Mesdames et Messieurs les rapporteurs, chers collègues, notre réunion devra concilier l'exigence de brièveté, car 14 rapporteurs doivent présenter leurs exposés, et la nécessité pour chacun et chacune de s'exprimer. L'exercice de ce matin repose sur votre autodiscipline.
Avant d'ouvrir les interventions, qui traduisent un travail de fond, je souhaite au préalable vous exposer la méthode de communication et de dialogue avec la ministre Jacqueline Gourault. Je propose d'emblée de ne pas communiquer immédiatement sur le rapport, afin de ménager un temps de dialogue avec le Gouvernement.
Après que le sujet ait été évoqué par le Président de la République devant la Conférence nationale des territoires (CNT) réunie au Sénat le 17 juillet 2017, le Président du Sénat a souhaité que la Délégation aux collectivités territoriales se saisisse du statut des élus locaux, sujet figurant à l'ordre du jour de la CNT du 14 décembre 2017 et qui est au coeur du dialogue entre le Gouvernement et le Parlement.
À l'origine de cette initiative se trouve un malaise bien connu à l'égard des conditions d'exercice des mandats, dû à une organisation territoriale de plus en plus complexe, issue d'un enchevêtrement de réformes, de politiques publiques de plus en plus enchevêtrées entre les différents niveaux d'administration, et de la montée en puissance des exigences de toutes sortes exprimées par les administrés, face auxquelles les maires, particulièrement dans les plus petites communes, sont en première ligne.
Les élus locaux ressentent en conséquence un sentiment d'abandon, de découragement, ce qui tend à susciter une « crise des vocations ». Les insuffisances du « statut » des élus locaux contribuent à ce malaise, mais n'en sont bien entendu pas la seule cause.
Pour répondre à ce malaise, forts d'une méthode de travail originale et souple, déjà éprouvée lors de la COP21, nous avons constitué un groupe de travail pluraliste, avec des rapporteurs thématiques pour chaque bloc normatif composant le « statut » des élus locaux : le régime indemnitaire, le régime social, la formation et la reconversion, la responsabilité pénale et la déontologie.
Afin de recueillir l'expertise nécessaire, nous avons organisé des tables rondes plutôt que des auditions individuelles. Ce faisant, nous avons d'abord souhaité répondre à notre vocation d'être une interface privilégiée pour les associations d'élus locaux. Ces dernières ont été très présentes à nos côtés, et ont apporté leur concours, avec la production d'un travail de qualité. La table ronde inaugurale, réunie le 15 février 2018, sur le thème « Être élu local en 2018, la nouvelle donne », en présence de la ministre Jacqueline Gourault, a d'ailleurs largement nourri le tome 1 du rapport, consacré aux « enjeux et perspectives ».
Les autres tables rondes ont repris les thèmes constituant les tomes 2 à 5 du rapport, qui sont « le régime indemnitaire des élus locaux », « le régime social des élus locaux », « la formation et la préparation à la reconversion des élus locaux », « la responsabilité pénale, la prévention des conflits d'intérêts et la déontologie des élus locaux ». Chaque rapporteur thématique disposera d'un temps de parole afin que chacun puisse s'exprimer.
Je me félicite également que nous ayons réussi à organiser, en partenariat avec la Délégation aux droits des femmes, une table ronde consacrée aux « conditions d'exercice des mandats locaux par les élues ». La présidente Annick Billon et moi-même avons salué le succès de cette table ronde, jugée utile par les participantes, notamment les réseaux de femmes élues. Les échanges ont été très riches d'enseignements sur cette problématique.
Une dernière table ronde a été l'occasion d'entendre les auteurs de travaux parlementaires et les chercheurs. À cette occasion, notre ancien collègue Jean-Pierre Sueur a apporté un éclairage très utile sur le rôle du législateur de 1992 à aujourd'hui dans la définition d'un corpus juridique faisant office de « statut » de l'élu local, ce qui démontre que cette question n'est pas nouvelle.
Notre groupe de travail a bénéficié d'une expertise complémentaire fournie par nos partenaires traditionnels : les associations d`élus locaux, les administrations - à travers notamment la Direction générale des collectivités territoriales (DGCL) du ministère de l'Intérieur - et les experts.
J'évoquerai enfin brièvement le questionnaire qui a été adressé aux élus locaux. Le nombre important de réponses, provenant de profils diversifiés, a mis en lumière les problématiques les plus importantes : le sentiment d'inquiétude des élus locaux, qui se traduit par une « crise des vocations », la convergence des critiques sur quelques dossiers importants, et l'attente forte d'une évolution des conditions concrètes d'exercice des mandats locaux. Éric Kerrouche et Françoise Gatel présenteront en détail les enseignements tirés de cette consultation.
Nous avons vocation à formuler des recommandations concrètes, tout en ayant conscience du contexte budgétaire contraint. À cet égard, un grand nombre de nos propositions sont à budget constant, mais certaines, telle la revalorisation des indemnités, ont un coût.
Sur ces points, le dialogue avec le Gouvernement sera utile. Je propose que, dans les semaines qui viennent, nous échangions avec le Gouvernement et la ministre Jacqueline Gourault en particulier, désignée comme notre principale interlocutrice. Sous réserve de votre accord, je la rencontrerai afin de déterminer les convergences entre notre réflexion et celle du Gouvernement, sans compromettre notre liberté. Afin de donner au dialogue toutes ses chances, ces échanges pourront donner lieu à une table ronde de restitution en présence des participants, notamment les associations d'élus, organisée fin septembre.
Nous avons, enfin, annexé à nos travaux un document très intéressant d'actualisation d'une étude de législation comparée avec nos pays voisins.
Je cède la parole à Marie Françoise Perol-Dumont, rapporteure du tome 1 consacré aux « enjeux et perspectives ».
Monsieur le Président, comme vous venez de le souligner, les élus locaux doivent faire face sur le terrain à une nouvelle réalité territoriale : contraintes financières de plus en plus pesantes, menace de la responsabilité pénale devant le juge, technicité croissante des missions et des politiques publiques. Symétriquement, une extrême disponibilité dans de vastes domaines de compétence est attendue d'eux. C'est un résumé rapide des causes du malaise des élus locaux, à tous les échelons territoriaux. Cette situation ne peut qu'alerter le Sénat, représentant des territoires. Ce rapport sert à alerter sur la désaffection et la crise des vocations qui menace les élus locaux.
La « nouvelle donne des mandats locaux », apparue depuis quelques années, s'explique par un certain nombre de facteurs :
- une action publique devenue complexe : l'action publique est devenue un véritable labyrinthe pour les élus locaux. La décentralisation, si elle a incontestablement donné plus de responsabilités aux élus, a aussi généré une complexité et une technicité croissantes. Aujourd'hui, en pratique, l'élu doit disposer de connaissances précises dans de nombreux domaines d'intervention et doit composer avec le maquis normatif à mettre en oeuvre quotidiennement. Cette situation est particulièrement vérifiée dans les petites communes dépourvues de services étoffés.
