Nous accueillons ce matin Mme Charlotte Lecocq, députée, MM. Bruno Dupuis, consultant senior en management, Henri Forest, ancien secrétaire confédéral de la CFDT et Hervé Lanouzière, inspecteur général des affaires sociales, afin qu'ils nous présentent les conclusions du rapport « Santé au travail : vers un système simplifié pour une prévention renforcée » qu'ils ont remis au Premier ministre cet été.
Le constat est connu : notre système de prévention des risques professionnels est très complet mais il se heurte en pratique à de grandes difficultés, liées notamment à la démographie des médecins du travail. Les solutions ont jusqu'à présent plutôt consisté à gérer la pénurie par des dispositifs palliatifs. Votre rapport formule seize recommandations, parmi lesquelles une refonte en profondeur de l'organisation et de la gouvernance du système.
La ministre du travail, Muriel Pénicaud, a annoncé qu'un projet de loi serait soumis au Parlement sur la santé au travail. Le contenu de ce texte et son calendrier d'examen parlementaire ne sont pas encore connus précisément mais il m'a semblé d'ores et déjà utile de nous pencher sur cette question.
Merci de nous avoir conviés à présenter les éléments clés de notre rapport et le scénario que nous proposons. La santé au travail fera l'objet de négociations entre les partenaires sociaux, la lettre de cadrage interviendra dans le courant du mois d'octobre, et un projet de loi de réforme sera présenté en 2019 au Parlement.
La commande du Premier ministre portait sur les acteurs de la santé au travail : nous devions nous pencher sur le fonctionnement du système, ses résultats, et sur les améliorations possibles. Notre parti pris méthodologique nous a conduits à étudier le système via la perception qu'en ont les acteurs du terrain. Nous avons voulu écouter tous ceux qui sont engagés dans une démarche de prévention, et réunir, dans des ateliers participatifs, responsables des ressources humaines, patrons d'entreprises de tailles diverses, représentants du personnel, salariés... Nous avons entendu les responsables de l'agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact), de l'institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), les partenaires sociaux,... Et nous avons consulté tous les rapports produits sur le sujet.
Il apparaît que la santé au travail est regardée, en particulier dans les petites et moyennes entreprises (PME), plus comme une obligation que comme une action bénéfique à l'entreprise, l'engagement d'un employeur dans ce domaine étant insuffisamment reconnu. Et si elle est une préoccupation quotidienne du chef d'entreprise, les outils et les moyens de la prévention manquent ; il est difficile de concilier cette exigence et celles de l'activité quotidienne. Les relations sont de qualité très variable avec l'interlocuteur naturel, le service de santé au travail, qui devrait être un allié : le partenariat est parfois très satisfaisant, mais nous avons aussi entendu des critiques. Certains employeurs se sentent peu aidés, mal accompagnés. Dès lors, ils se soucient seulement de cocher les cases, sans être véritablement engagés dans une démarche de prévention...
Il y a pourtant, sur le terrain, les associations régionales pour l'amélioration des conditions de travail (Aract), les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat), et un foisonnement d'acteurs et d'outils. Mais on ne sait qui contacter, ni comment exploiter les outils. D'où la demande d'un guichet unique, clairement identifié.
De même les salariés entretiennent des relations diverses avec les médecins du travail. Peut-on tout leur dire ? Ne risque-t-on pas d'être déclaré inapte, de ne plus avoir de travail ? Autre problème, le cloisonnement entre médecine de ville et médecine du travail, car il n'y a pas de partage d'informations.
En matière de prévention, la frontière entre contrôle et conseil n'est pas nette, du moins dans l'esprit des intéressés. Comment, si l'on craint une sanction, être en confiance avec le praticien ? Les deux fonctions doivent être distinctes.
Au plan macroéconomique, on observe des avancées. Le nombre des accidents du travail a beaucoup diminué ces dernières années. Le nombre de maladies professionnelles reconnues a augmenté. On atteint aujourd'hui un palier : il faut encore avancer. En France, nous bénéficions, en cas de maladie professionnelle ou d'accident du travail, d'une indemnisation en durée et en montant plus élevée que dans les autres pays. En revanche, la part des cotisations AT-MP affectée à la prévention ne dépasse pas 3 ou 4 %, niveau très inférieur à ce qui se fait chez nos voisins, en Allemagne par exemple.
La politique de santé au travail, la réglementation sur le sujet, ont toujours été élaborées en réaction à des crises : amiante, vague de suicides à France Telecom, par exemple. Il convient de gagner en efficacité.
Quant à la gouvernance du système, les trois plans santé au travail sont un remarquable outil, qui pose parfaitement les axes prioritaires. Ils sont le résultat d'une co-élaboration avec l'ensemble des parties prenantes. Le plan rend possible un vrai pilotage de la politique de santé au travail. Hélas, il n'est pas correctement mis en oeuvre. Chaque acteur s'en empare, mais faute de coordination, les doublons sont nombreux, les expérimentations intéressantes restent confidentielles. Le nombre d'acteurs complique le fonctionnement : comment conclure des conventions avec tant de monde ? Il faut donc se poser la question du pilotage.
Nous proposons un portage politique fort de la santé au travail, et un vrai engagement dans la prévention. Une gouvernance très renforcée rassemblerait au niveau régional tous les acteurs de la prévention, services de santé au travail, Aract, organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP), préventeurs des Carsat, etc. La constitution d'équipes pluridisciplinaires et étoffées conduirait à mieux accompagner les PME et très petites entreprises (TPE), à mieux intégrer la prévention dans la stratégie des entreprises. À cette gouvernance paritaire au niveau régional répondrait une structure tripartite de pilotage du plan santé au travail, au niveau national, comprenant les partenaires sociaux et l'État, capable de conventionner avec les acteurs régionaux mobilisés sur la prévention. Enfin, j'y insiste, la distinction claire entre prévention, contrôle et réparation serait un principe fort du dispositif. C'est ainsi que nous pouvons espérer progresser en prévention.
L'exercice auquel nous nous sommes livrés n'avait jamais été effectué, du moins avec la focale que nous avons adoptée. La santé au travail s'est construite par strates, avec la loi fondatrice de 1898, racine du droit du travail, puis la création de la médecine du travail en 1946 et la création des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ; et par briques successives, des aménagements sont intervenus, instauration des services de santé au travail en particulier, mais sans réflexion d'ensemble sur le fonctionnement du système, ni sur les relations entre les acteurs. Nous proposons un schéma disruptif, un plan de transformation important, qui pourtant préserve toutes les compétences, toutes les parties prenantes. Aujourd'hui il existe beaucoup de doublons, de chevauchements, la gouvernance très complexe consomme un temps infini, des conventionnements interviennent en tous sens... Nous simplifions : le saut de modernisation est considérable.
Nous avons voulu replacer l'intérêt général au centre de la conduite de la politique de santé au travail, et rappeler la responsabilité de l'employeur en matière de prévention. Il importe de distinguer la mission de chacun, y compris celle des pouvoirs publics, dans une gouvernance tripartite équilibrée, car l'équilibre n'existe plus aujourd'hui : au sein de la sécurité sociale, dans la branche AT-MP, les pouvoirs publics sont en première ligne, en raison des problèmes financiers...
Pour que le système fonctionne avec l'adhésion de tous les acteurs, il faut que ceux-ci puissent s'exprimer et tenir leur place dans le dispositif.
