, probablement d'ici une dizaine d'années. Dans ce domaine, une fois de plus, la notion de temps est très différente. Une montée en puissance sur dix ans ne pose aucune difficulté à la Chine. Mon expérience professionnelle antérieure m'a permis de me rendre contre à quel point le temps est perçu différemment par les Chinois. Montrer un signe d'impatience c'est déjà perdre une négociation.

Effectivement, je rejoins le constat de nos collègues, la France n'a pas la taille critique seule face à ce projet gigantesque. Cela étant, qu'on s'y intéresse ou non, qu'on y participe ou non, ce projet se concrétisera. Par conviction, j'ai tendance à dire il vaut mieux être dedans et essayer de l'orienter plutôt que de le subir. Notre principale recommandation, c'est d'être moteur au sein de l'Union européenne pour cartelliser la démarche. Il faut que l'Union européenne devienne l'interlocuteur de la Chine et non les pays européens pris dans une relation séparée et bilatérale.

À l'assemblée parlementaire de l'OSCE, une démarche intéressante se met en oeuvre : la totalité des pays membres de l'OSCE qui ont conventionné avec la Chine sont en train de cartelliser leur démarche. On a parlé des réticences du Népal du Pakistan etc. au sein de l'OSCE également certains pays semblent estimer que les choses sont peut-être allées trop vite et trop loin. C'est une démarche que je vais suivre.

Enfin, des questions commencent à se poser également sur la qualité des travaux réalisés dans le cadre des nouvelles routes de la soie, sur les modalités de sécurisation des chantiers et sur le prix des matières premières. Selon un rapport européen, le ciment chinois est facturé très au-dessus du cours des matières premières.

Les nouvelles routes de la soie sont, en tout état de cause, un sujet qui devra rester au coeur de l'attention de notre commission.

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