Merci de nous avoir conviés à présenter les éléments clés de notre rapport et le scénario que nous proposons. La santé au travail fera l'objet de négociations entre les partenaires sociaux, la lettre de cadrage interviendra dans le courant du mois d'octobre, et un projet de loi de réforme sera présenté en 2019 au Parlement.
La commande du Premier ministre portait sur les acteurs de la santé au travail : nous devions nous pencher sur le fonctionnement du système, ses résultats, et sur les améliorations possibles. Notre parti pris méthodologique nous a conduits à étudier le système via la perception qu'en ont les acteurs du terrain. Nous avons voulu écouter tous ceux qui sont engagés dans une démarche de prévention, et réunir, dans des ateliers participatifs, responsables des ressources humaines, patrons d'entreprises de tailles diverses, représentants du personnel, salariés... Nous avons entendu les responsables de l'agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact), de l'institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), les partenaires sociaux,... Et nous avons consulté tous les rapports produits sur le sujet.
Il apparaît que la santé au travail est regardée, en particulier dans les petites et moyennes entreprises (PME), plus comme une obligation que comme une action bénéfique à l'entreprise, l'engagement d'un employeur dans ce domaine étant insuffisamment reconnu. Et si elle est une préoccupation quotidienne du chef d'entreprise, les outils et les moyens de la prévention manquent ; il est difficile de concilier cette exigence et celles de l'activité quotidienne. Les relations sont de qualité très variable avec l'interlocuteur naturel, le service de santé au travail, qui devrait être un allié : le partenariat est parfois très satisfaisant, mais nous avons aussi entendu des critiques. Certains employeurs se sentent peu aidés, mal accompagnés. Dès lors, ils se soucient seulement de cocher les cases, sans être véritablement engagés dans une démarche de prévention...
Il y a pourtant, sur le terrain, les associations régionales pour l'amélioration des conditions de travail (Aract), les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat), et un foisonnement d'acteurs et d'outils. Mais on ne sait qui contacter, ni comment exploiter les outils. D'où la demande d'un guichet unique, clairement identifié.
De même les salariés entretiennent des relations diverses avec les médecins du travail. Peut-on tout leur dire ? Ne risque-t-on pas d'être déclaré inapte, de ne plus avoir de travail ? Autre problème, le cloisonnement entre médecine de ville et médecine du travail, car il n'y a pas de partage d'informations.
En matière de prévention, la frontière entre contrôle et conseil n'est pas nette, du moins dans l'esprit des intéressés. Comment, si l'on craint une sanction, être en confiance avec le praticien ? Les deux fonctions doivent être distinctes.
Au plan macroéconomique, on observe des avancées. Le nombre des accidents du travail a beaucoup diminué ces dernières années. Le nombre de maladies professionnelles reconnues a augmenté. On atteint aujourd'hui un palier : il faut encore avancer. En France, nous bénéficions, en cas de maladie professionnelle ou d'accident du travail, d'une indemnisation en durée et en montant plus élevée que dans les autres pays. En revanche, la part des cotisations AT-MP affectée à la prévention ne dépasse pas 3 ou 4 %, niveau très inférieur à ce qui se fait chez nos voisins, en Allemagne par exemple.
La politique de santé au travail, la réglementation sur le sujet, ont toujours été élaborées en réaction à des crises : amiante, vague de suicides à France Telecom, par exemple. Il convient de gagner en efficacité.
Quant à la gouvernance du système, les trois plans santé au travail sont un remarquable outil, qui pose parfaitement les axes prioritaires. Ils sont le résultat d'une co-élaboration avec l'ensemble des parties prenantes. Le plan rend possible un vrai pilotage de la politique de santé au travail. Hélas, il n'est pas correctement mis en oeuvre. Chaque acteur s'en empare, mais faute de coordination, les doublons sont nombreux, les expérimentations intéressantes restent confidentielles. Le nombre d'acteurs complique le fonctionnement : comment conclure des conventions avec tant de monde ? Il faut donc se poser la question du pilotage.
Nous proposons un portage politique fort de la santé au travail, et un vrai engagement dans la prévention. Une gouvernance très renforcée rassemblerait au niveau régional tous les acteurs de la prévention, services de santé au travail, Aract, organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP), préventeurs des Carsat, etc. La constitution d'équipes pluridisciplinaires et étoffées conduirait à mieux accompagner les PME et très petites entreprises (TPE), à mieux intégrer la prévention dans la stratégie des entreprises. À cette gouvernance paritaire au niveau régional répondrait une structure tripartite de pilotage du plan santé au travail, au niveau national, comprenant les partenaires sociaux et l'État, capable de conventionner avec les acteurs régionaux mobilisés sur la prévention. Enfin, j'y insiste, la distinction claire entre prévention, contrôle et réparation serait un principe fort du dispositif. C'est ainsi que nous pouvons espérer progresser en prévention.