J'ai été frappé, lorsque je m'occupais de ces questions à la CFDT, des auditions parlementaires multiples qui étaient menées sur le financement de la prévention. Nous étions sollicités dans le cadre du budget général de la nation, pour la partie prévention relevant du ministère du travail ; nous venions également parler - pas forcément aux mêmes interlocuteurs - du budget de la sécurité sociale, qui comporte une part affectée aux actions de prévention. Les élus de la nation n'avaient pas de vision d'ensemble des moyens de la santé au travail. Les dépenses se montent pourtant à 2 milliards d'euros et méritent attention. Nous essayons dans le rapport de faire la vérité des prix !
Je suis intervenu en appui à la mission, en raison de mon expérience dans le pilotage d'organisme de prévention du système français de santé au travail, et parce que j'ai assuré également des fonctions de la coordination de la santé dans un groupe industriel. L'éclatement, la dispersion des organismes de prévention, la confusion des rôles qui s'est installée, ont des conséquences : un guide à destination des boulangeries sera peut-être élaboré, mais il a peu de chance d'être lu par les boulangers ; une dizaine de guides concernant les boulangeries seront peut-être élaborés par dix organismes, tandis qu'aucun ne traitera des éoliennes. Du côté des entreprises, la confusion entre prévention, contrôle et réparation cause des difficultés insurmontables. En cas de suicide sur le lieu de travail, aucun chef d'entreprise ne songera à appeler l'inspection du travail ou les services de la sécurité sociale. L'accompagnement durable fait défaut.
Le troisième plan santé au travail est un modèle, il résulte pour la première fois d'un consensus entre partenaires. Or il pose la nécessité de changer ce paradigme, alors qu'aujourd'hui, c'est la logique de réparation qui prime. Mais ce changement est-il possible dans le système actuel ? Le contrôleur Carsat visite l'entreprise tous les deux ou quatre ans ; la prévention doit être au centre du système, avec un vrai pilotage et des responsabilités claires.
Nous accueillons ce matin notre collègue Sonia de la Provôté, qui n'est pas membre de notre commission, mais qui a souhaité assister à notre réunion car elle est médecin du travail.
Je remercie nos interlocuteurs de m'avoir auditionné lors de la préparation de leur rapport. Je les félicite de cet important travail. Oui, il est grand temps de trouver des solutions efficaces pour promouvoir la prévention. Les grandes entreprises ont leur propre système de santé au travail, en interne ; mais les plus petites sont rattachées au service de santé au travail dans chaque département.
Tout n'est pas à condamner dans le système actuel, beaucoup a été accompli. Le vrai problème reste la pénurie de médecins ! Et ce qui est rare étant cher, le coût de la médecine du travail augmente. Les prétentions des praticiens sont de plus en plus élevées, parfois inversement proportionnelles à leurs capacités réelles. Le travail proposé n'est pas le plus valorisant, donc pas le plus recherché par les médecins. La pénurie est donc amplifiée. Des infirmiers ayant obtenu un certificat particulier interviennent, mais ce n'est pas la même chose...
Sur ce que vous avez dit des PME et TPE, je veux préciser que l'employeur paie des cotisations au service de santé au travail, il doit donc bien connaître son existence ! Même remarque pour les salariés. Quoi qu'il en soit, les visites médicales sont rares et rapides. Si on demande plus d'actes aux médecins du travail, cela aura un coût supplémentaire...
Si vous organisez le système dans les nouvelles grandes régions, l'éloignement aggravera la mauvaise identification de la médecine du travail.
Si le médecin du travail se déplace dans l'entreprise, il n'y a pas de problème ; mais si ce sont d'autres personnes qui se présentent, le chef d'entreprise, le représentant du personnel auront tendance à penser qu'ils viennent pour pénaliser leur entreprise.
Les services actuels subsisteront-ils, au niveau du département, dans le système que vous proposez ? Vous rassemblez le personnel de diverses structures. Les agents des Carsat s'inquiètent, ils ont l'impression qu'ils seront « noyautés ».
C'est par les accidents du travail que l'on connaît la sinistralité dans les entreprises. La diminution du nombre d'accidents témoigne néanmoins d'une prise de conscience au sein des entreprises. Je rappelle du reste que beaucoup d'accidents ont lieu durant les trajets domicile-entreprise, ils n'ont rien à voir avec la prévention.
J'ai le sentiment qu'on a voulu surtout replacer l'État au centre du système, alors que son fonctionnement reposait jusqu'à présent paritairement sur le chef d'entreprise et les salariés : n'est-ce pas une mainmise de l'État, bien loin de la décentralisation que nous avons connue ?
Le rapport propose un guichet unique de la prévention qui regrouperait les services de santé au travail interentreprises (SSTI) et les Carsat. Or ces dernières, parce qu'elles sont un assureur social, peuvent mener des actions de prévention pertinentes. Dans le transfert que vous envisagez, ne perdra-t-on pas le bénéfice de cette approche complémentaire ?
Les entreprises ont tendance à envisager la santé au travail sous le prisme de la sanction, du coût : oui, mais cela pousse aussi à faire de la prévention !
Avez-vous étudié le développement possible des labels qualité de vie au travail ?
La région Auvergne-Rhône-Alpes a lancé un projet innovant, « Elence », proposant un accompagnement sur-mesure à une trentaine d'entreprises pilotes qui s'engagent à revoir leur organisation pour « replacer l'humain au centre de leur fonctionnement », un peu comme le plan santé qui remet « le patient au milieu du chantier »... Cette expérience pourrait-elle être généralisée ? Car le problème de management est majeur, et face aux burn out, au stress, ce sont les habitudes de management qu'il faut changer.
Les structures régionales que nous proposons de créer auraient une gouvernance paritaire, une structure de droit privé telle qu'une association, comme c'est déjà le cas pour les services de santé au travail, les Carsat ou les Aract. La mise en oeuvre au niveau régional du plan santé au travail passerait par un conventionnement bien sûr, avec l'intervention de l'État qui aurait également un rôle de coordonnateur dans le pilotage de la structure.
La régionalisation n'implique pas de réunir tous les préventeurs dans la capitale régionale. Nous voulons bien entendu conserver le maillage territorial et la proximité géographique ! Par gouvernance régionale, il faut entendre coordination entre les acteurs existants, déjà implantés dans les territoires. Des marges existent, des gains de temps et d'efficacité sont possibles, nous voulons nous y employer - mais la proximité dans l'entreprise est essentielle, et aujourd'hui insuffisante.
Au sein des Carsat, aujourd'hui, des agents sont chargés du contrôle. La prévention, plus réduite dans ces structures, ne se déploie pas complètement. J'ai exercé des fonctions de conseil en ressources humaines et qualité de vie au travail. Dans ce cadre, j'ai organisé des réunions avec des chefs d'entreprise, des directeurs des ressources humaines (DRH), sur la santé et la sécurité au travail. J'ai invité un contrôleur de Carsat pour les sensibiliser sur le sujet : les participants ont approuvé ses recommandations, mais se sont plaints de ne pas avoir les outils pour les mettre en oeuvre. Il a alors proposé la création d'un groupe de travail et ensemble, ils ont produit des outils très pertinents, prenant en compte la réalité de terrain et le savoir-faire du préventeur. Hélas, les résultats n'ont pas été utilisés au-delà des entreprises participantes.
La pénurie touche toutes les spécialités médicales. Mme Buzyn présente un projet de transformation précisément destiné à résoudre ce problème. Nous avons, en France, un nombre de médecins du travail bien supérieur à ce qu'il est dans les pays voisins. Les moyens existent pour revaloriser cette discipline, peu reconnue, dans le cursus universitaire : nous proposons par exemple que le service sanitaire envisagé par la ministre puisse avoir lieu également dans les services de santé au travail. Une vraie structure centrée sur la prévention renforcera aussi l'attrait de la profession. Le développement de la télémédecine est une autre piste pour résorber la pénurie et dégager des marges pour la santé au travail.