Les relations avec l'État sont devenues problématiques, comme Éric Doligé et moi-même l'avions signalé en 2016 : retrait progressif des administrations déconcentrées des territoires, cohérence insuffisante de l'organisation étatique subsistante, contradiction entre affaiblissement des services déconcentrés et volonté intacte d'ubiquité de l'État, doublons administratifs et problème de l'articulation entre l'État et les collectivités territoriales dans le champ des compétences décentralisées. Ces évolutions affectent d'autant plus profondément les conditions de l'action publique que les politiques publiques territoriales sont de plus en plus conçues et mises en oeuvre dans un cadre partenarial associant l'État et les collectivités.
Les élus locaux sont donc victimes d'un véritable « effet de ciseaux » : accroissement de la charge de travail dans un contexte d'hyperinflation normative, d'une part ; risques et insécurités juridiques toujours plus prégnants, en raison d'une jurisprudence pénale souvent illisible par eux, d'autre part.
- deux réformes récentes ont modifié les conditions d'exercice des mandats locaux : la première est la législation sur le non-cumul des mandats, qui a conduit nombre de nos collègues à renoncer à un mandat exécutif local ou à se consacrer à leurs mandats locaux. Les élus locaux ont acté cette nouvelle donne et 73,9 % estiment que ses effets seront positifs. Je serai plus critique sur le projet de non-cumul des mandats locaux dans le temps, prévu à l'article 5 du projet de loi pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, en lecture à l'Assemblée nationale, dont les effets pourraient accentuer la crise des vocations, notamment dans les petites communes. La limitation envisagée ne sera cependant pas applicable aux communes de moins de 9 000 habitants ni aux EPCI à fiscalité propre de moins de 25 000 habitants. Les problèmes induits par cette nouvelle contrainte sont significatifs : la rotation plus rapide des mandats obligera de plus en plus d'élus locaux à penser très vite à l'après-mandat.
La seconde réforme concerne la réduction possible du nombre des élus locaux, évoquée par le Président de la République lors de la CNT du 17 juillet 2017, bien que relativisée par la ministre Jacqueline Gourault en février dernier. Cette réduction comporterait des risques majeurs, notamment pour les petites communes situées sur des territoires enclavés et isolés, la baisse du nombre d'élus conduisant à faire reposer sur ceux qui restent des missions et des responsabilités accrues. Cette dégradation risque de causer une désaffection se traduisant par une « crise des vocations ». Ce constat de lassitude est une réalité confirmée par la consultation, comme le montreront Françoise Gatel et Éric Kerrouche.
Le travail de notre Délégation survient au moment opportun, les propositions des rapporteurs thématiques allant toutes dans le sens d'une amélioration des conditions d'exercice des mandats locaux. Sans expliciter chaque recommandation en détail, il est possible d'en exprimer les principales orientations.
Notre ligne directrice a été de perfectionner les conditions d'exercice des mandats locaux sans remettre en cause la conception française de la démocratie locale. Certes, dans de nombreuses situations, la fonction d'élu local ressemble à une activité professionnelle, mais les élus ne sont pas des salariés ou des entrepreneurs, bien qu'ils entreprennent sans relâche.
Nous avons voulu répondre point par point aux attentes légitimes des élus locaux, sans tenter d'imaginer un changement de paradigme auquel notre pays n'est pas disposé, mais avec des propositions pragmatiques aux trois stades de la vie de l'élu local : l'entrée dans le mandat, l'exercice et la sortie.
Au moment de l'entrée, la diversification accrue des élus locaux, du point de vue de la catégorie socioprofessionnelle, du genre ou de l'âge, s'impose comme une évidence.
L'exercice du mandat nécessite un cadre plus sécurisant, correspondant aux besoins réels des élus, en particulier la juste rémunération d'une activité chronophage, l'établissement d'un régime social plus lisible et plus adapté à l'existence parallèle d'une vie professionnelle et personnelle. Le non-cumul des mandats dans le temps accentue cette nécessité. Charles Guené et Josiane Costes aborderont les aspects indemnitaires, tandis que Daniel Chasseing et Marc Daunis reviendront sur le régime social. En raison de la démobilisation et des inquiétudes causées par le risque pénal, les élus locaux, subissant la judiciarisation croissante de la société, devront également être sécurisés au plan juridique. Ces points seront repris par François Grosdidier et Alain Richard.
L'étape difficile de la sortie du mandat doit être mieux organisée, à travers une meilleure appropriation des dispositifs de formation et le perfectionnement des outils de reconversion professionnelle. Antoine Lefèvre et Michelle Gréaume présenteront leurs recommandations sur ce thème.
Je propose qu'Alain Richard, qui doit rejoindre une autre réunion, évoque dès à présent le chapitre relatif à la responsabilité pénale et la déontologie.
Pour ce qui concerne les enjeux en matière de sécurité juridique, notamment sous l'angle pénal, je vous renvoie au rapport, qui est très bien écrit.
Il ne nous semble pas prioritaire de modifier, en raison de sa clarté, la législation régissant les délits pouvant être commis de manière non intentionnelle par les élus locaux.
En revanche, une première piste intéressante a été soulignée. La Chancellerie ne disposant pas d'un fichier des affaires pénales jugées par catégorie professionnelle, nous ne possédons pas de recueil des affaires impliquant des élus locaux, jugées ou classées sans suite. Nous préconisons donc de mandater un bureau d'études (cabinet d'avocat ou équipe universitaire) afin de réaliser cette analyse. Les affaires classées sans suite sont particulièrement difficiles à répertorier, car elles restent dans les archives de chaque parquet. Grâce à un tel fichier, nous connaîtrions les cas de poursuites, leurs suites, et les cas de classement sans suite, et nous pourrions suggérer au ministère de la Justice d'élaborer une circulaire de politique pénale adaptée à ces cas. Cela réduirait le risque d'une politique pénale hétérogène selon les procureurs ou les départements.
Ensuite, une personne s'estimant lésée suite à un dysfonctionnement est incitée, par un effet de curiosité ou la recherche de notoriété, à poursuivre personnellement l'élu en charge, et ce alors qu'elle dispose du droit de poursuivre la collectivité dans son ensemble. Une réflexion doit être menée pour orienter les requérants vers la mise en cause de la responsabilité pénale de la collectivité plutôt que celle, personnelle, de l'élu.
Troisièmement, la principale raison de mise en cause d'élus est le favoritisme et la prise illégale d'intérêt en matière de commande publique ou de participation à un organisme périphérique, par ailleurs souvent du fait d'une inattention ou d'un défaut d'information. La prévention de ces mises en cause passe essentiellement par l'information des élus et par l'édiction par les associations d'élus de règles de prudence permettant d'éviter ces situations. Enfin, le mécanisme de déport officiel, introduit pour les parlementaires dans le projet de loi organique rétablissant la confiance dans l'action publique, pourrait être inscrit pour les élus locaux dans le Code général des collectivités territoriales, en place d'une simple abstention.
