C'est avec grand plaisir que je me trouve devant votre commission, en ma qualité de président du Conseil des prélèvements obligatoires, pour vous présenter le rapport qui rend compte des travaux effectués à la suite de votre saisine.
Ce rapport s'appuie sur trois rapports particuliers, qui n'engagent pas le Conseil des prélèvements obligatoires, mais qui seront mis en ligne en même temps que celui-ci après la présente audition. La commission des finances de l'Assemblée nationale ayant également marqué son intérêt pour ce sujet, je me suis engagé auprès de son président à faire une présentation devant elle au cours de l'automne, après vous avoir rendu compte de nos travaux.
Cinq ans après le rapport intitulé La fiscalité affectée : constats, enjeux et réformes, établi à la suite d'une saisine du Premier ministre, le CPO a été saisi par votre commission afin de faire un bilan de la mise en oeuvre de quatorze propositions qui visaient à rationaliser l'usage de la fiscalité affectée, jugée alors insuffisamment maîtrisée.
Votre lettre de saisine nous demandait également d'analyser le dispositif de plafonnement des taxes affectées et ses conséquences à la fois pour les organismes bénéficiaires de ces taxes et pour le budget de l'État. Or, depuis 2013, c'est un sujet qui a connu des évolutions significatives. Comme vous le prescriviez, le Conseil a repris le même périmètre d'analyse qu'en 2013, celui des impositions de toutes natures affectées à des tiers, autres que les collectivités locales et les organismes de sécurité sociale. Deux ensembles ont donc été écartés : les taxes affectées aux organismes de sécurité sociale et celles affectées aux collectivités territoriales et à leurs groupements.
Le champ de notre analyse est constitué de 150 taxes, sur 350 au total, pour des recettes de près de 30 milliards d'euros, sur plus de 250 milliards d'euros, affectées aux agences de l'État, aux organismes techniques professionnels, consulaires, gestionnaires des fonds de la formation professionnelle, aux agences de l'eau et aux dispositifs de péréquation et de solidarité nationale.
Pour commencer, je rappelle que les taxes affectées sont des instruments durablement installés dans le système fiscal français. Le développement de la fiscalité affectée correspond au souhait des pouvoirs publics d'individualiser des ressources au profit de politiques publiques particulières, le plus souvent afin d'assurer une meilleure acceptation des prélèvements correspondants. Sans remonter au Moyen-Âge et aux impôts affectés au financement des guerres, je peux citer en exemple le financement des chambres de commerce, de la production cinématographique ou des politiques environnementales et énergétiques.
L'expansion, parfois mal maîtrisée, de la fiscalité affectée avait inspiré au CPO en 2013 des orientations visant à en restreindre le périmètre et en rationaliser l'usage. Cinq ans après, les taxes affectées apparaissent globalement en voie de stabilisation. Leurs recettes, qui avaient augmenté de 27,6 % entre 2007 et 2011, se sont depuis stabilisées, leur hausse n'ayant été que de 4,1 % entre 2011 et 2017. Le nombre de taxes reste toutefois élevé - 150 dans le périmètre de l'étude, pour un montant de 28,6 milliards d'euros en 2016. La plupart d'entre elles ont un rendement limité : 87 taxes ont un rendement inférieur à 150 millions d'euros ; 6 seulement, principalement dans la sphère sociale, ont un rendement supérieur à un milliard d'euros. Les taxes restent concentrées sur un petit nombre de secteurs bénéficiaires : la transition écologique, l'intérieur, la culture et l'agriculture.
Or, malgré leur ancienneté, les taxes affectées ne font pas l'objet d'une définition juridique précise, même si l'article 2 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) encadre leur création. Il pose ainsi quatre conditions : l'affectataire doit être une personne morale, autre que l'État, exerçant des missions de service public ; la création de l'imposition peut être prévue par une loi ordinaire, mais son affectation doit être autorisée par une loi de finances ; le projet de loi de finances doit être accompagné chaque année de la liste et de l'évaluation de ces impositions.
Pour autant, des imprécisions nombreuses demeuraient concernant le statut juridique des impositions affectées. Des décisions juridictionnelles récentes ont contribué à stabiliser le cadre juridique. Dans sa décision du 29 décembre 2014, le Conseil constitutionnel a reconnu la conformité à la Constitution du plafonnement des taxes affectées instauré par l'article 46 de la loi de finances pour 2012. Ce mécanisme prévoit la possibilité de fixer une limite au-delà de laquelle les sommes collectées au profit d'un organisme affectataire doivent être reversées au budget de l'État. Le Conseil constitutionnel a également prononcé plusieurs censures successives sur des taxes affectées qui poursuivaient des finalités proches. Dans le cas de la procédure des questions prioritaires de constitutionnalité, il s'est prononcé à onze reprises sur des taxes affectées à des tiers.
