La situation du système de santé en Guyane nous a, en effet, interpelés. Nous y avons rencontré les équipes administratives et médicales de trois centres hospitaliers : celui de Cayenne - le centre hospitalier Andrée Rosemon ou CHAR -, celui de l'ouest Guyanais à Saint-Laurent-du-Maroni et enfin celui de Kourou. Nous avons également échangé avec de nombreux acteurs du système de santé guyanais, les représentants de l'État - préfet, Agence régionale de santé -, des élus locaux, des associations.
Un an plus tôt, le territoire avait traversé un mouvement social de grande ampleur, marqué par un mois de grève générale. Les « accords de Cayenne » signés le 21 avril 2017 y ont mis un terme, en déployant un plan d'urgence immédiat d'un milliard d'euros orienté vers la sécurité, l'éducation ou encore la santé : 60 millions d'euros ont été délégués au centre hospitalier de Cayenne pour lui permettre de payer ses fournisseurs et de se moderniser, 25 millions d'euros au centre hospitalier de l'Ouest Guyanais pour renforcer son budget d'investissement alors qu'un nouvel hôpital, dont nous avons visité le chantier, doit ouvrir ce mois-ci après 5 ans et 140 millions d'euros de travaux. Rappelons que ce projet a été lancé en 2005. Ce plan d'urgence a aussi prévu le maintien dans le service public du centre médico-chirurgical de Kourou, relevant jusqu'alors de la Croix-Rouge et qu'il était envisagé de céder à un organisme privé : celui-ci a été transformé en établissement public de santé au 1er janvier 2018.
Nous avons perçu une situation encore tendue à bien des égards. Le contexte géographique, démographique comme social pose en effet un défi particulier au système de soins guyanais.
L'enjeu d'accès aux soins est majeur d'abord pour des raisons physiques qui tiennent aux particularités du territoire : vaste de plus de 83 000 km2, recouvert à 99 % par la forêt amazonienne, près des 9/10ème de la population se concentrent sur le littoral. Le coût et les délais de transports sont un frein évident : l'accès aux soins devient vite un « parcours du combattant ». Certaines zones de l'intérieur ne sont accessibles qu'en deux à trois jours de pirogue. 18 centres délocalisés de prévention et de soins, qui dépendent de l'hôpital de Cayenne, maillent ce territoire, notamment le long des deux fleuves qui le bordent - le Maroni à l'ouest, l'Oyapock à l'est - ; moins de la moitié assurent une présence médicale continue. Plus de 200 patients par mois sont ainsi transférés vers les hôpitaux de Cayenne ou Saint-Laurent-du-Maroni. L'ARS a évoqué une expérimentation avec l'Assurance-maladie visant à reconnaître la pirogue comme transport sanitaire : ce serait une adaptation utile. Les hôtels hospitaliers offrent une autre piste intéressante pour accueillir ces patients venant de communes isolées ; un site de 25 places est en projet au centre hospitalier de Cayenne. De telles initiatives sont à soutenir pour libérer des lits médicaux alors que la durée moyenne des séjours est plus élevée qu'ailleurs et crée une pression sur les services.
La question de l'accès aux droits est aussi centrale. Le taux de pauvreté en Guyane est d'après l'Insee de 44 %. Pour les établissements de santé que nous avons visités, la part des patients sans couverture sociale ou sans papier est de 20 à 30 %, ce qui allonge la durée des séjours, le temps de les accompagner dans des démarches, et pèse sur la trésorerie des établissements. D'après la directrice de la caisse de sécurité sociale de Guyane, 11 % de la population relève de l'AME et 45 % des assurés bénéficient de la CMU-C ou de l'aide à la complémentaire santé (ACS). La précarité de la population a aussi un impact très concret sur leur état de santé, avec une concentration de pathologies lourdes, ou très avancées, des diagnostics tardifs, par exemple pour le VIH ce qui entraîne une surmortalité liée au Sida par rapport à la métropole et encore des cas de contamination mère-enfant, comme nous l'a indiqué l'association Aides. Cette précarité, notamment des logements, freine aussi le développement de l'hospitalisation à domicile par exemple, ce qui se répercute, là encore, sur les établissements de santé. Il faut aussi tenir compte des différences culturelles des populations amazoniennes et adapter les dispositifs de prévention comme de dépistage, ce qui n'est pas toujours le cas ; les professionnels de santé doivent y être formés.
La pression démographique - à la fois endogène puisque le taux de fécondité est de 3,5 enfants par femme et liée à l'arrivée de populations du Suriname ou d'Haïti - est aussi une course permanente pour les équipes de soins, et impose, à tous les niveaux, un mode de fonctionnement dégradé. La pression est la plus forte à Saint-Laurent du-Maroni, ville frontalière, où le nouvel hôpital, qui permet de quasiment tripler le nombre de lits, apparaît déjà sous-dimensionné. Il s'agit toutefois d'une avancée déjà considérable vu l'état de délabrement et la sous-capacité des anciens bâtiments, qui sont ceux de l'ancien bagne. À Cayenne, l'augmentation des naissances correspond à une petite maternité de niveau 1 chaque année.