Je suis favorable à donner suite à cette demande d'expertise.
Je propose qu'Éric Kerrouche et Françoise Gatel procèdent à leur présentation du tome 6 : analyse de la consultation.
17 500 réponses ont été enregistrées au questionnaire, qui a été intégralement renseigné dans 7 300 cas. Ce nombre important de contributions nous a permis de croiser les données et de dégager plusieurs constantes. Deux tendances fortes - et paradoxales - ont été constatées : la spécificité de la population des élus locaux et la diversité des situations.
Les élus locaux sont une population spécifique : le premier constat est que les conditions actuelles ne permettent pas à tout un chacun de s'intégrer dans la vie politique locale. Une véritable rupture existe entre la composition des élus locaux français, d'une part, et la distribution de la population, d'autre part. On observe une surreprésentation des préretraités et des retraités (37,5 % parmi les élus, contre 26 % dans l'ensemble de la population). La disponibilité qu'offre la retraite semble être une condition pour certains élus, et c'est également l'une des conditions de fonctionnement de certaines collectivités locales. Le corollaire de ce constat est que seuls 17 % des répondants ont moins de 45 ans (contre 57,1 % de la population). C'est donc toute une partie de la population qui est écartée de l'exercice des responsabilités locales.
Parmi les élus, 51 % exercent une activité professionnelle en parallèle, ce qui laisse apparaître une surreprésentation des fonctionnaires et des catégories dites « intellectuelles supérieures » au détriment des ouvriers, qui semblent avoir presque complètement disparu des assemblées locales (2 % des élus, contre 20 % de la population). Les élus sont plus diplômés que la moyenne (60 % sont titulaires d'un diplôme universitaire, soit deux fois plus que le reste de la population).
Enfin, la distribution selon le genre suit la même tendance qu'ailleurs, à savoir une sous-représentation des femmes, et ce plus encore dans les postes exécutifs, toutes choses égales par ailleurs.
La situation profite donc à certaines catégories, à certaines classes d'âge, et aux hommes. Le recrutement politique apparaît loin d'être aléatoire. Le renouvellement de l'intérêt à la politique nécessite donc de faire évoluer les conditions d'accès.
Des différences importantes existent, par ailleurs, au sein même de la population des élus locaux, ce qui induit des besoins circonstanciés et différenciés. S'il est nécessaire d'établir des mesures homogènes et statutaires pour l'ensemble des élus, il faut tout autant prendre en compte les différences et traiter certaines situations spécifiques du point de vue démographique, géographique, institutionnel et fonctionnel.
Du point de vue de la démographie, une césure forte existe entre les élus ruraux et les autres. Les attentes, en matière de responsabilité pénale par exemple, sont très différentes entre les élus des communes de moins de 1 000 habitants, de 1 000 à 10 000 habitants et de plus de 10 000 habitants. La césure entre le monde urbain et le monde rural parcourt l'ensemble des réponses apportées, que ce soit sur l'articulation entre vie professionnelle et vie active ou en termes de responsabilité pénale, moins bien vécue en zone rurale.
Les attentes varient fortement selon les institutions, notamment au sein du bloc communal, allant de la communauté de communes à la métropole. L'accaparement de la fonction élective est beaucoup plus marqué dans les institutions fortement dotées de compétences par la loi, ce qui caractérise des attentes particulières.
En outre, il faut noter la distinction, commune à l'ensemble des démocraties occidentales, entre les élus ayant des responsabilités exécutives et les autres. Cela induit des situations très différentes, et donc une adaptation pour les postes de maire, d'adjoint, de vice-président et de président, notamment, car les responsabilités exécutives vont souvent de pair avec l'impossibilité d'exercer une profession en parallèle.
Enfin, la dimension géographique, au sens physique, doit être prise en compte. La taille du territoire influe sur les attentes de compensation de déplacement des élus d'une région récemment fusionnée ou d'une large intercommunalité, par exemple.
Ces difficultés peuvent se superposer, donnant des typologies extrêmement différenciées. Un élu rural avec un mandat exécutif et un élu urbain sans fonctions exécutives n'auront pas les mêmes attentes et préoccupations.
Les éléments statistiques apportés par Éric Kerrouche mettent en lumière la diversité des situations, et font apparaître une « nouvelle donne des mandats locaux », rendant nécessaire une évolution du statut de l'élu. Aux dernières élections municipales, on observait déjà une désaffection, avec une soixantaine de communes ne présentant aucun candidat. Cette situation semble se pérenniser. Les chiffres issus de la consultation montrent les différences de préoccupations et de besoins selon les types de collectivités, les strates de population et les types de territoires. Cette diversité est connue, mais souvent oubliée à l'heure des propositions. Les exigences de performance et d'expertise sont les mêmes pour tous, malgré l'existence, de ce point de vue, d'une réelle césure entre les territoires et les catégories d'élus.
La désaffection des élus s'accompagne d'une désaffection des candidats dans les petites collectivités. Le maire, jusqu'ici protégé du discours ambiant de remise en cause du politique, s'en trouve lui aussi éclaboussé. Au-delà des préconisations, il est important de valoriser l'engagement des élus et de présenter à nos concitoyens, qui n'en ont pas toujours conscience, leur quotidien et les exigences auxquelles ils sont soumis. Je souscris pleinement à la déclaration du Président du Sénat : « La chance de la France, c'est sa trame de 500 000 élus locaux ». Pour illustrer ce propos, je souhaite partager le témoignage d'une maire d'une petite commune rurale, recueilli au cours de l'enquête réalisée en 2017 par l'Association des maires de France (AMF) : « Dans nos villages, les gens appellent à 4 heures du matin pour nous dire que des vaches divaguent au milieu de la route. Idem s'il y a une fuite d'eau quelque part. Chez nous, tout le monde a notre numéro de portable. Depuis mon élection en 2008, pour le bien-être de mes concitoyens, j'ai mis ma vie familiale et personnelle entre parenthèses ». Et cette maire s'interroge : « en 2020, y aura-t-il encore des gens pour continuer à se sacrifier et représenter les villages ? ».
Ce sujet, au-delà de notre réflexion, doit être saisi par la CNT, en raison de la désaffection des candidats et des taux croissants d'abstention aux élections municipales. Or lorsque nos concitoyens rencontrent des problèmes, la mairie, guichet unique, représente la dernière lumière de la solidarité et de la République. Il est nécessaire que des règles claires, renforçant la protection des élus, trouvent une traduction normative, qu'elle soit réglementaire ou législative, bien que cette dernière risque parfois d'être d'une simplicité excessive pour tenir compte de la diversité des situations, comme constaté dans les propositions faites aux élus locaux dans le projet de révision constitutionnelle.
Je souhaiterai excuser notre collègue Bernard Delcros, qui nous a demandé de répartir son intervention. Josiane Costes interviendra en premier lieu.
Depuis la loi municipale du 5 avril 1884, inspirée d'une loi de 1831, le régime indemnitaire des élus locaux est régi par le principe de gratuité : les fonctions électives locales ne sont pas assimilées à une activité professionnelle faisant l'objet d'une rémunération. Ce principe correspond à une réalité forte, car les deux tiers des élus locaux (360 000 sur 550 000) ne sont pas indemnisés.
Ce principe a été tempéré dès la loi de 1884 par le bénéfice, pour certains élus locaux, d'une indemnité de fonction et de remboursement de frais. Ces dispositifs sont aujourd'hui bien établis : selon la DGCL, les indemnités de fonctions représentent 1,6 milliard d'euros, et les remboursements de frais s'élèvent à 22,8 millions d'euros.
Cependant, de réelles disparités existent entre les mandats locaux : plus la moitié des 36 000 maires perçoivent moins de 658 euros bruts mensuels, contre des indemnités huit fois supérieures pour les maires de communes de plus de 100 000 habitants, les présidents de conseils départementaux et régionaux.
Une culture, dite de « l'amateurisme républicain », a ainsi longtemps prévalu en France et perdure encore. L'indemnité de fonction est ainsi conçue comme un mécanisme de compensation des sujétions résultant de l'exercice du mandat, notamment l'éventuelle perte de revenus consécutive à la réduction de l'activité professionnelle. Ce mécanisme est une nécessité démocratique, car il confère aux élus les moyens d'exercer leur mandat, de libérer du temps, et les protège également d'éventuelles pressions extérieures. Il garantit à chaque citoyen, quelle que soit sa fortune personnelle, de prétendre à l'exercice des fonctions électives.
Le régime indemnitaire des élus locaux a connu plusieurs évolutions juridiques depuis une trentaine d'années : codification dans les années 1990, extension aux intercommunalités au tournant des années 2000, diversification pour tenir compte de certaines situations (personnes à charge, handicap) depuis les années 2000. En parallèle, le régime s'est banalisé, les règles applicables aux élus locaux étant, de manière croissante, calquées sur le droit commun, notamment pour les prélèvements fiscaux et sociaux.
Si ces modifications ont accompagné les progrès de la décentralisation et amélioré les conditions d'exercice des mandats locaux, elles n'ont pas abouti à un régime pleinement satisfaisant. La permanence de « l'amateurisme républicain », la dégradation des comptes publics locaux, la sensibilité de l'opinion publique aux enjeux financiers et la possible répugnance de certains élus à s'intéresser à ces considérations prosaïques ont freiné toute évolution significative.
Plusieurs griefs sont également adressés au régime indemnitaire actuel. D'abord, le niveau des indemnités de fonction et des remboursements de frais est souvent insuffisant pour couvrir les charges inhérentes au mandat, notamment pour les maires des plus petites communes, dont les indemnités sont minimes au regard des responsabilités exercées. Ensuite, il est parfois inadapté aux nouvelles réalités locales : collectivités plus larges, responsabilités plus lourdes et diversification des profils. Enfin, les modalités de sa mise en oeuvre sont complexes d'un point de vue juridique et budgétaire, ce qui rend nécessaire la mutualisation du financement des indemnités à l'échelle communale et la simplification des conditions de remboursement.
Il résulte des difficultés évoquées un sentiment d'insatisfaction largement répandu parmi les élus locaux à l'égard de leur régime indemnitaire, comme en témoignent les réponses recueillies lors de la consultation.
Le régime indemnitaire n'a été cité que par moins de 10 % des répondants comme un facteur expliquant la « crise des vocations » pour les fonctions électives locales, mais deux constats préoccupants apparaissent : d'une part, le non-recours aux dispositifs existants (80 % des répondants affirment n'avoir jamais bénéficié de remboursement de frais) ; d'autre part, ceux qui y recourent estiment leur montant insuffisant, sentiment partagé par la moitié des répondants pour les indemnités de fonctions, et par deux tiers d'entre eux pour les remboursements de frais.
Ce contexte, auquel s'ajoute l'interdiction du cumul vertical des mandats, rend nécessaire une réponse aux lacunes du régime indemnitaire.
Nous n'avons pas souhaité engager la « professionnalisation » du statut de l'élu local, qui existe à l'étranger. Aucun consensus ne s'est dégagé dans cette direction parmi les élus auditionnés ou consultés. Il ne s'agit donc pas d'un changement du modèle, mais d'ajuster l'existant en fonction d'un constat de bon sens largement partagé : le mandat local n'est pas une activité professionnelle mais un engagement civique, et l'indemnité de fonction n'est pas une rémunération mais une compensation.
Cette indemnité doit cependant couvrir effectivement les frais liés à l'exercice du mandat, pour ne pas pénaliser les élus ni décourager les candidats. Dans cette optique, nous proposons une revalorisation suffisante, adaptée et soutenable du régime indemnitaire des élus locaux.
Je passe la parole à mon collègue Charles Guené.
Nous proposons plusieurs réponses pratiques pour répondre à cet état des lieux.
En premier lieu, nous suggérons de porter à un niveau suffisant les indemnités de fonction des maires des communes de moins de 100 000 habitants, de manière à ce qu'elles compensent réellement les charges liées à l'exercice de leur mandat. Le seuil de 100 000 habitants a été choisi car la loi de finances pour 2018 introduit la possibilité de majorer de 40 % l'indemnité des maires des communes de plus de 100 000 habitants.
Nous suggérons, en particulier, une revalorisation de 20 % au moins du niveau maximal de ces indemnités dans les communes de 1 000 à 100 000 habitants, et de 50 % au moins dans les communes de moins de 1 000 habitants, où les maires ne disposent pas de services administratifs étoffés. Les conseils municipaux demeurent libres de fixer une indemnité inférieure, par délibération et à la demande du maire, ainsi que le prévoit le droit existant. Cette revalorisation nous semble justifiée par le fait que les dernières modifications substantielles des barèmes indemnitaires de ces communes datent de la loi du 5 avril 2000 relative à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions électives. Par ailleurs, le niveau des indemnités pour des fonctions semblables en Allemagne, au Portugal, en Italie ou en Espagne est souvent plus élevé qu'en France.
Dans une optique similaire, il apparaît nécessaire de porter le niveau de la fraction représentative des frais d'emploi, c'est-à-dire la part non saisissable de l'indemnité compensant les dépenses incompressibles engagées par les élus locaux dans le cadre de leur mandat, à un niveau conforme à son objectif.
Nous préconisons également le maintien des indemnités de fonction de certains présidents et vice-présidents de syndicats de communes, de syndicats mixtes fermés et de syndicats mixtes ouverts restreints, alors que leur suppression est prévue à partir du 1er janvier 2020.
Enfin, les règles sous-tendant le régime indemnitaire doivent être simplifiées : nous suggérons de clarifier et de codifier les modalités de détermination de « l'enveloppe indemnitaire globale », qui sont l'une des pierres d'achoppement régulièrement dénoncées par les élus locaux.
Ces dispositifs doivent correspondre à la physionomie des collectivités territoriales, les frais de déplacement et d'hébergement devant être mieux remboursés, et certaines responsabilités devant pouvoir être davantage prises en compte, à l'heure des intercommunalités et des régions élargies. Nous préconisons donc un relèvement des frais de transport et d'hébergement des élus locaux plus ambitieux que celui annoncé par le ministre de l'Action et des Comptes publics à l'occasion du « Rendez-vous salarial » du 18 juin 2018.
De même, nous suggérons d'ouvrir aux communautés de communes la possibilité d'indemniser les conseillers délégués, et aux conseils régionaux celle d'indemniser les présidents de commission à ce titre, dans le respect de l'« enveloppe indemnitaire globale ».
En outre, les indemnités de fonction et les remboursements de frais doivent accompagner le renouvellement sociologique des élus locaux, les frais de garde ou ceux liés au handicap devant être plus facilement mis en oeuvre pour encourager l'engagement de nouveaux profils. Pour ce faire, nous proposons d'étendre le dispositif d'aide au financement de chèques-emploi service universel applicable aux prestations de garde ou d'assistance, et d'ajuster le plafond de remboursement des frais spécifiques des élus en situation de handicap.
Enfin, ces dispositifs doivent prendre en compte les attentes exprimées par les citoyens, en faveur d'une transparence confortée. Nous proposons d'offrir aux grandes communes et aux grands établissements intercommunaux qui le souhaitent la possibilité de moduler les indemnités de fonction des élus locaux selon leur participation à certaines réunions, comme cela existe dans le droit local en Alsace-Moselle, dans les conseils départementaux et régionaux, et comme cela est prévu à l'avenir à Paris. Cependant, un tel mécanisme n'a de sens que pour les communes ou les établissements de plus de 100 000 habitants, où les « simples » conseillers perçoivent généralement une indemnité de fonction. Le choix d'y recourir ou non doit revenir à leur organe délibérant.
En dernier lieu, nous recommandons une mutualisation renforcée du financement des indemnités de fonction à l'échelle communale, de manière à ce que ces dépenses, qui peuvent représenter une lourde charge pour les plus petites communes, demeurent soutenables. À cette fin, la dotation particulière « élu local », qui concourt au financement des dépenses des communes dont la population et la richesse sont les plus faibles, nécessite d'être élargie. A minima, le seuil démographique conditionnant l'éligibilité des communes métropolitaines pourrait être doublé, pour atteindre 2 000 habitants, et le montant de la dotation pourrait être porté à un niveau adéquat pour financer effectivement les indemnités de fonction des élus concernés. Ainsi, dans les plus petites communes, les revalorisations indemnitaires proposées précédemment seraient intégralement compensées par la montée en charge de cette dotation.
La démocratie locale a un coût, qu'il faut maîtriser autant que possible, mais qui doit aussi être pleinement reconnu et pris en charge collectivement.
Je considère en effet que le niveau des indemnités doit être réexaminé, mais j'attire votre attention sur la manière de formuler ces propositions. Nous savons ce qu'il en est dès que le Sénat se saisit de ce sujet. Je rappelle les réactions très négatives l'année dernière, notamment sur les réseaux sociaux, lors du vote de la loi de finances autorisant l'augmentation de 40 % des présidents de région et des grandes villes, qui était pourtant une dépense inscrite dans une enveloppe inchangée, donc à coût constant pour les collectivités. Donner un pourcentage explicite risque d'être résumé : « les sénateurs veulent augmenter de 20 % les indemnités des élus locaux ». Ces propositions devraient être formulées de manière différente. Si la référence aux exemples étrangers est peut-être peu évocatrice pour nos concitoyens, d'autres arguments existent, tels que la non-revalorisation des indemnités depuis plusieurs années, à mettre en lien avec la stagnation du point d'indice de la fonction publique depuis 2010. La prudence est nécessaire pour ne pas perdre de vue le sujet principal, la situation des petites communes, qui doit être au coeur de la formulation de nos propositions, et ce d'autant plus que se pose, pour elles, la question du coût. Je rappelle l'abandon, dans les années précédentes, de l'indemnité obligatoire pour les maires de petites à la suite d'un grand nombre de retours négatifs.
Je propose que nous continuions les exposés des rapporteurs thématiques, pour reprendre en fin de séance les discussions sur les points soulevés.
Avant d'exposer nos travaux sur le régime social des élus, je remarque que la proposition de revalorisation risque d'être mal interprétée, voire refusée, par les maires de petites communes.
Le régime social des élus revêt une importance cruciale. En effet, selon les statistiques de la DGCL, au 1er janvier 2017, 37 % des élus régionaux et territoriaux, départementaux, communautaires et municipaux, et 60 % des maires sont âgés de 60 ans ou plus. 42 % des maires élus en 2014 étant retraités, la question des retraites est donc essentielle.
Les représentants de la CAREL, auditionnés, ont indiqué avoir perdu près de 70 % de leurs cotisants lors des dernières élections municipales de 2014, tendance confirmée aux élections départementales (64 %), puis aux élections régionales (63 %). La nouvelle donne, tendant vers une limitation de la durée effective du parcours électif, rend d'autant plus nécessaire l'existence d'un régime social fort et protecteur.
Les répondants à la consultation ont identifié la protection sociale comme l'un des cinq champs prioritaires devant être traités pour améliorer les conditions d'exercice des mandats locaux. Parmi les élus consultés, 51 % ont estimé que la protection sociale et le régime de retraite étaient non satisfaisants et constituaient une raison importante ou très importante de la crise des vocations constatée.
Mais le régime social concerne aussi la protection sociale offerte à l'élu local durant l'exercice de son mandat électif. Il représente la certitude qu'il pourra assurer l'intégralité des tâches afférentes à son mandat sans renoncer aux droits sociaux. La direction de la sécurité sociale a d'ailleurs rappelé que les élus disposaient auparavant de droits moindres que les personnes assujetties au régime général.
La volonté de convergence vers le régime général, depuis la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, a certes généré de nouveaux droits, mais a également conduit à une extrême complexité du régime social, du fait des spécificités inhérentes au régime social des élus. En effet, nous avons constaté, au cours de nos échanges avec les différents interlocuteurs concernés, l'extrême complexité, la persistante incomplétude et l'inadéquation avec l'exercice d'une vie professionnelle et personnelle du régime social actuel des élus locaux, qu'il devient indispensable de clarifier et de renforcer.
La complexité du régime social n'est pas étrangère à la méconnaissance par certains élus locaux des dispositifs dont ils peuvent bénéficier. Les dispositions peuvent être opaques pour les élus. Ils ont été 67 % à admettre ne pas connaître leurs droits à la retraite acquis en leur qualité d'élu local. Le flou entourant les dispositions du régime social ne se limite pas à la retraite : 74 % des élus consultés estiment que la protection contre le licenciement des salariés titulaires d'un mandat local mériterait d'être clarifiée.
Cette technicité engendre la sous-utilisation de plusieurs outils à la disposition des élus. On note que 68 % des élus interrogés n'ont pas eu recours aux autorisations d'absence, 81 % aux crédits d'heures, et 95 % à la suspension du contrat de travail.
Nous avons formulé plusieurs propositions pratiques pour une simplification immédiate, sur des sujets aussi divers que l'autorisation d'exercer le mandat durant le congé maladie ou les règles de cumul emploi-retraite. Certaines mesures pratiques peuvent être mises en oeuvre par voie de circulaire, la circulaire référence en matière de régime social remontant au 14 mai 2013. Ces mesures sont la disparition effective des cotisations appliquées à la part versée par les collectivités au régime de retraite supplémentaire type FONPEL/CAREL, l'exclusion certaine du régime de retraite obligatoire Ircantec des élus locaux des règles de cumul emploi-retraite, la stricte application, d'une part, de l'exclusion de la fraction représentative des frais d'emploi pour le calcul des ressources ouvrant droit à une prestation sociale et, d'autre part, de l'assimilation des crédits d'heures, non rémunérées, à une durée de travail effective pour la détermination du droit aux prestations sociales.
Ces mesures techniques pourraient en outre être accompagnées d'un guide commun de bonnes pratiques en matière de régime social, éventuellement être incluses dans un vade-mecum plus général traitant l'ensemble des conditions d'exercice des mandats locaux. Nous proposons également d'instaurer un « droit à l'erreur » pour les collectivités locales dans leurs relations avec les URSSAF.
Ces mesures permettent d'améliorer le dialogue entre les élus locaux et leurs interlocuteurs, alors même que la représentante de l'AMF que nous avions auditionnée avait regretté le mépris affiché à l'égard des élus.
Les mesures proposées sont à l'initiative ou ont reçu l'approbation - lors de la table ronde consacrée au régime social - des caisses nationales d'assurance vieillesse et d'assurance maladie en vue d'une simplification du régime social appliqué aux élus locaux.
Marc Daunis va présenter les mesures visant à consolider le régime social des élus locaux et à mieux l'harmoniser avec l'exercice d'une vie personnelle ou professionnelle.
Le régime social des élus locaux est perçu comme encore trop incomplet. Ainsi, seuls 7,54 % des élus consultés jugent le régime de retraite suffisamment protecteur, ampleur qui interroge. 60,51 % des élus consultés sont favorables à un accroissement du volume des autorisations d'absence ou des crédits d'heures. Ils sont par ailleurs 47,85 % à souhaiter une extension du bénéfice du droit à la suspension du contrat de travail. Bon nombre d'élus consultés se plaignent notamment du montant insuffisant de leurs pensions de retraite. Une revalorisation de ce montant découlera néanmoins automatiquement de l'augmentation des indemnités versées à ces élus, telle que proposée dans la partie consacrée au régime indemnitaire.
Au-delà de la question du montant des retraites, de nombreux élus, notamment de petites villes, s'interrogent sur les conséquences de l'absence d'affiliation au régime général dès le début de leur mandat, certes entamé avant la loi de financement de la sécurité sociale, occasionnant une perte sèche de trimestres validés pour la retraite. Il faut noter que, même lorsque l'élu peut remplir les conditions nécessaires au rachat des trimestres manquants, le coût est supérieur au montant des indemnités de fonction perçues. Par ailleurs, aucune disposition ne semble actuellement permettre une participation de la commune ou d'un autre fonds public au rachat de ces trimestres de cotisations de retraites manquants, du fait de la cessation d'activité professionnelle pour se consacrer au mandat d'élu. En outre, une fois les trimestres validés, la cotisation des élus de petites communes est très limitée, de par leurs faibles indemnités, ce qui a un impact négatif sur le montant de leur retraite. Nous proposons donc d'envisager la participation de la collectivité ou d'un fonds public au rachat des trimestres de cotisations manquants d'un élu à plein temps.
Pour compenser le faible montant des retraites, nous proposons également de rendre obligatoire la cotisation facultative à la retraite supplémentaire par capitalisation, type FONPEL ou CAREL, tout en veillant à laisser le choix de l'organisme. En effet, nombreux sont les élus de petites collectivités à renoncer à l'adhésion au régime de retraite supplémentaire. Nous aurons l'occasion de discuter de cette proposition, qui posera sans doute les mêmes questions en termes de charge financière pour les collectivités, mais aussi de perception par les citoyens. Lors de leur audition, les représentants du FONPEL, comme de la CAREL, s'étaient exprimés en faveur de cette évolution sous certaines conditions, afin de conserver une souplesse dans les modalités d'application. Il est à noter que, lors de la consultation, 55,2 % des élus avaient jugé utile de rendre obligatoire l'adhésion à un régime de retraite par capitalisation.
Au-delà des questions des retraites, nous jugeons également indispensable de consolider la protection sociale des élus locaux. Il conviendrait à ce titre de compléter le code du travail par des dispositions dédiées à la situation des élus locaux, afin que la mise en oeuvre du statut de salarié protégé soit permise.
La conciliation entre vie personnelle, vie professionnelle et mandat a été vue comme trop difficile par 86,64 % des répondants, et comme étant la raison majeure de la crise des vocations ; c'est le deuxième champ d'action prioritaire pour les élus consultés. Lors de leur première élection, seuls 12,52 % des élus consultés étaient à la retraite ou en préretraite, et 81 % exerçaient une activité professionnelle.
En vue d'améliorer l'exercice d'une activité professionnelle, il semble désormais nécessaire de procéder à une revalorisation du volume trimestriel des crédits d'heures actuellement alloué. Ce temps alloué est nécessaire pour accomplir des tâches de plus en plus complexes et lourdes. Or, lorsqu'on observe que le volume maximum des crédits d'heures alloué est de 140 heures, force est de constater que ce dispositif n'est en l'état plus viable.
L'articulation avec la vie personnelle apparaît également comme un point délicat. Le motif le plus souvent cité pour la décision d'arrêter la politique est « le travail politique prend trop de temps au détriment de la famille ou du travail ». Près de 80 % des élus expliquent que cette situation pèse sur leur engagement. Nous proposons donc d'étudier, durant l'exercice d'un mandat ayant occasionné une suspension complète de la vie professionnelle, la possibilité de cotiser à un montant identique à celui de l'emploi à temps plein abandonné.
Je retrouve un sujet sur lequel j'avais eu l'occasion, il y a six ans, de rédiger un rapport pour cette délégation. Depuis, j'ai pu prendre la mesure du chemin accompli en matière de droit à la formation des élus locaux. Beaucoup d'évolutions positives ont été mises en oeuvre et, surtout, de nombreuses recommandations que nous avions formulées dans cette instance ont trouvé une traduction normative.
Il est important de souligner que nos rapports et propositions sont suivis d'effet et ne restent pas lettre morte.
Je voudrais, en préambule, rappeler les enjeux politiques et techniques de la formation des élus locaux. Le droit à la formation des élus est une condition même de démocratisation de l'accès aux fonctions politiques. En compensant les inégalités de formation initiale, la formation permet de ne pas laisser aux professionnels des affaires publiques le monopole des mandats électifs. Personne ne souhaite en effet que les mandats locaux soient occupés seulement par des fonctionnaires territoriaux, des juristes ou des techniciens des politiques publiques. Cela ne correspond pas à la tradition française.
L'autre enjeu autour de la formation est de disposer d'élus locaux compétents et bien formés. Certes parce que les compétences des collectivités territoriales se sont étendues et complexifiées, comme l'a évoqué Marie-Françoise Perol-Dumont, mais aussi parce que l'État s'est progressivement retiré de certaines missions dans les territoires, emportant avec lui les compétences d'ingénierie. En clair, nous avons aujourd'hui besoin d'élus locaux capables de prendre le relais dans la gestion des affaires publiques locales, ce qui nécessite aujourd'hui des compétences vastes et de plus en plus techniques.
Enfin, dans la perspective de la sortie du mandat, la préparation à la reconversion des élus locaux suppose une formation adaptée. Cette question est devenue une préoccupation majeure pour nos collègues dans les territoires, précisément au moment où notre démocratie tend à prendre la voie de la limitation des mandats dans le temps.
L'enjeu de la reconversion est d'autant plus crucial qu'aujourd'hui plus personne n'envisage qu'un élu local occupe un mandat toute sa vie. Une vie professionnelle existe après le mandat, et celle-ci nécessite une bonne préparation en amont.
L'importance de ces sujets a été confirmée par la consultation en ligne que nous avons lancée. Les répondants ont en effet identifié la formation comme un des cinq champs prioritaires devant être traités pour améliorer les conditions d'exercice des mandats locaux.
Le cadre législatif et réglementaire actuel de la formation est plutôt satisfaisant. Plusieurs propositions que nous avions portées ont été traduites, par exemple l'instauration d'un plancher minimum de crédits budgétaires consacrés à la formation (2 % du montant des indemnités de fonction) ou encore la mise en place du droit individuel à la formation (DIF).
Les difficultés identifiées tiennent principalement au manque d'offre disponible dans certains territoires, à la carence en matière d'information sur les droits ouverts, aux difficultés d'application de la réglementation relative au financement des formations, aux congés formation. La consultation confirme d'ailleurs ces difficultés puisque près de 97 % des répondants indiquent n'avoir « jamais bénéficié d'un congé pour suivre une formation ». Aussi, près de 70 % des répondants indiquent n'avoir bénéficié « d'aucune prise en charge de frais afférents à une formation », et 99 % « d'aucune compensation par la collectivité des pertes de revenus subies » dans ce cadre.
S'agissant de la reconversion, ces tendances se confirment : 99 % des répondants indiquent « n'avoir jamais eu recours aux dispositifs prévus par la loi pour préparer leur reconversion professionnelle », et seulement 1 % indiquent « avoir utilisé les dispositifs légaux ». Les élus locaux ne se saisissent pas encore suffisamment des possibilités ouvertes par la loi. C'est sans doute la recommandation la plus importante : nous devons parfaire leur information sur la palette d'outils à leur disposition. En l'espèce, nous en appelons à une action coordonnée des associations d'élus locaux, de la DGCL et de la Caisse des Dépôts et consignations.
Notre rapport sera également très utile pour diffuser l'information sur l'état du droit.
Les autres recommandations que nous formulons, avec Michelle Gréaume et François Bonhomme, visent essentiellement à parfaire des dispositifs, parfois récents, qui devraient monter en puissance dans les années à venir, tels que le DIF ou les plans de formation mutualisés à l'échelle intercommunale, et à initier quelques autres dispositifs innovants.
Je laisse Michelle Gréaume compléter mon propos.
Antoine Lefèvre vient de rappeler une donnée fondamentale : l'exercice d'un mandat dans une commune, un département, une intercommunalité ou une région requiert des compétences et des connaissances désormais de plus en plus larges. Aujourd'hui, les responsabilités exercées par un élu local ne sont plus celles d'il y a trente ans. Avec le progrès de la décentralisation, les compétences requises sont devenues de plus en plus techniques.
Dans cette optique, la formation des élus acquiert une importance particulière pour accompagner les élus dans leur mandat. Les répondants à la consultation ont été 55 % à indiquer avoir bénéficié de formations aux fonctions d'élu local, c'est un chiffre encourageant. Ces formations ont été dispensées par des associations d'élus locaux (pour 56 % des répondants) ou par les services des collectivités (19 %). Le marché de la formation est heureusement bien régulé par le ministère de l'Intérieur, qui exerce une tutelle sur l'organe régulateur qu'est le Conseil national de la formation des élus locaux.
Si le jugement porté par les répondants sur la formation aux fonctions d'élu local est plutôt satisfaisant, près de 90 % des répondants jugent qu'il est nécessaire d'adapter ces formations, et surtout de les rendre diplômantes, pour près de 70 % d'entre eux. Comme l'a souligné Antoine Lefèvre, cela traduit souvent une méconnaissance du droit par les élus locaux, car c'est déjà le cas pour de nombreuses formations.
D'après les répondants à la consultation, la formation devrait être renforcée dans les domaines suivants : les finances et la comptabilité publique (24 %), le droit de l'urbanisme (20 %), la responsabilité pénale (17 %), le droit des marchés publics (15 %) et le droit de la fonction publique (9 %). Il s'agit essentiellement de formations destinées à acquérir des compétences techniques nécessaires au bon exercice du mandat.
La question de la formation va cependant plus loin et se prolonge après l'exercice du mandat, car elle est aussi la condition d'une bonne réinsertion professionnelle. En ce sens, elle participe pleinement à la reconversion des élus locaux. Cette dernière est un thème prioritaire, 45 % des répondants envisageant de quitter la politique à l'issue de leur mandat. Dans ce domaine, un essor des formations destinées à la reconversion est prévisible. Le DIF n'existe en effet que depuis un an (1er juillet 2017) et sa montée en charge devrait intervenir à l'occasion des prochaines élections locales.
