La population de Guyane est très jeune avec plus de 40 % des habitants qui ont moins de 20 ans ; mais les services correspondants, en pédiatrie ou néo-natalité, sont nettement sous-calibrés : d'après l'ordre national des médecins, la Guyane compte 24 pédiatres en 2016, soit une densité deux fois inférieure à la moyenne nationale ; l'offre libérale y est quasi-inexistante.
Le contexte général contribue, en pratique quotidienne, à l'épuisement des équipes de soins, même les plus motivées.
La question de l'attractivité médicale est évidemment centrale. Deux problèmes se conjuguent : la démographie médicale d'une part, et le fort turn over des équipes d'autre part.
L'ensemble du territoire de la Guyane est classé déficitaire en offre de soins. Cela va d'ailleurs plus loin que l'offre strictement médicale. Les structures de prise en charge du handicap, le médico-social, le nombre d'Ehpad, la protection maternelle et infantile (PMI), sont également insuffisants. Les défaillances de l'amont - l'offre libérale - comme de l'aval - les structures d'accueil - se répercutent donc sur l'hôpital.
La Guyane compte environ 600 médecins inscrits à l'ordre, dont moins d'un tiers de libéraux, essentiellement des généralistes ; en 2017, la densité médicale est de 231 médecins pour 100 000 habitants, contre 330 en moyenne nationale. La Guyane est à cet égard en bien meilleure position que Mayotte qui ne compte que 133 médecins pour 100 000 habitants. Compte tenu d'une démographie médicale vieillissante, la dynamique est positive avec un relèvement du nombre de médecins constaté depuis 2010, essentiellement portée par l'arrivée de praticiens diplômés hors de l'Union européenne ; une ordonnance de 2005 a en effet ouvert cette dérogation pour la Guyane, mais celle-ci est compliquée à appliquer en raison des contraintes fixées en interne et des conditions d'exercice préalables exigées.
Il n'en demeure pas moins que des carences pèsent sur certaines spécialités médicales. Il n'est pas rare que des services demeurent fermés : c'était le cas, lors de notre passage, du laboratoire d'anato-pathologie du centre hospitalier de Cayenne ; des spécialités comme la cardiologie ou l'hématologie sont aussi parfois absentes, d'où des évacuations sanitaires vers les Antilles quand cela est possible ou vers l'Hexagone.
La pression sur les équipes, les problèmes d'organisation, le manque d'équipements ou leur vétusté, mais aussi les problèmes d'attractivité générale du territoire - en termes notamment d'offre de logement, de qualité des établissements scolaires ou des services publics d'une manière générale - entraînent une forte rotation des personnels et donc des difficultés dans la continuité des prises en charge. Ces difficultés de recrutement contribuent au fait qu'il manque parfois, dans les établissements de santé, un véritable projet médical : certaines spécialités disparaissent ou sont proposées « au fil de l'eau », au gré des départs ou des arrivées de médecins.
Les établissements de santé font avec des infirmiers ou médecins « sacs à dos », qui viennent vivre une expérience, souvent en début de carrière, pour 6 mois à un an, sans toujours s'investir dans des projets de long terme. Ces difficultés ne sont pas propres, d'ailleurs, au secteur sanitaire : la fonction publique compte, dans tous les domaines, de nombreux postes non pourvus.
Il faut signaler que quelques jours après notre départ, le 3 mai, dix-sept médecins urgentistes du centre hospitalier de Cayenne ont annoncé en bloc leur démission : c'est un signal de la crise qui affecte les services d'urgence, appelés à compenser les carences du système de santé en amont comme en aval, et d'un mal-être des équipes locales. C'est vrai dans l'Hexagone, mais ces problèmes sont exacerbés en Guyane. Le professeur Pierre Carli a été missionné sur place par le ministère. Dans le courant du mois d'août, un protocole d'accord a été trouvé avec la direction de l'hôpital et a mis fin à cette crise en prévoyant l'embauche de nouveaux praticiens et la réorganisation du service.
Au-delà de cet aspect particulier, on voit bien que c'est toute une politique globale d'attractivité du territoire qui est à bâtir, en liaison avec les élus du territoire.
Sur les questions sanitaires et la démographie médicale, nos échanges ont nourri plusieurs axes de réflexion. D'une part, la question de l'adaptation de l'offre de soins et des prises en charge à la réalité des besoins des populations doit être posée : comme le président Alain Milon l'a rappelé, « copier-coller » des solutions existant ailleurs n'est pas une démarche toujours pertinente. Il faut innover et expérimenter. À cet égard, pourquoi ne pas réfléchir à des modes de coopération plus poussées entre professionnels de santé ? Par exemple, afin de prendre en compte les difficultés à disposer de suffisamment de gynécologues, certains actes de prévention ne pourraient-ils pas être délégués à des sages-femmes ?