Nous avons rencontré les promoteurs du projet évoqué par M. Dériot. Il s'agit de très bonnes pratiques, sous une étiquette unique ! La coordination, la gouvernance renforcée permettront en complément des gains de temps et une réduction des doublons. Cette logique de performance globale rejoint notre conviction : il faut une menace et des sanctions contre les employeurs récalcitrants, et des encouragements pour convaincre tous les employeurs que la prévention des risques sert la performance de l'entreprise. Ces points ne sont peut-être pas suffisamment détaillés dans le rapport : merci de les mettre ainsi en relief.
Quid des entreprises publiques, de la fonction publique ? Dans les collectivités locales ou la fonction publique hospitalière, les agents rencontrent les mêmes difficultés que les salariés du privé...
Je vous félicite de ce travail très intéressant. Quelques questions cependant.
Le guichet unique régional intègre les SSTI, les Carsat, les Aract, mais les services de santé au travail autonomes (SSTA) sont maintenus. Ne va-t-on pas vers une prévention à deux vitesses ?
Votre recommandation n° 16 concerne une réflexion à mener pour améliorer la qualité de la santé au travail dans la fonction publique. La création d'un service territorial de santé qui intègrerait les compétences des SSTI, des SSTA, des services de santé y compris de la fonction publique, ne serait-elle pas une bonne solution ? Je crois que l'innovation sociale doit provenir de nos territoires !
L'après-rapport, ce sera le projet de loi. À Saint-Pierre-et-Miquelon, depuis un an, un syndicaliste travaille sur un projet de service territorial de prévention et de santé au travail qui intègre les salariés du privé, les travailleurs indépendants, les trois fonctions publiques... Ce projet n'a pas été retenu comme innovation sociale lors des Assises de l'outre-mer, c'est dommage. Pensez-vous que nous pourrions, sur un tel projet, être territoire d'expérimentation à petite échelle ?
Je suis médecin, ancien maire employeur, et ancien président d'un centre de gestion - or les centres de gestion participent activement à la médecine du travail.
Je doute que le nombre de médecins du travail puisse augmenter, en raison des problèmes de démographie médicale. La spécialité est sinistrée, comme d'autres, il faudrait donc repenser l'organisation de la médecine du travail : quel est le positionnement exact du médecin du travail dans le système que vous proposez ?
Les attentes des salariés et celles des employeurs me semblent très différentes. Quant aux relations entre les médecins du travail et les généralistes, elles sont quasiment inexistantes.
Une dernière question : le burn out doit-il ou non relever de la liste des maladies professionnelles ? La commission s'était prononcée sur ce point, mais je pose tout de même la question !
Il serait bon d'élargir vos propositions aux collectivités territoriales : 5 millions de personnes sont concernées. Je n'ai pas de statistiques sur les accidents, mais je sais que des efforts de prévention sont indispensables !
J'ai noté votre réponse sur les Carsat et la nécessité de mieux cerner la position de conseil ; il demeure qu'une bonne communication est à faire auprès des agents pour leur expliquer votre projet...
Je salue un travail exhaustif. Cependant, vos préconisations vont dans le sens de la centralisation, alors que les employés attendent du concret, sur leur lieu de travail. Pourquoi ne mentionnez-vous pas l'intérêt du sport et des techniques de relaxation au sein de l'entreprise ? On parle beaucoup de prévention, mais peu des outils !
Le secteur public, la fonction publique, n'étaient pas dans le champ de notre mission. Nous recommandons, précisément, de traiter le sujet de la même façon que dans le privé. Le directeur de cabinet de Mme Buzyn nous a d'ailleurs dit : « à l'hôpital, il faudrait faire la même chose ». Oui !
La démographie médicale suscitait déjà les débats au temps où j'étais conseiller au cabinet de M. Xavier Bertrand, ministre du travail et de la santé. Et la préoccupation ne concerne pas seulement la médecine du travail ! Le système créé en 1946 a été marqué par un très fort recours aux médecins du travail, qui personnifient la santé et la sécurité sur le lieu de travail. L'Europe du Nord, par exemple, a fait des choix différents. La pénurie est indiscutable, mais nous avons la plus forte population de médecins du travail au monde.
Le rapport Leclerc-Dellacherie a, de même qu'un rapport de l'inspection générale des affaires sociales (Igas), traité de l'attractivité de la profession. Lorsque Xavier Bertrand avait augmenté le nombre de places à l'internat, sur 120, 30 étaient restées vacantes. Le problème de l'attractivité est réel, malgré un niveau de rémunération correct, une convention collective favorable, un temps de travail inférieur à celui d'un généraliste. Les solutions sont à combiner.
Labels, sport : des pistes viennent d'être évoquées, ce sont des évolutions à intégrer. La nouvelle étape visera à développer au sein des entreprises l'approche promotionnelle en faveur de la santé. Dans les grands groupes, elle existe déjà, on relaie des messages de santé publique.
Vous craignez une « nationalisation » : pas du tout ! La structure de droit privé qui sera créée sera gérée paritairement. Mais l'État stratège doit intervenir, dans ce domaine régalien qu'est la santé ; il donne les orientations aux partenaires sociaux.
Vous évoquez une discordance entre service de santé au travail interentreprises pour les petites entreprises et les services de santé au travail autonomes intégrés dans les grandes entreprises. Il n'y a pas d'impossibilité juridique, tout employeur peut suivre en interne l'état de santé des salariés, mais les PME sont contraintes de recourir à la mutualisation. Nous proposons, nous, une porosité entre les deux systèmes, et que les grandes entreprises qui ont des sous-traitants internes ou externes participent au financement du dispositif mutualisé de la structure régionale. Cinq services ont été identifiés dans le rapport, dont le suivi médical, qui peuvent être pris en charge par les entreprises elles-mêmes - lorsqu'elles en ont les moyens.
Je fus médecin du travail. C'est un métier aujourd'hui mal considéré. Dans la formation universitaire, les futurs praticiens n'abordent les spécificités de cette profession que dans les six derniers mois de leur internat !
Le problème est surtout la densité géographique, très variable selon les territoires. Or la structure régionale aura un rôle de stratège, pour définir un schéma d'implantation, pour mieux répartir les médecins du travail. Je précise qu'il existe aujourd'hui 20 000 antennes de services de santé au travail, il n'est pas question de les démanteler ! En revanche, la gouvernance est resserrée au niveau régional.
Nous formulons des propositions sur le lien entre santé publique et santé au travail, entre médecine de ville et médecine du travail. Nous avons perçu des attentes pour un parcours de santé homogène : c'est le patient qui fait la synthèse entre sa vie privée et l'entreprise. Son dossier médical partagé (DMP) pourrait comprendre un volet « exposition professionnelle », et être accessible à tous les praticiens, y compris le médecin du travail, mais cela ne se fera pas immédiatement, compte tenu des blocages à la mise en place du DMP. Nous avons cherché à établir un calendrier réaliste.
Un mot des données recueillies : l'organisation que nous proposons permet de valoriser le métier dans sa dimension de veille et d'alerte. L'informatisation ne s'est pas diffusée encore dans tous les services de santé au travail, et dans les petits services ruraux, le faible nombre de médecins n'autorise pas la constitution de plateaux techniques importants : la mutualisation des moyens au niveau régional prend tout son sens. La valorisation du métier de médecin du travail passe par un cadre rénové, uniforme, homogène, avec des échanges de pratiques plus fluides qu'actuellement.
