Intervention de Bernard Jomier

Réunion du 2 octobre 2018 à 14h30
Comités de protection des personnes — Vote sur l'ensemble

Photo de Bernard JomierBernard Jomier :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi entend résoudre le problème de l’allongement des délais de réponse des comités de protection des personnes, les CPP, désignés par tirage au sort et dont l’avis positif est indispensable à la réalisation d’un projet de recherche impliquant des personnes humaines.

Si le consensus est sans équivoque quant aux difficultés auxquelles font face les CPP, les moyens d’y remédier divergent et ne portent pas en leur sein les mêmes répercussions.

Les difficultés des CPP résident dans la baisse de leur budget de fonctionnement de 200 000 euros depuis leur création et dans la mise à disposition de chacun d’entre eux d’un seul équivalent temps plein de secrétariat, qui doit gérer un flux de demandes passé de trois ou quatre dossiers mensuels avant la réforme à désormais neuf ou dix. En outre, je rappelle que leurs membres sont bénévoles, il leur est donc difficile de consacrer plus d’une journée par mois à l’étude des projets.

La réponse la plus rapide et efficace à ces enjeux est-elle de nature législative ? Le doute est d’autant plus permis que l’auteur de la proposition de loi lui-même ne se cache pas de dire qu’elle n’a pas vocation à résoudre l’ensemble des problèmes…

Et nous ne sommes pas seulement dubitatifs quant aux supposées améliorations concrètes que permettrait la modification législative, car la liste des zones d’ombre est importante et les éléments de réponse apportés en commission n’ont pas permis de les dissiper.

En premier lieu, nos doutes portent sur l’opportunité, y compris sur le plan temporel, de toucher par voie de proposition de loi, donc sans étude impact, au corpus législatif issu de la loi Jardé, fruit de longs débats parlementaires en 2012, et ce alors que nous serons saisis dans les prochains mois d’une loi de bioéthique, qui aurait sans nul doute constitué un cadre approprié pour débattre, en connaissance, de l’ensemble des éléments et peser le poids de la nécessité et des implications de cette modification législative.

En second lieu, pourquoi modifier la loi à l’approche de l’entrée en vigueur, au plus tard courant 2020, du règlement européen sur les essais cliniques de médicaments, qui instaurera de fait un cadre exigeant en matière de délais de traitement des dossiers ?

Ce cadre sera non seulement à même de satisfaire les calendriers contraints des promoteurs de recherches, académiques comme privés, mais permettra également de sortir d’une logique de compétition entre pays européens au profit de la compétitivité européenne au niveau mondial.

En France, les acteurs concernés n’ont d’ailleurs pas attendu l’entrée en vigueur de ce nouveau cadre pour se préparer à ses nouvelles exigences en matière de délai : nous avons en effet été le premier pays à lancer une phase pilote de deux ans afin de simuler le futur cadre et ainsi travailler sur la réduction des délais d’évaluation.

Il convient à cet égard de souligner la forte mobilisation des acteurs – la direction générale de la santé, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ou ANSM, les CPP et l’ensemble des promoteurs privés comme académiques qui y ont participé – et les résultats positifs ainsi obtenus, qui ont été présentés par l’ANSM à la fin de 2017. L’Agence s’est même fixé pour objectif d’instruire la moitié des demandes selon les futures exigences européennes sur l’année 2018, illustrant ainsi que les efforts à consentir sont essentiellement de nature organisationnelle et financière.

Nos préoccupations ont également trait aux implications de la proposition de loi, qui introduit une pondération du caractère aléatoire de la désignation des CPP selon deux critères : la disponibilité et la compétence pour évaluer un projet de recherche.

Premièrement, les modifications proposées renvoient à la mise en œuvre – l’opérationnalité du principe de désignation aléatoire – et relèvent par conséquent davantage du domaine réglementaire que du domaine législatif.

Pour preuve, l’article L. 1123–6 du code de la santé publique, dont il est question de modifier le premier alinéa, n’a pas d’autre objectif que de consacrer le principe de désignation aléatoire, rempart pensé par le député Jardé contre les potentiels conflits d’intérêts. L’article renvoie ainsi la détermination des conditions de la désignation aléatoire à un autre article, le L. 1123–14, qui dispose quant à lui que ces conditions sont fixées par un décret en Conseil d’État.

Je pense que nous trouverions tous ici de bon sens que la partie réglementaire du code prévoie que le tirage au sort se fasse parmi les 39 CPP, dont le plan de charge permet l’étude d’un dossier dans les délais impartis, mais c’est bien le Gouvernement qui est habilité sur ce point, il n’y a nul besoin de toucher à la loi !

L’introduction du critère de compétence dans l’article L. 1123–6 est potentiellement plus problématique et nous ne disposons pas d’éléments sur la traduction concrète d’une telle modification.

Comment s’assurer que suffisamment de CPP se déclarent compétents sur une aire thérapeutique ? Devrions-nous déterminer un seuil minimal de candidats pour sécuriser le caractère aléatoire de la désignation ? Et comment fixer ce seuil ?

Ces questions laissent à penser que l’enjeu ne réside pas dans les compétences parmi les membres permanents des CPP, mais bien dans la manière dont ces derniers pourraient, par un dispositif souple et réactif, tel qu’un réseau de spécialistes agréés, accéder rapidement à l’expertise nécessaire.

Une piste tout à fait prometteuse, soutenue par les associations de patients, est la constitution d’une liste d’experts à laquelle les CPP pourraient se référer. Or celle-ci, malgré le fait qu’elle soit inscrite parmi les missions de la commission nationale des recherches sur les personnes humaines, n’existe toujours pas.

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste et républicain s’abstiendra sur ce texte.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion