Intervention de Marie-Françoise Perol-Dumont

Délégation aux collectivités territoriales — Réunion du 5 juillet 2018 : 1ère réunion
Examen du rapport d'information « faciliter l'exercice des mandats locaux »

Photo de Marie-Françoise Perol-DumontMarie-Françoise Perol-Dumont :

Monsieur le Président, comme vous venez de le souligner, les élus locaux doivent faire face sur le terrain à une nouvelle réalité territoriale : contraintes financières de plus en plus pesantes, menace de la responsabilité pénale devant le juge, technicité croissante des missions et des politiques publiques. Symétriquement, une extrême disponibilité dans de vastes domaines de compétence est attendue d'eux. C'est un résumé rapide des causes du malaise des élus locaux, à tous les échelons territoriaux. Cette situation ne peut qu'alerter le Sénat, représentant des territoires. Ce rapport sert à alerter sur la désaffection et la crise des vocations qui menace les élus locaux.

La « nouvelle donne des mandats locaux », apparue depuis quelques années, s'explique par un certain nombre de facteurs :

- une action publique devenue complexe : l'action publique est devenue un véritable labyrinthe pour les élus locaux. La décentralisation, si elle a incontestablement donné plus de responsabilités aux élus, a aussi généré une complexité et une technicité croissantes. Aujourd'hui, en pratique, l'élu doit disposer de connaissances précises dans de nombreux domaines d'intervention et doit composer avec le maquis normatif à mettre en oeuvre quotidiennement. Cette situation est particulièrement vérifiée dans les petites communes dépourvues de services étoffés.

Les relations avec l'État sont devenues problématiques, comme Éric Doligé et moi-même l'avions signalé en 2016 : retrait progressif des administrations déconcentrées des territoires, cohérence insuffisante de l'organisation étatique subsistante, contradiction entre affaiblissement des services déconcentrés et volonté intacte d'ubiquité de l'État, doublons administratifs et problème de l'articulation entre l'État et les collectivités territoriales dans le champ des compétences décentralisées. Ces évolutions affectent d'autant plus profondément les conditions de l'action publique que les politiques publiques territoriales sont de plus en plus conçues et mises en oeuvre dans un cadre partenarial associant l'État et les collectivités.

Les élus locaux sont donc victimes d'un véritable « effet de ciseaux » : accroissement de la charge de travail dans un contexte d'hyperinflation normative, d'une part ; risques et insécurités juridiques toujours plus prégnants, en raison d'une jurisprudence pénale souvent illisible par eux, d'autre part.

- deux réformes récentes ont modifié les conditions d'exercice des mandats locaux : la première est la législation sur le non-cumul des mandats, qui a conduit nombre de nos collègues à renoncer à un mandat exécutif local ou à se consacrer à leurs mandats locaux. Les élus locaux ont acté cette nouvelle donne et 73,9 % estiment que ses effets seront positifs. Je serai plus critique sur le projet de non-cumul des mandats locaux dans le temps, prévu à l'article 5 du projet de loi pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, en lecture à l'Assemblée nationale, dont les effets pourraient accentuer la crise des vocations, notamment dans les petites communes. La limitation envisagée ne sera cependant pas applicable aux communes de moins de 9 000 habitants ni aux EPCI à fiscalité propre de moins de 25 000 habitants. Les problèmes induits par cette nouvelle contrainte sont significatifs : la rotation plus rapide des mandats obligera de plus en plus d'élus locaux à penser très vite à l'après-mandat.

La seconde réforme concerne la réduction possible du nombre des élus locaux, évoquée par le Président de la République lors de la CNT du 17 juillet 2017, bien que relativisée par la ministre Jacqueline Gourault en février dernier. Cette réduction comporterait des risques majeurs, notamment pour les petites communes situées sur des territoires enclavés et isolés, la baisse du nombre d'élus conduisant à faire reposer sur ceux qui restent des missions et des responsabilités accrues. Cette dégradation risque de causer une désaffection se traduisant par une « crise des vocations ». Ce constat de lassitude est une réalité confirmée par la consultation, comme le montreront Françoise Gatel et Éric Kerrouche.

Le travail de notre Délégation survient au moment opportun, les propositions des rapporteurs thématiques allant toutes dans le sens d'une amélioration des conditions d'exercice des mandats locaux. Sans expliciter chaque recommandation en détail, il est possible d'en exprimer les principales orientations.

Notre ligne directrice a été de perfectionner les conditions d'exercice des mandats locaux sans remettre en cause la conception française de la démocratie locale. Certes, dans de nombreuses situations, la fonction d'élu local ressemble à une activité professionnelle, mais les élus ne sont pas des salariés ou des entrepreneurs, bien qu'ils entreprennent sans relâche.

Nous avons voulu répondre point par point aux attentes légitimes des élus locaux, sans tenter d'imaginer un changement de paradigme auquel notre pays n'est pas disposé, mais avec des propositions pragmatiques aux trois stades de la vie de l'élu local : l'entrée dans le mandat, l'exercice et la sortie.

Au moment de l'entrée, la diversification accrue des élus locaux, du point de vue de la catégorie socioprofessionnelle, du genre ou de l'âge, s'impose comme une évidence.

L'exercice du mandat nécessite un cadre plus sécurisant, correspondant aux besoins réels des élus, en particulier la juste rémunération d'une activité chronophage, l'établissement d'un régime social plus lisible et plus adapté à l'existence parallèle d'une vie professionnelle et personnelle. Le non-cumul des mandats dans le temps accentue cette nécessité. Charles Guené et Josiane Costes aborderont les aspects indemnitaires, tandis que Daniel Chasseing et Marc Daunis reviendront sur le régime social. En raison de la démobilisation et des inquiétudes causées par le risque pénal, les élus locaux, subissant la judiciarisation croissante de la société, devront également être sécurisés au plan juridique. Ces points seront repris par François Grosdidier et Alain Richard.

L'étape difficile de la sortie du mandat doit être mieux organisée, à travers une meilleure appropriation des dispositifs de formation et le perfectionnement des outils de reconversion professionnelle. Antoine Lefèvre et Michelle Gréaume présenteront leurs recommandations sur ce thème.

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