Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, trois ans après l’adoption de la loi Transition énergétique, et quelques semaines avant la présentation de la nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie, ou PPE, il a paru essentiel au groupe Les Républicains de revenir, à l’occasion de ce débat, sur les grandes orientations de notre politique énergétique.
Ce temps démocratique est d’autant plus nécessaire que le Parlement n’est aujourd’hui pas associé à la déclinaison des grands objectifs dans la PPE, malgré les sommes considérables qu’elle engage, qui justifieraient pleinement la discussion régulière d’une véritable loi de programmation, comme le réclame à raison notre collègue Jean-François Husson.
Un tel débat permettrait d’ailleurs de remettre un peu de cohérence et de lisibilité dans une politique dont on dissémine les mesures au gré des projets de loi, le plus souvent sans lien avec leur objet : ces derniers mois, on aura discuté des éoliennes en mer dans la loi « droit à l’erreur », du droit à l’injection du biogaz dans la loi ÉGALIM– on y reviendra encore dans la loi Mobilités –, ou encore de la suppression des tarifs réglementés dans la loi PACTE. Ce n’est ni sérieux ni à la hauteur des enjeux !
Nous disposons désormais des premiers chiffres publiés par votre ministère pour évaluer les effets des choix faits en 2015. Que révèlent-ils pour 2016 et 2017 ? Précisément ce que le Sénat n’avait cessé de dire à l’époque, c’est-à-dire que les objectifs visés étaient, au mieux irréalistes, au pire néfastes pour certains d’entre eux.
Sur ces deux années, notre taux d’indépendance énergétique aura baissé de trois points du fait de la moindre disponibilité de nos centrales nucléaires, ce qui a contribué, avec la hausse des cours internationaux, à un rebond de 23 % de la facture énergétique française l’année dernière.
En 2017, la consommation énergétique finale a aussi progressé de près de 1 % grâce à la croissance économique, ce dont on ne peut que se réjouir, mais je rappelle que la loi visait une division par deux en 2050… Et dans le même temps, en raison du recours accru aux centrales thermiques pour compenser la baisse du nucléaire, les émissions de CO2 du secteur énergétique ont augmenté en 2017 de 4 % à climat constant, ce qui est une première depuis le milieu des années 2000.
En nous donnant un avant-goût des effets d’une réduction trop brutale de la part du nucléaire, ces données démontrent que le Sénat avait eu raison de plaider pour une diversification plus progressive du mix électrique. On regrettera qu’il ait fallu plus de deux ans au Gouvernement pour admettre que la date de 2025 n’était pas tenable, sauf à augmenter nos émissions
Si nous sommes favorables au maintien d’un socle fort de nucléaire dans notre mix électrique, ce n’est pas parce que le Sénat serait une assemblée de « nucléocrates » béats, comme nous sommes trop souvent caricaturés. Nous n’ignorons pas que le nucléaire n’est pas une énergie comme les autres, et c’est pourquoi la sûreté nucléaire en France est parmi les plus exigeantes au monde. Mais nous n’ignorons pas non plus que c’est le nucléaire qui nous a permis de disposer de l’électricité la moins chère d’Europe et du mix électrique le moins carboné derrière la Suède, tout en assurant notre sécurité d’approvisionnement.
Ce qui était vrai hier l’est encore aujourd’hui avec l’essor des énergies renouvelables. Même ses adversaires, comme votre prédécesseur, monsieur le ministre d’État, l’ont reconnu : le nucléaire a l’immense avantage de faciliter la transition vers un mix énergétique plus renouvelable sans qu’il faille recourir à des moyens thermiques pour compenser l’intermittence de certaines énergies renouvelables, ni mettre en péril notre indépendance énergétique. Il est temps, comme nous l’avions plaidé à l’époque, de remettre de la raison dans ce débat où les passions aveuglent et font perdre le sens des réalités : qu’on le veuille ou non, la lutte contre le réchauffement climatique, qui est notre priorité, passe, aussi, par le nucléaire.
Or, depuis l’annonce de l’abandon de la date de 2025, la ligne gouvernementale est floue : on nous parle tantôt de 2035, tantôt de 2030 ; on ne sait pas si la loi de 2015 sera modifiée, et, si oui, quand ; nous savons encore moins ce que contiendra la prochaine PPE, alors que la précédente avait tout simplement ignoré le sujet. Monsieur le ministre d’État, vous engagez-vous à ce que la PPE comporte le nombre, voire le nom des réacteurs à fermer et leur calendrier de fermeture ?
Qu’adviendra-t-il ensuite ? Là encore, on ne sait pas où l’on va : un rapport d’experts commandé par le Gouvernement a récemment préconisé la création de six EPR à partir de 2025 pour assurer la relève et maintenir les compétences industrielles. Quelles suites y donnerez-vous ?
Remettre de la raison, c’est aussi rappeler que le « tout-nucléaire » est un mythe, car le nucléaire n’a jamais représenté, au mieux, que les trois quarts d’une énergie, l’électricité, qui ne couvre elle-même qu’un quart de notre consommation énergétique finale, dont, je le rappelle, les deux tiers sont en réalité couverts par les énergies fossiles.
C’est pourquoi nous pensons qu’au lieu de s’arc-bouter sur le nucléaire il vaut mieux s’engager résolument pour réduire notre dépendance aux énergies fossiles, ce qui sera bon non seulement pour la planète, mais aussi pour notre balance commerciale. Or, sur cette question, monsieur le ministre d’État, nous partageons le même objectif, mais nous ne prônons définitivement pas la même méthode.
Là où nous souhaitons donner des solutions aux Français, vous leur donnez de nouveaux impôts ; là où nous voulons orienter les comportements, y compris par l’outil fiscal, vous voulez les contraindre, alors que nos concitoyens, en particulier dans les campagnes, n’ont souvent pas d’autre choix que de prendre leur voiture diesel pour aller travailler, ou de remplir leur cuve à fioul pour se chauffer.