Dans ce très riche rapport, vous proposez un guichet unique, c'est intéressant mais des exemples négatifs de fusions d'organismes à moyens constants existent. Le service rendu est moins performant que dans le passé. Or des moyens de financement supplémentaires sont-ils prévus pour l'améliorer ? Il ne me semble pas. Nous sommes tous attachés à la prévention, mais vous ne dites rien du CHSCT, supprimé au profit d'une instance plus large. Les salariés nous alertent, car c'est dans ce comité que l'on discutait de santé et de prévention.
La branche AT-MP est excédentaire : au lieu d'envisager des exonérations de cotisations, pourquoi ne pas proposer d'actualiser le tableau des maladies professionnelles, par exemple, pour intégrer la reconnaissance de l'épuisement professionnel ?
Enfin, la régionalisation ne risque-t-elle pas de s'accompagner d'une disparition des acteurs de proximité ?
La gouvernance régionale, dans les grands ensembles régionaux qui ont été créés, induira des heures de transport supplémentaires pour se rendre à des réunions, un temps que les praticiens et les agents ne passeront pas dans les entreprises. Il y a eu des avancées depuis le document unique d'évaluation des risques, mais les moyens humains et financiers manquent. Pourquoi les contrôleurs font-ils une visite tous les quatre ans ? Parce qu'ils n'ont pas le temps de faire plus ! Comme DRH, je veux préciser que j'ai pour ma part très bien travaillé avec les médecins du travail.
Concrètement, le guichet unique serait-il un lieu physique, ou se matérialisera-t-il par des visites à l'entreprise ? Les médecins du travail font un travail exceptionnel mais, récemment, la visite médicale a été réduite à une visite d'information et de prévention au moment de l'embauche ; et les apprentis peuvent effectuer leur visite auprès d'un médecin en ville, ce qui n'améliore pas la prévention car ce dernier ne connaît pas l'entreprise.
Sur les onze millions de proches aidants, la moitié exerce aussi un emploi. Stress, fatigue : ne conviendrait-il pas de mieux les écouter au sein de leur entreprise, peut-être d'adapter leur temps de travail ?
Un euro dépensé doit être un euro utile. Vous indiquez que les sommes consacrées à la santé au travail sont importantes, mais pas employées toujours à bon escient. J'ai eu l'occasion de me rendre compte, pour avoir travaillé dans une grande entreprise et dans une petite entreprise, que les réponses ne sont pas du tout les mêmes dans une PME et dans un grand groupe.
Il faudra aussi pousser la réflexion sur le lien entre le plan de santé annoncé il y a quelques jours et les territoires, entre la médecine de ville et la médecine du travail. Les maisons de santé pluridisciplinaires fonctionnent sur la base d'un contrat local de santé où la prévention occupe une place significative. Quelle que soit leur taille, les entreprises n'existent pas ex abstracto, elles sont ancrées dans un territoire : il faut faire le lien entre l'entreprise, le territoire, le citoyen.
Ne craignez-vous pas que le système simplifié que vous prônez soit surtout un système étatisé ? Je vise ici le guichet unique au niveau régional. Les grandes régions comptent jusqu'à douze départements, s'étendent sur 600 kilomètres - je parle de la Nouvelle Aquitaine... Les services de santé au travail doivent demeurer dans nos territoires, ils se sont déjà restructurés, ils sont imaginatifs, ils seraient perdus à Bordeaux ! Entre France Santé Travail et les structures régionales, quelles seront les relations financières, contractuelles, juridiques ? Comment fonctionnera l'articulation ? Il faut nous rassurer !
Si l'on veut améliorer la santé au travail et la prévention et mettre en place le guichet unique, il est indispensable de progresser sur le dossier médical partagé et sur les contacts entre praticiens.
Dans la réforme des études médicales, ne faudrait-il pas réduire le temps de spécialisation de la médecine du travail ?
Merci de m'accueillir dans votre commission. J'ai été moi aussi auditionnée par les auteurs du rapport. Distinguer le contrôle, la prévention et la réparation me semble important.
Les moyens de la prévention ne sont pas rationalisés. En santé publique, nous ne sommes pas aussi efficaces que certains de nos voisins européens qui n'ont pas plus de moyens que nous.
Le maintien dans l'emploi est une dimension importante. Dans l'adaptation des postes de travail pour les travailleurs handicapés, la médecine du travail a un rôle important. Une politique nationale, échelon régional pour organiser et gérer les fonds, fort bien. Mais il faut aussi savoir territorialiser les actions à une échelle plus fine, car les types d'entreprise, les conditions sanitaires locales, ne sont pas identiques partout.
Or je m'inquiète de la traçabilité des fonds recueillis par les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf), qui vont remonter au niveau national, pour redescendre ensuite - du moins faut-il l'espérer. Une complète transparence sera nécessaire afin que la manne récoltée ne soit pas utilisée à d'autres objectifs...
Le plan santé est bien fait quant au diagnostic - encore faut-il éviter, ensuite, de prescrire une ordonnance de 53 médicaments, sinon on risque de tuer le patient !
L'argent est le nerf de la guerre. Il serait important que les excédents de la branche AT-MP ne servent pas chaque année à combler les déficits de la branche santé !
Un euro engagé doit profiter également à la prévention ! Sur la régionalisation, il faut distinguer la partie gouvernance-pilotage, qui doit être en cohérence avec le portage régional du plan santé au travail, et sa mise en oeuvre opérationnelle qui doit être mieux coordonnée. Des doublons existent et les entreprises, notamment les TPE et les PME, connaissent des problèmes d'accompagnement et ne bénéficient pas, de manière identique, des outils de prévention qui leur sont destinés. J'ai la conviction que la fusion des instances représentatives du personnel et du CHSCT permet l'intégration de la santé au travail dans l'ensemble des problématiques de la vie des entreprises. Cette démarche n'empêche pas la création de commissions spécifiquement consacrées à la santé et à la sécurité ; les chefs d'entreprise y voyant une avancée, à la condition toutefois de ne pas dissoudre le lien avec les salariés et de porter ces sujets dans le cadre de la stratégie globale de l'entreprise.
Je souscris à la proposition de notre collègue de Saint-Pierre-et-Miquelon d'intégrer l'ensemble des acteurs d'un même territoire ; cette collectivité ultramarine pourrait être la base d'une expérimentation en ce sens. Bien que cette perspective ne figure pas dans le périmètre de notre mission, je l'ai évoquée avec M. Olivier Dussopt qui réfléchit actuellement à la transformation de la fonction publique.
Nous n'avons pas abordé, dans notre rapport, la reconnaissance de l'épuisement professionnel dans le tableau des maladies professionnelles. À titre personnel, il me semble que cette démarche n'est pas mûre et incombe aux partenaires sociaux plutôt qu'au législateur. La montée en puissance des maladies psychiques dans le monde du travail est manifeste et nous préconisons le développement de la prévention, notamment grâce à l'activation de cellules spécifiquement dédiées aux risques psycho-sociaux, soit par les chefs d'entreprise ou les salariés eux-mêmes.
Sur l'augmentation des temps de réunion induite par cette nouvelle gouvernance, nous avons identifié actuellement 8 274 sièges, 650 structures de gouvernance et en moyenne 2 200 réunions sur une année. Le système va être simplifié et la gouvernance renforcée. Les partenaires sociaux, tant du côté patronal que syndical, concèdent la difficulté de trouver des personnes compétentes et motivées pour siéger dans ces nombreuses instances de gouvernance. Simplifier ce système permettrait ainsi de résoudre cette difficulté.
