Intervention de Philippe Bas

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 3 octobre 2018 à 9h15
Projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice et projet de loi organique relatif au renforcement de l'organisation des juridictions — Examen du rapport et des textes proposés par la commission

Photo de Philippe BasPhilippe Bas, président :

Je vous remercie de nous avoir présenté la réforme de manière très complète et de nous avoir proposé des inflexions importantes.

Notre référence est le rapport que nous avons rendu public en avril 2017, ainsi que les textes que nous avons adoptés en octobre 2017, lesquels n'ont pas été inscrits à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Nous apprécions également ces textes à l'aune des engagements du Président de la République sur un certain nombre de points.

D'un point de vue budgétaire, la ventilation des moyens étant tout à fait floue dans le texte, il faut la préciser. Indéniablement, un effort substantiel est proposé par rapport au quinquennat précédent. Il est au niveau de ce qui a déjà été prévu dans la loi de programmation des finances publiques. À l'évidence, la situation de la justice est très mauvaise. Alors que le délai moyen de traitement des affaires dans les tribunaux de grande instance était de 10,8 mois en 2015, il est de 11,8 mois cette année. La situation se dégrade très rapidement.

Le nombre de magistrats avait baissé à la fin du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Compte tenu du temps de formation des magistrats, il n'a pu augmenter qu'à la fin du quinquennat précédent, mais 250 postes de magistrats et plusieurs centaines de postes de greffiers ne sont aujourd'hui toujours pas pourvus dans les juridictions.

Le délai moyen de jugement des délits en première instance est d'un an et de quinze mois en appel. On compte chaque année 2,9 millions d'affaires civiles et 1,2 million d'affaires pénales nouvelles. Notre justice est en partie embolisée. Pour rétablir le bon fonctionnement de la justice, y compris en matière d'exécution des peines, la nation doit donner un coup de rein considérable.

Je vous rappelle que, de façon très prudente, nous avions prévu dans notre proposition de loi de programmation une augmentation des crédits de la justice de 33,8 % sur cinq ans. Le Gouvernement prévoit une hausse substantielle, certes, mais elle n'est « que » de 23,5 %. La dernière loi de programmation pour la justice, en 2002, prévoyait une augmentation de 37 %. Une discussion s'impose donc sur les moyens accordés pour le redressement de la justice.

L'aide juridictionnelle est la grande oubliée du texte. Elle concerne 1 million de personnes en France. Alors que la loi prévoit depuis vingt-cinq ans une appréciation des mérites de la cause avant l'attribution de l'aide juridictionnelle, celle-ci n'est jamais faite. Le financement de l'aide juridictionnelle n'est pas assuré. Il était très important que vous proposiez d'introduire des dispositions sur ce point.

Dans le plan de construction de places de prison, alors que les engagements présidentiels correspondaient exactement aux besoins identifiés par le Sénat, seules 7 000 des 15 000 places initialement envisagées sont finalement prévues d'ici 2022. De plus, le travail n'étant pas encore engagé, ces 7 000 places ne seront vraisemblablement pas réalisées selon nos rapporteurs, ce qui est préoccupant.

D'autres points méritent également notre attention, tel le glissement des pouvoirs du juge d'instruction vers le procureur. Il faut y regarder à deux fois avant d'appliquer ce que nous avons déjà accepté en matière de terrorisme à des délits punissables de trois ans de prison. Le Sénat doit se conformer à sa tradition de protecteur des libertés. Nous devrons être très attentifs aux propositions de nos deux rapporteurs.

En matière d'exécution des peines, on espérait une clarification et la fin de l'automaticité de l'examen de la peine en vue de son aménagement. Or force est de constater que le texte n'est pas très lisible. Il prévoit des différenciations entre les peines, qui rendent assez compliquée sa mise en oeuvre. Vos propositions de simplification bénéficieront certainement d'une attention bienveillante de la commission.

Vous n'avez pas développé la question du procureur national antiterroriste, car elle ne figure pas dans le texte du Gouvernement. Alors que le Gouvernement avait annoncé la création d'un parquet national antiterroriste, il y a renoncé, avant finalement de se raviser en proposant de le créer par voie d'amendement, lequel nous a déjà été communiqué. Le parquet de Paris a-t-il failli dans sa tâche ? Le parquet national antiterroriste sera-t-il réellement séparé du parquet de Paris, qui comprend un vivier très important de magistrats du ministère public, dont on a besoin en cas d'attentat ? Toutes ces questions doivent être examinées. Il ne suffit pas de gesticuler autour d'une réforme pour accroître l'efficacité de l'action publique en matière de terrorisme.

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