Des décisions de la Cour de justice de l'Union européenne ont été également rendues sur les conditions dans lesquelles les ressources issues des taxes affectées sont compatibles avec le régime européen des aides d'État ou avec d'autres règles de droit européen, notamment les directives relatives aux accises. Le contentieux sur l'appréciation de la conformité de la Contribution au service public de l'électricité (CSPE) avec les directives européennes en matière de fiscalité de l'énergie est toujours pendant devant la Cour de justice.
Le rapport du CPO de 2013 mettait aussi en lumière un certain nombre de dérives parallèles à l'augmentation de leur nombre et de leur montant : perte de contrôle, opacité du dispositif, difficultés de gouvernance et de gestion des organismes affectataires, complexification du système fiscal.
Ces constats avaient été à l'origine de la formulation de quatorze propositions visant à mieux quantifier la fiscalité affectée, à en restreindre le recours et à rebudgétiser les taxes dont l'affectation ne se justifiait pas. De surcroît, il était proposé de supprimer les micros-taxes ou les taxes les plus inefficientes d'un point de vue économique.
Les correctifs appliqués depuis 2013 ont permis d'atténuer certains défauts des taxes affectées. Au cours des cinq dernières années, la situation a heureusement évolué, à la suite notamment de la prise en compte de plusieurs recommandations du CPO.
Tout d'abord, la loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 comportait un objectif de rebudgétisation des taxes affectées, conformément aux recommandations du CPO. La loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 s'est ensuite concentrée sur la définition de critères de création des taxes affectées, abandonnant l'objectif précédent de rebudgétisation, lequel n'a pas été mis en oeuvre.
Le plafonnement des taxes a également évolué. Créé en 2012, ce dispositif a progressivement pris de l'ampleur. Il ne concernait en 2013 qu'un périmètre de 5,2 milliards d'euros de taxes affectées, pour des reversements au budget général de l'État de 218 millions d'euros. En 2018, il porte sur plus de 9 milliards de taxes, pour des reversements d'un milliard d'euros. Ces reversements, encore appelés « écrêtements », sont aujourd'hui contestés. Des amendements parlementaires, de plus en plus nombreux, ont d'ailleurs souvent pour objet d'élever un plafond ou de le supprimer.
Il faut toutefois reconnaître au plafonnement, malgré ses défauts, un certain nombre de mérites concernant la qualité de gestion des organismes auxquels il s'applique. Ainsi, certaines des dérives dans la gestion des organismes affectataires qui avaient été constatées en 2013 ont été atténuées.
L'exemple le plus frappant de cette évolution concerne les dépenses de ces organismes. Alors qu'elles avaient augmenté plus vite que celles des opérateurs non affectataires de taxes pendant la période 2007-2011, elles ont progressé moins vite que celles de ces derniers pendant la période 2012-2017. L'analyse peut être affinée, selon que le plafonnement est mordant, c'est-à-dire lorsque, en cas de dépassement, le différentiel est reversé au budget général ou non. Or, sans surprise, c'est le plafonnement mordant qui a le plus efficacement contribué à la modération des dépenses et des recettes puisque les charges et les produits des opérateurs affectataires de taxes plafonnées ont diminué plus vite que ceux des opérateurs avec des taxes non plafonnées. Lorsque le plafond mordait, les charges et les produits des opérateurs affectataires ont diminué le plus rapidement. Toutefois, dans ce cas, les restrictions ont porté essentiellement sur les dépenses d'intervention et d'investissement.
Cette analyse met en évidence à la fois l'utilité et les limites du plafonnement. Son impact sur les dépenses est réel, mais il frappe essentiellement les dépenses d'intervention, objets même de l'affectation, et participe peu à la modération des frais de structure, alors que ce devrait être l'objectif principal.
Il n'en reste pas moins que la situation financière des opérateurs affectataires a été rationalisée, comme en témoigne l'évolution de leur fonds de roulement. Surabondant pendant la période 2007-2011, il a été fortement réduit entre 2012 et 2017, pour revenir aux alentours des normes prudentielles qui prévalent en matière de gestion des deniers publics.