Cependant, fusionner des structures n'est pas sans risques : au-delà des moyens à mobiliser sur une période transitoire, l'ensemble des acteurs de la prévention doit être motivé. À la différence des opérations de fusion et d'acquisition où une structure hégémonique absorbe les autres, cette toute nouvelle configuration permet d'amorcer une dynamique culturelle de fusion moins anxiogène.
Nous comptons remettre les 20 000 implantations territoriales en ordre de marche. Dans le cadre de l'articulation des différents plans de santé publique et de santé au travail, il faut assurer la visibilité des risques professionnels et dresser l'état des lieux de la santé au travail par territoire ou groupe d'entreprises. Or les agences régionales de santé (ARS) conduisent surtout des diagnostics territoriaux sur l'état de santé des populations en référence à certains déterminants de santé comme le logement ou les transports. Une telle démarche n'existe donc pas en matière de santé au travail pour des bassins d'emplois, faute de la capacité des services à agréger leurs données, lorsqu'elles existent. Notre projet permettrait de faire remonter les données relatives à la santé au travail et d'assurer une meilleure visibilité des territoires, des entreprises, des salariés et des individus. La sécurité sociale considère que la visibilité de la situation de la santé au travail au niveau de la branche AT-MP et de la branche maladie est un leurre, en raison du cloisonnement des services informatiques. Il est impossible d'assurer le croisement des données de santé générale, qui relèvent de la branche maladie, avec le code NAF (nomenclature des activités françaises) des entreprises, sauf à le faire de manière ponctuelle ! Ce croisement va bien au-delà de la simple synthèse des données. Notre rapport préconise de sensibiliser le grand public aux déterminants du travail susceptibles d'altérer la santé. Aucune campagne n'est conduite sur le harcèlement au travail, le burn-out ou la prévention par les entreprises des problèmes psychiques. La prévention doit être l'affaire de tous.
Merci pour ces informations que nous aurons l'occasion d'approfondir durant notre examen du prochain projet de loi.
Nos missions annuelles ont alterné ces dernières années entre les outre-mer et l'étranger ainsi qu'entre les thématiques de santé et de droit du travail. Suivant ce principe, le bureau de notre commission a inscrit à son programme pour 2018 un déplacement en Guyane et en Guadeloupe sur le thème de la politique sanitaire. Plusieurs d'entre nous s'étaient rendus deux ans plus tôt, en 2016, à La Réunion, sur le même thème. Notre déplacement s'est déroulé lors de la suspension des travaux parlementaires au printemps dernier, du 22 au 27 avril. La délégation, ici représentée et que je conduisais, était composée de Michel Amiel, Laurence Cohen, Bernard Jomier, René-Paul Savary et de Jocelyne Guidez qui nous a rejoints en Guadeloupe.
Quelques mots avant de laisser mes collègues vous présenter plus en détail le fruit de nos échanges et rencontres. Un premier constat préalable est la très nette différence de contexte et de situations que nous avons pu percevoir entre la Guyane et les Antilles : des thématiques communes se détachent, comme celle de l'attractivité des territoires pour les médecins, mais se posent à des degrés assez divers.
La Guyane est exposée, en raison de sa situation géographique et sociale, à une pression migratoire qui agit comme une caisse de résonnance sur des dysfonctionnements de l'organisation de son système de soins. Notre ancienne collègue Dominique Voynet, que nous avons rencontrée sur place et reçue la semaine dernière, y conduit deux missions, l'une au titre de l'Igas sur l'offre de soins sur le territoire guyanais et l'autre, à la demande du premier ministre, sur la coopération transfrontalière, portant à la fois sur la Guyane et Mayotte où les difficultés sont encore plus importantes.
La situation en Guadeloupe est, du point de vue de l'offre de soins, plus conforme aux standards métropolitains. Toutefois, son insularité et sa position géographique posent des enjeux particuliers auxquels pourraient également être apportées des réponses particulières ; je pense notamment aux possibilités de recruter des médecins des pays voisins, de Cuba par exemple, qui sont très bien formés. Je laisse mes collègues revenir sur ce point.
Ces constats préalables confortent bien l'idée que les outre-mer - dont nous parlons à juste titre au pluriel - correspondent à autant de réalités qu'il y a de territoires ; nous ne pouvons nous contenter d'un « copier-coller » des mesures ou des politiques publiques en appliquant la même grille de lecture que dans l'hexagone. Nos collègues ultra-marins n'ont de cesse de le rappeler, à juste raison, et c'est un message qu'il nous appartient collectivement de porter.
La situation du système de santé en Guyane nous a, en effet, interpelés. Nous y avons rencontré les équipes administratives et médicales de trois centres hospitaliers : celui de Cayenne - le centre hospitalier Andrée Rosemon ou CHAR -, celui de l'ouest Guyanais à Saint-Laurent-du-Maroni et enfin celui de Kourou. Nous avons également échangé avec de nombreux acteurs du système de santé guyanais, les représentants de l'État - préfet, Agence régionale de santé -, des élus locaux, des associations.
Un an plus tôt, le territoire avait traversé un mouvement social de grande ampleur, marqué par un mois de grève générale. Les « accords de Cayenne » signés le 21 avril 2017 y ont mis un terme, en déployant un plan d'urgence immédiat d'un milliard d'euros orienté vers la sécurité, l'éducation ou encore la santé : 60 millions d'euros ont été délégués au centre hospitalier de Cayenne pour lui permettre de payer ses fournisseurs et de se moderniser, 25 millions d'euros au centre hospitalier de l'Ouest Guyanais pour renforcer son budget d'investissement alors qu'un nouvel hôpital, dont nous avons visité le chantier, doit ouvrir ce mois-ci après 5 ans et 140 millions d'euros de travaux. Rappelons que ce projet a été lancé en 2005. Ce plan d'urgence a aussi prévu le maintien dans le service public du centre médico-chirurgical de Kourou, relevant jusqu'alors de la Croix-Rouge et qu'il était envisagé de céder à un organisme privé : celui-ci a été transformé en établissement public de santé au 1er janvier 2018.
Nous avons perçu une situation encore tendue à bien des égards. Le contexte géographique, démographique comme social pose en effet un défi particulier au système de soins guyanais.
L'enjeu d'accès aux soins est majeur d'abord pour des raisons physiques qui tiennent aux particularités du territoire : vaste de plus de 83 000 km2, recouvert à 99 % par la forêt amazonienne, près des 9/10ème de la population se concentrent sur le littoral. Le coût et les délais de transports sont un frein évident : l'accès aux soins devient vite un « parcours du combattant ». Certaines zones de l'intérieur ne sont accessibles qu'en deux à trois jours de pirogue. 18 centres délocalisés de prévention et de soins, qui dépendent de l'hôpital de Cayenne, maillent ce territoire, notamment le long des deux fleuves qui le bordent - le Maroni à l'ouest, l'Oyapock à l'est - ; moins de la moitié assurent une présence médicale continue. Plus de 200 patients par mois sont ainsi transférés vers les hôpitaux de Cayenne ou Saint-Laurent-du-Maroni. L'ARS a évoqué une expérimentation avec l'Assurance-maladie visant à reconnaître la pirogue comme transport sanitaire : ce serait une adaptation utile. Les hôtels hospitaliers offrent une autre piste intéressante pour accueillir ces patients venant de communes isolées ; un site de 25 places est en projet au centre hospitalier de Cayenne. De telles initiatives sont à soutenir pour libérer des lits médicaux alors que la durée moyenne des séjours est plus élevée qu'ailleurs et crée une pression sur les services.
