Intervention de Nicole Belloubet

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 25 septembre 2018 à 17h40
Projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et projet de loi organique relatif au renforcement de l'organisation des juridictions — Audition de Mme Nicole Belloubet garde des sceaux ministre de la justice

Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice :

Monsieur Pillet, d'autres textes traiteront en effet des sujets que vous évoquez, mais les dispositions qui figurent dans ce projet de loi nous semblent pouvoir être traitées indépendamment. L'autorisation de consentement à la procréation médicalement assistée demeurera en toute hypothèse un acte important, mais nous pouvons sans difficulté en prévoir la déjudiciarisation, le juge n'apportant aucune plus-value.

Sur la question des tutelles, le rapport de Mme Caron-Déglise prévoit des évolutions en lien avec la dignité des personnes sur le droit de vote, le mariage ou le PACS. Ces mesures, que je vous proposerai et qui font l'unanimité, peuvent être détachées du projet de loi relatif à la dépendance pour être intégrées dans ce projet de loi.

Monsieur Durain, 530 millions d'euros de crédits sont consacrés au déploiement du numérique dans la loi de programmation et nous prévoyons 260 recrutements. J'ai souhaité également fixer des objectifs très précis en matière de déploiement de la fibre optique sur l'ensemble des sites judiciaires, de développement d'applications - dès demain, on pourra accéder en ligne à son casier judiciaire B3 « néant » - et de chaîne de soutien aux utilisateurs. J'ai mis en place une gouvernance resserrée et je réunis tous les deux mois un comité stratégique du plan numérique pour la justice. J'espère ainsi que nos engagements, très importants pour la crédibilité de ce projet de loi, seront tenus. Pour autant, la numérisation ne conduira pas à une justice impersonnelle ou robotisée. Au contraire, nous voulons libérer du temps pour que les magistrats, les greffiers et les services d'accueil unique du justiciable soient davantage en relation avec les usagers. Toutes les mesures sont par ailleurs prises pour sécuriser les injonctions de payer.

Quant à la justice prédictive, elle est traitée avec beaucoup de prudence. Le texte contient une disposition sur l'open data des décisions de justice, que nous sommes obligés de développer aujourd'hui. Le professeur Loïc Cadiet nous a remis un rapport extrêmement intéressant sur le sujet, qui donne lieu à des positions divergentes, notamment sur la question de l'anonymisation des noms des magistrats ou sur l'utilisation qui pourra être faite de ces décisions. Je ne crois pas en revanche que son développement conduira à une fossilisation de la jurisprudence. Au contraire, cette ouverture pourrait être de nature à stimuler les capacités d'imagination.

Monsieur Grosdidier, vous communiquer une échéance pour l'encellulement individuel n'aurait guère de sens. En revanche, nous voulons mesurer aussi précisément que possible l'impact prévisionnel des mesures de politique pénale. Si notre étude d'impact s'avère exacte, le nombre de personnes détenues diminuera de 8 000, pour s'établir à 62 000. Sachant que nous disposons d'un peu plus de 59 000 places de prison, nous pourrons alors retravailler réellement sur cet objectif d'encellulement individuel, d'autant que nous aurons aussi des livraisons de places nouvelles.

Les 2 000 places de SAS que nous allons construire s'adressent non seulement aux fins de peine, mais aussi aux détentions de courte durée de personnes peu dangereuses. Nous prévoyons de petites structures de 120 places réparties sur l'ensemble du territoire, et nous voulons nous assurer que ces nouvelles structures fonctionnent avant d'en construire davantage.

Vous avez évoqué également le désespoir des policiers et des gendarmes. Toutes les mesures du texte ont été validées avec les plus hautes autorités de la police et de la gendarmerie.

Je connais aussi les volontés d'oralisation de certaines procédures. Mais comment les magistrats pourront-ils alors se repérer dans l'ensemble du dossier et identifier les quelques phrases qui leur permettront de faire progresser l'enquête ? Nous avons procédé à un certain nombre de simplifications, notamment sur les procès-verbaux, mais nous pensons que l'oralisation pure et simple n'est pas la bonne solution.

Concernant l'usage de la signature électronique, la dématérialisation de la procédure pénale native permettra de disposer d'un dossier unique, du policier au magistrat. Nous avons déjà beaucoup avancé sur ce dossier : le cahier des charges a été élaboré en concertation avec le ministère de l'intérieur, l'équipe en charge du projet est en place, et j'espère avoir les premiers résultats dès le début de l'année 2020.

Vous plaidez enfin pour une justice proche et contextualisée, monsieur Grosdidier. Je partage pleinement votre point de vue, et c'est la raison pour laquelle je ne ferme aucun tribunal d'instance ; ils vont juste changer de nom. Je n'ignore rien des difficultés rencontrées à Bobigny, par exemple ; plusieurs parlementaires ont remis un rapport sur l'action publique en Seine-Saint-Denis et j'attends dans les jours qui viennent un rapport d'audit de l'inspection générale de la justice sur le tribunal de Bobigny. Nous tenterons d'améliorer la situation à partir des propositions formulées. Au demeurant, nous ne voulons pas promouvoir un modèle unique ; nous entendons traiter les justiciables avec leurs particularités, là où ils sont.

Enfin, pour répondre à Mme Troendlé, je reconnais que le coût des centres éducatifs fermés est élevé, mais c'est une des réponses demandées par les magistrats. Au fond, tout l'objet du projet de loi est de permettre une diversification des réponses pour les jeunes mineurs délinquants : centres éducatifs fermés, accueils de jour, familles d'accueil, sortie progressive des centres... Nous prônons toujours la primauté de l'éducatif, mais avec des solutions et des niveaux de contraintes différents.

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