Le CPO dresse un bilan de l'usage de la fiscalité affectée plus nuancé qu'en 2013 puisque les mesures prises depuis, notamment le plafonnement d'un nombre croissant de taxes affectées, ont limité certains des dysfonctionnements qui avaient été alors observés.
Il ne faut pas nier que des difficultés demeurent. Ainsi la liste des taxes affectées présentées dans la partie VII des Voies et moyens n'est ni exhaustive, ni exempte d'erreurs et leurs modalités de recensement restent entièrement déclaratives. De plus, les taxes affectées accentuent certaines caractéristiques du système fiscal français, souvent critiquées par le CPO, tel l'émiettement en un grand nombre de taxes. Certaines taxes ont un rendement très faible, d'autres présentent des coûts de collecte élevés, à l'instar de la taxe radio-amateurs au profit de l'Agence nationale des fréquences : le coût de la collecte représente 400 % des montants recouvrés !
Les taxes affectées accentuent également l'instabilité normative, les créations et suppressions de taxes étant nombreuses - respectivement dix et onze depuis 2014 -, de même que les modifications relatives à leur régime.
Ces taxes augmentent le poids de ces prélèvements sur certaines assiettes. L'assiette des taxes affectées est constituée essentiellement des revenus du travail lorsque l'on considère le nombre de ces taxes, mais, en rendement, c'est le capital qui est la principale assiette sollicitée.
Enfin, et c'est devant vous qu'il est sûrement le plus pertinent de soulever cette question, la fiscalité affectée permet trop souvent de contourner la procédure budgétaire de droit commun. L'information dont le Parlement dispose sur ces taxes est encore trop parcellaire, imprécise. Par ailleurs, une fois instituées, les taxes ne suscitent plus de véritable débat au sein de la représentation nationale, ce qui peut poser un problème démocratique important au regard de la réalité du consentement à ce type de prélèvement.
Pour autant, l'analyse de la fiscalité affectée ne saurait se limiter à ses seuls défauts. À côté des difficultés, qui sont réelles, l'utilité de taxes affectées pour certains secteurs ne doit pas être sous-estimée. Certains affectataires de taxes mettent en avant la meilleure acceptation de l'impôt par les redevables, qui auraient l'assurance que le produit de l'impôt finance des dépenses sectorielles dont ils peuvent directement bénéficier. Ce lien entre dépenses et recettes n'est pas toujours établi, même s'il existe, par exemple pour les centres techniques industriels ou encore des agences spécialisées, tel l'Office national de la chasse et de la faune sauvage. Ces dispositifs sont d'ailleurs fortement soutenus par les acteurs des secteurs économiques concernés.
Les comparaisons internationales, et c'est là l'un des apports de l'étude du CPO, montrent d'ailleurs que la France n'est pas la seule à recourir aux taxes affectées. Ainsi, le système français de soutien au cinéma, qui repose sur des taxes affectées et des financements publics, existe également dans une dizaine d'autres pays européens. Le Royaume-Uni et l'Allemagne se sont dotés d'organismes dont les missions et le financement sont proches de ceux du Centre national du cinéma et de l'image animée, même si les moyens mis en oeuvre dans ces pays n'ont pas la même ampleur qu'en France. De même, comme en France, les taxes affectées sont assez largement utilisées à l'étranger dans les secteurs de l'environnement et de l'énergie. Là aussi, la spécificité française tient à la part importante que ces taxes représentent dans le budget des agences affectataires plutôt qu'au principe lui-même, qui est largement partagé.
La dérogation au principe d'universalité que constitue l'affectation d'une taxe à un opérateur ne se justifie que si elle est utile et efficace, ce qui doit pouvoir être démontré et encadré, mais elle doit également s'accompagner de contreparties en termes de transparence vis-à-vis du Parlement, d'une part, et d'encadrement de la dépense et d'ajustement de la recette, d'autre part. Ces contreparties ne sont aujourd'hui qu'imparfaitement réunies.
Nous ne pouvons que constater l'installation durable des taxes affectées dans le système fiscal français et les difficultés d'une rebudgétisation de grande ampleur concernant l'ensemble de ces taxes. C'est pourquoi le rapport d'aujourd'hui ne reprend pas toutes les propositions de 2013. Il en formule huit, qui visent à mieux encadrer la fiscalité affectée et sont groupées autour de trois axes.