La question de l'accès aux droits est aussi centrale. Le taux de pauvreté en Guyane est d'après l'Insee de 44 %. Pour les établissements de santé que nous avons visités, la part des patients sans couverture sociale ou sans papier est de 20 à 30 %, ce qui allonge la durée des séjours, le temps de les accompagner dans des démarches, et pèse sur la trésorerie des établissements. D'après la directrice de la caisse de sécurité sociale de Guyane, 11 % de la population relève de l'AME et 45 % des assurés bénéficient de la CMU-C ou de l'aide à la complémentaire santé (ACS). La précarité de la population a aussi un impact très concret sur leur état de santé, avec une concentration de pathologies lourdes, ou très avancées, des diagnostics tardifs, par exemple pour le VIH ce qui entraîne une surmortalité liée au Sida par rapport à la métropole et encore des cas de contamination mère-enfant, comme nous l'a indiqué l'association Aides. Cette précarité, notamment des logements, freine aussi le développement de l'hospitalisation à domicile par exemple, ce qui se répercute, là encore, sur les établissements de santé. Il faut aussi tenir compte des différences culturelles des populations amazoniennes et adapter les dispositifs de prévention comme de dépistage, ce qui n'est pas toujours le cas ; les professionnels de santé doivent y être formés.
La pression démographique - à la fois endogène puisque le taux de fécondité est de 3,5 enfants par femme et liée à l'arrivée de populations du Suriname ou d'Haïti - est aussi une course permanente pour les équipes de soins, et impose, à tous les niveaux, un mode de fonctionnement dégradé. La pression est la plus forte à Saint-Laurent du-Maroni, ville frontalière, où le nouvel hôpital, qui permet de quasiment tripler le nombre de lits, apparaît déjà sous-dimensionné. Il s'agit toutefois d'une avancée déjà considérable vu l'état de délabrement et la sous-capacité des anciens bâtiments, qui sont ceux de l'ancien bagne. À Cayenne, l'augmentation des naissances correspond à une petite maternité de niveau 1 chaque année.
La population de Guyane est très jeune avec plus de 40 % des habitants qui ont moins de 20 ans ; mais les services correspondants, en pédiatrie ou néo-natalité, sont nettement sous-calibrés : d'après l'ordre national des médecins, la Guyane compte 24 pédiatres en 2016, soit une densité deux fois inférieure à la moyenne nationale ; l'offre libérale y est quasi-inexistante.
Le contexte général contribue, en pratique quotidienne, à l'épuisement des équipes de soins, même les plus motivées.
La question de l'attractivité médicale est évidemment centrale. Deux problèmes se conjuguent : la démographie médicale d'une part, et le fort turn over des équipes d'autre part.
L'ensemble du territoire de la Guyane est classé déficitaire en offre de soins. Cela va d'ailleurs plus loin que l'offre strictement médicale. Les structures de prise en charge du handicap, le médico-social, le nombre d'Ehpad, la protection maternelle et infantile (PMI), sont également insuffisants. Les défaillances de l'amont - l'offre libérale - comme de l'aval - les structures d'accueil - se répercutent donc sur l'hôpital.
La Guyane compte environ 600 médecins inscrits à l'ordre, dont moins d'un tiers de libéraux, essentiellement des généralistes ; en 2017, la densité médicale est de 231 médecins pour 100 000 habitants, contre 330 en moyenne nationale. La Guyane est à cet égard en bien meilleure position que Mayotte qui ne compte que 133 médecins pour 100 000 habitants. Compte tenu d'une démographie médicale vieillissante, la dynamique est positive avec un relèvement du nombre de médecins constaté depuis 2010, essentiellement portée par l'arrivée de praticiens diplômés hors de l'Union européenne ; une ordonnance de 2005 a en effet ouvert cette dérogation pour la Guyane, mais celle-ci est compliquée à appliquer en raison des contraintes fixées en interne et des conditions d'exercice préalables exigées.
Il n'en demeure pas moins que des carences pèsent sur certaines spécialités médicales. Il n'est pas rare que des services demeurent fermés : c'était le cas, lors de notre passage, du laboratoire d'anato-pathologie du centre hospitalier de Cayenne ; des spécialités comme la cardiologie ou l'hématologie sont aussi parfois absentes, d'où des évacuations sanitaires vers les Antilles quand cela est possible ou vers l'Hexagone.
La pression sur les équipes, les problèmes d'organisation, le manque d'équipements ou leur vétusté, mais aussi les problèmes d'attractivité générale du territoire - en termes notamment d'offre de logement, de qualité des établissements scolaires ou des services publics d'une manière générale - entraînent une forte rotation des personnels et donc des difficultés dans la continuité des prises en charge. Ces difficultés de recrutement contribuent au fait qu'il manque parfois, dans les établissements de santé, un véritable projet médical : certaines spécialités disparaissent ou sont proposées « au fil de l'eau », au gré des départs ou des arrivées de médecins.
Les établissements de santé font avec des infirmiers ou médecins « sacs à dos », qui viennent vivre une expérience, souvent en début de carrière, pour 6 mois à un an, sans toujours s'investir dans des projets de long terme. Ces difficultés ne sont pas propres, d'ailleurs, au secteur sanitaire : la fonction publique compte, dans tous les domaines, de nombreux postes non pourvus.
Il faut signaler que quelques jours après notre départ, le 3 mai, dix-sept médecins urgentistes du centre hospitalier de Cayenne ont annoncé en bloc leur démission : c'est un signal de la crise qui affecte les services d'urgence, appelés à compenser les carences du système de santé en amont comme en aval, et d'un mal-être des équipes locales. C'est vrai dans l'Hexagone, mais ces problèmes sont exacerbés en Guyane. Le professeur Pierre Carli a été missionné sur place par le ministère. Dans le courant du mois d'août, un protocole d'accord a été trouvé avec la direction de l'hôpital et a mis fin à cette crise en prévoyant l'embauche de nouveaux praticiens et la réorganisation du service.
Au-delà de cet aspect particulier, on voit bien que c'est toute une politique globale d'attractivité du territoire qui est à bâtir, en liaison avec les élus du territoire.
Sur les questions sanitaires et la démographie médicale, nos échanges ont nourri plusieurs axes de réflexion. D'une part, la question de l'adaptation de l'offre de soins et des prises en charge à la réalité des besoins des populations doit être posée : comme le président Alain Milon l'a rappelé, « copier-coller » des solutions existant ailleurs n'est pas une démarche toujours pertinente. Il faut innover et expérimenter. À cet égard, pourquoi ne pas réfléchir à des modes de coopération plus poussées entre professionnels de santé ? Par exemple, afin de prendre en compte les difficultés à disposer de suffisamment de gynécologues, certains actes de prévention ne pourraient-ils pas être délégués à des sages-femmes ?
De nombreux besoins relèvent aussi d'une forme d'accompagnement social. Des infirmiers ou des auxiliaires pourraient être formés à certains actes de dépistage de base par exemple en ophtalmologie. On nous a cité l'exemple d'un cabinet d'ophtalmologie flambant neuf mais vide de médecin : des réponses plus simples pourraient parfois être mieux adaptées aux besoins. Comme pour d'autres territoires sous-dotés en professionnels de santé, une piste serait par ailleurs de former sur place des personnes originaires du territoire. Une préparation aux études d'infirmier vient d'être mise en place et il existe un Institut de Formation en Soins Infirmiers (IFSI) au sein du centre hospitalier de Cayenne pour lequel la pérennité du financement doit être assurée ; cet institut accueille chaque année 290 élèves. Une formation de sages-femmes serait par ailleurs utile vu le nombre de naissances sur le territoire. Quant au numerus clausus des médecins pour la Guyane, il est passé de 5 en 2016-2017 à 12 pour 2018-2019, ce qui est faible mais déjà un progrès ; toutefois, tous ces postes ne sont pas pourvus. Les étudiants doivent par ailleurs poursuivre leurs études en Guadeloupe puis dans l'Hexagone, avec un retour dans la région qui est donc aléatoire ; la suppression annoncée du numerus clausus ne sera pas forcément une solution évidente à ces difficultés. Un système de bourses d'études comme d'autres départements ou régions l'ont mis en place pourrait être envisagé pour les jeunes guyanais.
