En Guadeloupe, notre mission s'est déroulée dans un contexte encore marqué par la gestion de crise, à la suite de l'incendie qui a ravagé une partie du CHU de Pointe-à-Pitre le 28 novembre 2017. La situation est inédite. Cet incendie, déclaré au niveau d'un local technique, a nécessité une évacuation totale en quelques heures des patients et de l'établissement - soit 1 200 personnes dont 700 patients -, sans faire heureusement de victime. Les dégâts ont toutefois été importants sur un bâtiment datant de la fin des années 1970, déjà très vétuste au point que la construction d'un nouveau site était envisagée. Ce projet de nouvel hôpital, représentant un investissement à hauteur de 580 millions d'euros, avait fait l'objet d'un rapport d'expertise dès 2014-2015. Il est devenu d'autant plus nécessaire.
Un grand nombre de nos échanges, avec les professionnels et élus locaux, ainsi qu'avec la nouvelle directrice générale de l'ARS, nommée juste deux mois avant notre arrivée, ont porté sur la gestion de court terme de cette crise, mais surtout sur les leçons à en tirer pour organiser l'après. Pour un territoire insulaire, les enjeux de structuration du système de soins sont cruciaux.
À court terme, l'incendie a ouvert une zone de turbulences aussi propice aux innovations. Comme nous l'avons constaté, les conséquences de l'incendie du CHU ont pu être correctement prises en charge grâce à la mobilisation des autres établissements de santé, publics comme privés, vers lesquels des services du CHU ont dû être transférés. Cela a permis d'assurer dans les meilleures conditions possibles la continuité des prises en charge et la gestion des urgences vitales.
La situation a toutefois avivé des tensions et inquiétudes au sein du personnel du CHU, impacté dans ses conditions de travail, du fait de l'éclatement des sites ou de questions de sécurité liées à la présence de poussières ou moisissures. Le dialogue social demeurait encore tendu au moment de notre visite, d'autant que des incertitudes portaient encore sur la réorganisation du site : étaient à l'étude une option de délocalisation partielle ou une autre de délocalisation totale, dans des bâtiments modulaires. Courant juin, c'est l'option d'une délocalisation partielle associée au nettoyage et à la décontamination d'une partie des actuels bâtiments, fortement endommagés, qui a été retenue. La perspective demeure celle d'un nouveau bâtiment pour le CHU d'ici 2022-2024. Dans l'immédiat, l'État a débloqué une aide de 69 millions d'euros. Il est impératif que le nouvel hôpital puisse être fonctionnel dans les meilleurs délais.
Les perspectives sont ainsi plus claires pour les personnels comme les usagers mais il faut aussi en tirer des enseignements pour l'avenir, sur l'organisation territoriale de l'offre de soins.
Paradoxalement, cette situation de crise a amorcé une dynamique intéressante à valoriser en obligeant les uns et les autres à travailler de concert. Nous avons visité, en dehors du CHU, plusieurs établissements de santé : le centre hospitalier de Basse-Terre, deuxième hôpital de l'île, une clinique privée, les nouvelles eaux vives, et un centre spécialisé en soins psychiatriques. Nous avons également échangé lors d'une table ronde avec les représentants des autres établissements de santé ou de soins de suite et des professionnels libéraux. Tous ont insisté sur les nécessaires complémentarités au niveau du territoire, entre public et privé, sanitaire et médico-social, ville et hôpital, pour optimiser les prises en charge.
Un projet médical partagé pour l'ensemble du territoire devrait convertir les coopérations nouées dans le contexte de crise en des partenariats de long terme.
Les réflexions sont notamment à orienter vers l'identification et la structuration de filières ou services d'excellence ; le U du CHU c'est-à-dire le volet universitaire et de recherche gagnerait là aussi à être multi-sites, pourquoi pas en liaison avec le CHU de Martinique, pour développer des pôles d'attractivité. Les acteurs de la psychiatrie ont engagé une initiative intéressante en ce sens en se regroupant, depuis janvier 2018, en établissement public de santé mentale.
Il faut aussi se donner les moyens de former plus de médecins sur place, alors que seules les trois premières années se déroulent aujourd'hui sur le territoire. En effet, le territoire doit être auto-suffisant en offre de soins alors même qu'il peine, dans des proportions toutefois moindres que la Guyane, à attirer des médecins. Des manques sont sensibles dans certaines spécialités, comme la cardiologie ou la psychiatrie, alors que les pathologies sont fréquentes. Les hôpitaux fonctionnent avec un grand nombre de « mercenaires ».