Nous proposons tout d'abord d'améliorer l'information du Parlement. Il s'agit d'une exigence de transparence démocratique indispensable pour rendre plus légitime le dispositif de la fiscalité affectée. Nous proposons deux pistes, l'une à la charge de l'administration, qui consisterait à organiser la centralisation des données pour améliorer la fiabilité et la qualité des informations communiquées au Parlement, aujourd'hui limitées à un inventaire des cas d'affectation d'impositions de toutes natures ; l'autre à la charge des organismes affectataires, qui devraient rendre public chaque année un compte d'emploi des ressources fiscales qui leur sont affectées. C'est le cas au Royaume-Uni par exemple. Cela contribuerait très fortement à votre information.
Nous proposons ensuite de mieux encadrer les taxes affectées. Trois pistes peuvent être explorées. La première pourrait consister à prévoir chaque année un vote du Parlement sur les taxes affectées à des tiers autres que les collectivités locales et les organismes de sécurité sociale dans le cadre du débat budgétaire. Ce vote serait éclairé par les travaux d'un rapporteur spécial ou du rapporteur général analysant les différentes taxes affectées et leur évolution. Ce vote pourrait à terme être rendu obligatoire par une disposition nouvelle de la LOLF.
La deuxième piste pourrait viser à rendre plus contraignantes les conditions de création d'une taxe affectée. Même si l'article 36 de la LOLF, qui prévoit qu'une affectation de taxe ne peut résulter que d'une loi de finances, est généralement respecté, sa portée est limitée par le fait que la décision de création de la taxe elle-même peut avoir été prise dans la loi ordinaire. L'article 36 de la LOLF pourrait être complété d'un alinéa prévoyant que la création d'une taxe affectée à un tiers autre que les collectivités locales ou les organismes de sécurité sociale ne peut résulter que d'une disposition d'une loi de finances.
La troisième piste consisterait à supprimer certaines taxes affectées, notamment celles qui ont un faible rendement ou un coût de collecte élevé et celles qui pourraient être transformées en contribution volontaire obligatoire (CVO), lesquelles présentent l'avantage de ne constituer ni des prélèvements obligatoires, au sens de la comptabilité nationale, ni des aides d'État, au sens du droit européen, et d'être d'un usage souple. En outre, les lois de programmation des finances publiques pourraient fixer un objectif annuel de réduction du nombre de ces taxes.
J'en viens au troisième et dernier axe de réforme possible : il s'agirait de renouveler et d'enrichir les outils de pilotage des taxes affectées. Pour améliorer la gestion de la fiscalité affectée, le CPO formule trois propositions. Il propose d'abord de faciliter un ajustement par les taux comme alternative à l'écrêtement. La modulation à la baisse des taux des taxes affectées peut être envisagée comme un substitut au plafonnement lorsque les ressources affectées à un organisme sont supérieures à ses dépenses pendant deux ans au moins. Il suggère ensuite de doter l'État de moyens de pilotage infra-annuels des taxes affectées lorsque celles-ci connaissent des augmentations importantes et imprévues. Une telle régulation peut être utile lorsque les ressources d'un organisme affectataire connaissent une évolution brusque et non anticipée. C'est le cas du CNC, par exemple, avec la taxe sur les services de télévision. Enfin, il pourrait être pertinent de confier la collecte à l'État ou aux Urssaf, sauf si l'affectataire recouvre des taxes dont les bénéficiaires ne sont pas des bénéficiaires des interventions financées par ces taxes. Cette proposition permettrait de diminuer les coûts de recouvrement chez certains affectataires, ainsi que les risques de fraude fiscale et de potentiels conflits d'intérêts.
Votre commission aura noté l'évolution de la tonalité du rapport du CPO sur la fiscalité affectée. En réalité, ce n'est pas tant la position du CPO qui a changé que la situation qu'il a observée. Les dérives les plus manifestes mises en évidence il y a cinq ans apparaissent plus maîtrisées, même si elles n'ont pas encore toutes disparu. Par ailleurs, le constat de l'extrême difficulté politique des opérations de rebudgétisation des taxes affectées, ainsi que de l'utilité économique avérée de certaines d'entre elles, plaide pour une conservation de ce dispositif. La fiscalité affectée doit toutefois impérativement être mieux maîtrisée, ce qui signifie qu'elle doit être rendue plus transparente, plus démocratique et qu'elle doit être mieux pilotée. Le CPO s'est efforcé de faire des propositions dans ce sens, qu'il a voulues réalistes, concrètes et pragmatiques.