Se pose parallèlement la question de la structuration de l'offre de soins et de son attractivité pour les praticiens. Il n'existe pas de centre hospitalo-universitaire (CHU) en Guyane, à la différence des Antilles, ni même de groupement hospitalier de territoire (GHT). Un projet médical de territoire est toutefois en projet entre les trois centres hospitaliers et devrait permettre de poser les bases d'un futur GHT, envisagé pour 2019 d'après l'ARS, d'abord avec une mutualisation de services communs. Il faudra veiller à ce que ce GHT s'étende au secteur privé et au médico-social. Une transformation du CH de Cayenne en CHU est évoquée mais ne fait pas l'unanimité notamment par crainte d'un CHU au rabais, sans véritable activité de recherche ; la promotion de pôles d'excellence, sous la forme d'un CHU multi-sites adossé au futur GHT, paraîtrait mieux adaptée. Il existe déjà à Cayenne un laboratoire et des services hospitalo-universitaires de parasito-mycologie, dermatologie et maladies infectieuses et tropicales.
Les coopérations et partenariats offrent aussi un moyen de renforcer l'offre de soins locale. Il faut saluer la convention passée avec l'AP/HP en janvier 2018, qui porte à la fois sur l'appui administratif et l'ingénierie de projet, la coopération médicale et scientifique, par le biais de visio-conférences, téléconsultations, échanges d'expertise, et avec la création de postes d'assistants spécialistes partagés, la recherche et la formation. Reste à présent à mobiliser des volontaires pour ces postes d'assistants partagés. La coopération doit aussi s'entendre entre les équipes présentes sur place : une convention est en préparation avec le service de santé des armées. C'est une avancée même si elle arrive tardivement.
Une dernière question est celle de la coopération transfrontalière. Comme l'a rappelé le Président Alain Milon, nous avons rencontré à Saint-Laurent-du-Maroni Dominique Voynet, chargée par le premier ministre, avec le préfet Marcel Renouf, d'une mission visant à redéfinir la coopération sanitaire transfrontalière entre la Guyane et le Suriname et entre Mayotte et les Comores, dans un contexte de pression migratoire. Cette mission est en cours et nous serons attentifs aux propositions qui seront formulées.
Il faut souligner que la santé n'est pas le seul déterminant des migrations et que le renforcement de l'offre de santé de l'autre côté de la frontière, en l'occurrence au Suriname, ne suffira pas à répondre à la situation de saturation de l'offre de soins sur l'ouest guyanais, le long du Maroni. L'offre de soins n'est d'ailleurs pas nulle de l'autre côté de la frontière, même si elle ne répond pas à certains de nos standards. Des formes de coopération seraient possibles ; un groupe de travail vient d'être installé pour avancer en ce sens, mais le contexte politique rend les choses compliquées.
En Guadeloupe, notre mission s'est déroulée dans un contexte encore marqué par la gestion de crise, à la suite de l'incendie qui a ravagé une partie du CHU de Pointe-à-Pitre le 28 novembre 2017. La situation est inédite. Cet incendie, déclaré au niveau d'un local technique, a nécessité une évacuation totale en quelques heures des patients et de l'établissement - soit 1 200 personnes dont 700 patients -, sans faire heureusement de victime. Les dégâts ont toutefois été importants sur un bâtiment datant de la fin des années 1970, déjà très vétuste au point que la construction d'un nouveau site était envisagée. Ce projet de nouvel hôpital, représentant un investissement à hauteur de 580 millions d'euros, avait fait l'objet d'un rapport d'expertise dès 2014-2015. Il est devenu d'autant plus nécessaire.
Un grand nombre de nos échanges, avec les professionnels et élus locaux, ainsi qu'avec la nouvelle directrice générale de l'ARS, nommée juste deux mois avant notre arrivée, ont porté sur la gestion de court terme de cette crise, mais surtout sur les leçons à en tirer pour organiser l'après. Pour un territoire insulaire, les enjeux de structuration du système de soins sont cruciaux.
À court terme, l'incendie a ouvert une zone de turbulences aussi propice aux innovations. Comme nous l'avons constaté, les conséquences de l'incendie du CHU ont pu être correctement prises en charge grâce à la mobilisation des autres établissements de santé, publics comme privés, vers lesquels des services du CHU ont dû être transférés. Cela a permis d'assurer dans les meilleures conditions possibles la continuité des prises en charge et la gestion des urgences vitales.
La situation a toutefois avivé des tensions et inquiétudes au sein du personnel du CHU, impacté dans ses conditions de travail, du fait de l'éclatement des sites ou de questions de sécurité liées à la présence de poussières ou moisissures. Le dialogue social demeurait encore tendu au moment de notre visite, d'autant que des incertitudes portaient encore sur la réorganisation du site : étaient à l'étude une option de délocalisation partielle ou une autre de délocalisation totale, dans des bâtiments modulaires. Courant juin, c'est l'option d'une délocalisation partielle associée au nettoyage et à la décontamination d'une partie des actuels bâtiments, fortement endommagés, qui a été retenue. La perspective demeure celle d'un nouveau bâtiment pour le CHU d'ici 2022-2024. Dans l'immédiat, l'État a débloqué une aide de 69 millions d'euros. Il est impératif que le nouvel hôpital puisse être fonctionnel dans les meilleurs délais.
Les perspectives sont ainsi plus claires pour les personnels comme les usagers mais il faut aussi en tirer des enseignements pour l'avenir, sur l'organisation territoriale de l'offre de soins.
Paradoxalement, cette situation de crise a amorcé une dynamique intéressante à valoriser en obligeant les uns et les autres à travailler de concert. Nous avons visité, en dehors du CHU, plusieurs établissements de santé : le centre hospitalier de Basse-Terre, deuxième hôpital de l'île, une clinique privée, les nouvelles eaux vives, et un centre spécialisé en soins psychiatriques. Nous avons également échangé lors d'une table ronde avec les représentants des autres établissements de santé ou de soins de suite et des professionnels libéraux. Tous ont insisté sur les nécessaires complémentarités au niveau du territoire, entre public et privé, sanitaire et médico-social, ville et hôpital, pour optimiser les prises en charge.
Un projet médical partagé pour l'ensemble du territoire devrait convertir les coopérations nouées dans le contexte de crise en des partenariats de long terme.
Les réflexions sont notamment à orienter vers l'identification et la structuration de filières ou services d'excellence ; le U du CHU c'est-à-dire le volet universitaire et de recherche gagnerait là aussi à être multi-sites, pourquoi pas en liaison avec le CHU de Martinique, pour développer des pôles d'attractivité. Les acteurs de la psychiatrie ont engagé une initiative intéressante en ce sens en se regroupant, depuis janvier 2018, en établissement public de santé mentale.
Il faut aussi se donner les moyens de former plus de médecins sur place, alors que seules les trois premières années se déroulent aujourd'hui sur le territoire. En effet, le territoire doit être auto-suffisant en offre de soins alors même qu'il peine, dans des proportions toutefois moindres que la Guyane, à attirer des médecins. Des manques sont sensibles dans certaines spécialités, comme la cardiologie ou la psychiatrie, alors que les pathologies sont fréquentes. Les hôpitaux fonctionnent avec un grand nombre de « mercenaires ».
Il pourrait y avoir un intérêt, de l'avis de certaines personnes sur place, à bénéficier, comme la Guyane, d'une dérogation pour l'accueil de médecins diplômés hors de l'Union européenne. Cette piste mérite d'être étudiée.
Par ailleurs, la publication récente du décret sur les infirmières de pratiques avancées offre aussi des opportunités, en particulier pour le suivi d'une population vieillissante - 20 % a plus de 60 ans - et le développement de l'ambulatoire ou d'alternatives à l'offre en Ehpad, largement insuffisante et inaccessible financièrement pour une partie de la population : la densité en infirmiers libéraux est en Guadeloupe le double de la moyenne nationale - environ 260 pour 100 000 habitants contre moins de 57 en Seine-Saint-Denis ou dans le Val-de-Marne -. Il serait utile de monter sur l'île des formations de pratique avancée pour accompagner leur montée en compétences.
Face à ces défis, le territoire est le siège d'expérimentations intéressantes. Une plateforme territoriale d'appui (PTA) a été mise en place en février 2016. C'est l'une des premières à fonctionner, dans le cadre prévu par la loi de modernisation de notre système de santé. Cet outil, sollicité par les professionnels de santé, notamment les médecins, permet une coordination des acteurs pour la prise en charge de cas complexes et la mobilisation de ressources dans une approche ciblée sur le patient, en libérant du temps médical. Toutefois, le taux d'activité reste faible même si l'enthousiasme des équipes laisse à penser qu'il pourrait monter en charge. La télémédecine est aussi une priorité, surtout avec les territoires voisins comme Saint-Martin ou les zones isolées comme Les Saintes : la tarification des actes qui entre en vigueur en cette rentrée est incontestablement un levier à son essor.
Un autre enjeu que partage la Guadeloupe avec la Guyane est celle des surcoûts liés à l'insularité ou à l'isolement. Ces surcoûts - comme les majorations pour vie chère des salaires des fonctionnaires ou ceux liés à la cherté de certains travaux ou équipements - sont de l'avis des hospitaliers sous-estimés : la FHF locale les a évalués à environ 35 % alors que le coefficient actuel pris en compte dans le cadre de la tarification à l'activité est de 27 %. Les dépenses de médicaments pèsent notamment sur la trésorerie des établissements ; le non-paiement des droits de douane peut bloquer certaines livraisons, nous a-t-on dit, notamment au moment des fêtes de fin d'année. C'est aussi le cas du poste des transports et évacuations sanitaires. Cela plaiderait pour une plus large mutualisation et une concentration des achats de médicaments que la Cour des comptes a appelée de ses voeux dans un rapport de 2017 sur la politique d'achat des hôpitaux. L'assurance maladie pourrait également négocier pour les outre-mer les tarifs des transports et évacuations sanitaires, pour parvenir à une baisse des coûts.
Quelques mots pour finir d'enjeux de santé publique. Nous avons fait un point sur des actions de lutte anti-vectorielles, qui passent notamment par des actions de sensibilisation de la population. Nous avons également abordé la question du chlordécone qui empoisonne la vie de nos concitoyens des Antilles. L'utilisation de cet insecticide sur les plantations de banane, pour lutter contre le charançon du bananier, entre 1972 et 1993, a entraîné une pollution des sols contre laquelle il n'existe aujourd'hui aucune solution.
Pour mémoire, le produit avait été interdit dès 1976 aux États-Unis en raison de sa toxicité. C'est principalement le sud de l'île qui est concerné - soit environ 16 % des parcelles d'usage agricole -, mais aussi les zones maritimes qui les bordent. Les risques sur la santé humaine de l'exposition à cette molécule, par la voie de l'alimentation, ont donné lieu depuis la fin des années 90 à de nombreuses recherches, en particulier par l'Inserm. Il existe ainsi un risque augmenté de survenue du cancer de la prostate, de prématurité ou des retards de la croissance. Ces études montrent aussi, ce qui est plus positif, une tendance à la diminution de la contamination corporelle de la population, à laquelle contribuent les mesures de prévention individuelle et collective mises en place depuis 2008 dans le cadre des « plans chlordécone » successifs. Un rapport de l'OPECST de notre collègue Catherine Procaccia a fait le point en 2009 sur ce sujet.
Nous en sommes aujourd'hui au plan 3, avec 94 millions d'euros mobilisés en 10 ans sur des actions de communication, de prévention - comme l'accompagnement des pratiques d'auto-alimentation par l'analyse des jardins créoles - ou encore de recherche. Certaines questions comme celle des seuils de limites maximales de résidus présents dans l'alimentation suscitent encore des débats, ce qui a donné lieu à un récent avis de l'Anses.
Ce sujet reste en tout cas une source de préoccupations et nous éclaire sur la vigilance à avoir à l'égard des risques environnementaux sur la santé, comme nous en avons récemment débattu avec l'examen d'une proposition de loi portant création d'un fonds d'indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques.
Voici, mes chers collègues, les principaux enseignements de cette mission. Nous avons regretté de ne pouvoir consacrer du temps, sur place, avec nos collègues « locaux », Victoire Jasmin et Guillaume Arnell, qui étaient mobilisés de leur côté, au même moment, par une mission de la délégation sénatoriale aux outre-mer.
Au-delà des éclairages de nos collègues ultramarins qui sont indispensables, au quotidien, pour notre commission et sa bonne mesure des enjeux propres à ces territoires, j'estime qu'il est utile et même indispensable que plusieurs d'entre nous puissent, à intervalles réguliers, se rendre aussi sur place pour appréhender directement la situation locale et améliorer notre connaissance collective. Je vous remercie de votre attention.
Je vous remercie de la qualité de votre présentation et surtout de vous être déplacés pour mieux évaluer les problèmes spécifiques qui se posent dans les outre-mer. À Saint-Pierre-et-Miquelon, tout problème de santé sérieux implique le transfert du patient vers la métropole ou le Canada ! La diversité de nos situations implique des réponses adaptées.
Il faut tenir compte du contexte local. Les études des professionnels de santé impliquent, à un moment ou un autre, un séjour dans l'Hexagone, ce qui ne facilite pas leur retour sur le territoire.
Le recours, dans les outre-mer, à des médecins étrangers diplômés hors de l'Union européenne, pose problème en raison d'une directive européenne. Or, il serait bon que l'Europe accorde l'autorisation d'installation aux médecins cubains, dont la formation est tout à fait remarquable et dont les compétences répondraient aux besoins de la population des Antilles.
Aller sur place nous a permis de mesurer la diversité des situations dans les outre-mer, où toute tentative de reproduire à l'identique le système de soins de la métropole est vouée à l'échec. J'ai été extrêmement choquée de constater que ni le transfert des patients ni l'acheminement de matériel médical n'était considéré comme prioritaire par le fret aérien. Ne pourrions-nous pas réquisitionner des avions militaires ou bénéficier d'un accès spécifique aux avions de ligne pour répondre efficacement à ces situations d'urgence ?
Dans les Antilles, il n'y a pas de formation pour les orthophonistes qui sont absents des hôpitaux, mais dont les compétences sont pourtant essentielles à la rééducation des personnes à la suite d'un AVC. Des mesures ponctuelles et essentielles à l'amélioration du quotidien pourraient être mises en oeuvre !
La réunion est close à 12 heures.