Enfin, j'évoquerai nos recommandations destinées à faciliter la réinsertion ou la reconversion professionnelle. Nous souhaitons permettre aux élus ayant bénéficié de la suspension de leur contrat de travail de faire prendre en compte, au titre de l'ancienneté dans l'entreprise, la totalité du temps du mandat pour le calcul de la durée de préavis de licenciement et du montant des indemnités de licenciement. De plus, nous préconisons de consolider l'allocation différentielle de fin de mandat en l'ouvrant plus largement, de soutenir la création d'entreprise par les anciens élus locaux au moyen d'un accès facilité au crédit, en mobilisant par exemple la Caisse des Dépôts, de permettre aux élus locaux n'ayant pas retrouvé un emploi de suivre une préparation aux concours de la fonction publique territoriale ou de bénéficier d'une formation à la reconversion dispensée par le CNFPT. Enfin, les élus qui abandonnent leurs mandats doivent voir leurs compétences valorisées pour la formation des nouveaux élus. Cette transmission des savoirs et des compétences des anciens auprès des nouveaux ne peut qu'être bénéfique à notre démocratie.
Je propose que nous échangions maintenant sur les points soulevés par le rapport.
Je comprends le propos de Philippe Dallier : il est évident que la communication et la perception par les électeurs seront centrales. Mais l'indemnité de 658 € bruts semble dérisoire au vu des charges et des responsabilités des maires de communes de moins de 1 000 habitants. Les réactions à l'augmentation de 40 % précédemment évoquée sont compréhensibles, mais les habitants des petites communes accepteraient une augmentation liée au travail de leur maire à leur service. Cette proposition suppose également une augmentation de la dotation communale. Notre chiffrage indique un coût de 65 millions d'euros, ce qui est peu pour un budget d'État, surtout si l'on souhaite une présence de la République sur tout le territoire. De nombreuses communes risquent de se retrouver sans candidats aux prochaines élections municipales.
Je souhaiterais également répondre à Philippe Dallier. Aujourd'hui, il est vrai que la démarche d'ajustement que nous proposons est souvent inaudible. Ceci étant, nous avons suffisamment reculé et il est temps d'affirmer des principes : le revenu net des parlementaires a déjà été diminué de moitié en vingt ans, et pour autant l'opinion publique n'a pas évolué sur ce sujet. En revanche, en termes de méthode, nous ne pourrons éluder le problème de communication. Des comparatifs pertinents devront être utilisés : rémunération des directeurs de services dans les collectivités, maires des pays étrangers, etc. Nous avons établi de manière brute les réalités du terrain. Il s'agit désormais de réfléchir à l'habillage à donner.
Le temps d'échange avec le Gouvernement sera également un moment de réflexion quant à la manière de formuler nos propositions. Nous avons, dans notre travail, évité d'accumuler les chiffres, et nous nous sommes efforcés de présenter des indications, des tendances. Il faudra cependant éviter que le rapport ne devienne trop édulcoré et perde en signification.
Je m'interroge sur les coûts : il serait utile de chiffrer les dispositions envisagées, en les distinguant et en envisageant leur financement au titre des péréquations horizontale et verticale, la première n'apparaissant pas comme étant la plus adaptée.
Je signale enfin qu'un grand nombre d'élus que j'ai rencontrés ont réagi négativement aux dernières dispositions législatives augmentant leurs indemnités. Ils considèrent que leur engagement est républicain, citoyen, et n'appellent pas à une reconnaissance pécuniaire. C'est une donnée dont il faudra tenir compte.
Le contexte actuel est tendu en raison du verrou budgétaire. Il est très difficile de formuler des propositions ayant une incidence budgétaire. Mais lorsque j'étais moi-même maire, j'avais pour habitude de penser qu'une bonne idée finirait toujours être mise en oeuvre. Ce qui n'a pas été pensé ne se fera jamais ; les propositions que nous formulons peuvent ne pas être adoptées dans l'immédiat, mais servir d'inspiration dans l'avenir.
Je voudrais rendre hommage aux rapporteurs, qui ont accepté de soulever des sujets tabous. Pour autant, ma conviction profonde est que la première raison de la désaffection des candidats n'est pas la condition matérielle, mais l'interrogation sur l'intérêt et la finalité du mandat. Par exemple, les maires interpellés par leurs administrés lors des intempéries en Bretagne ont dû renvoyer ces derniers vers le conseil régional ou l'intercommunalité : cela n'est pas de nature à susciter des vocations. La première raison de cette désaffection semble plutôt être l'impuissance et la surexposition sur le plan personnel et juridique. Je souhaite que cette idée soit rappelée dans le rapport.
Je partage la réflexion de Philippe Dallier, et je souhaite ajouter une piste de réflexion. D'un point de vue pédagogique, au lieu d'évoquer le point d'indice, ne faudrait-il pas plutôt simplement demander directement aux administrés s'ils considèrent juste qu'un élu passant plus de 30 heures par semaine en mairie reçoive une indemnité inférieure au SMIC ? Il est également nécessaire d'expliquer ce qu'est une indemnité : une compensation et non un salaire.
Enfin, je fais mienne la réflexion d'Antoine Lefèvre, qui a rappelé que la vie professionnelle succédait au mandat, ce qui pose la question de la reconversion. J'ajoute qu'aujourd'hui, la vie locale suit la vie professionnelle. Par conséquent, les réponses doivent nécessairement être différentes. Apporter une réponse unifiée à des situations très diverses est une impasse.
Nous, sénateurs, sommes les représentants des élus locaux, élus par les grands électeurs et non au suffrage universel direct. Nous pouvons soulever des sujets tabous mais légitimes. Je partage ce qui a été dit par Charles Guené : nos concitoyens doivent avoir conscience du temps consacré par leurs élus à leurs mandats. De très nombreuses réformes, impératives et nécessaires, ont été mises en oeuvre ces dernières années, afin d'assainir la vie politique, son fonctionnement et son financement. Pour autant, ces mesures n'ont pas réconcilié nos concitoyens avec la classe politique ; elles semblent, au contraire, avoir creusé le fossé. Par ailleurs, la perception par les citoyens des élus nationaux et des élus locaux, en particulier dans les petites collectivités, est très différente. Ceci nous permet de véhiculer un certain nombre de messages.
Nous ne devons pas entrer dans la logique de la démagogie ambiante, et devons, protégés par notre mode de scrutin, poser des jalons qui ne seront peut-être pas effectifs dans l'immédiat, mais qui traceront une voie.
Je rappelle que la conciliation entre la vie personnelle et la vie locale a été citée dans la consultation comme le deuxième champ d'action prioritaire, et identifiée comme étant une raison majeure de la crise des vocations. Nous percevons actuellement un double changement chez les élus locaux : le rajeunissement et la professionnalisation, avec le départ de l'ancienne génération des élus ruraux. Le défaut d'anticipation pourrait mener à de graves difficultés dans la recherche de ceux qui assumeront cette charge publique.
Si nos propositions ne forment pas un ensemble cohérent, puissant, les débats interminables sur le statut de l'élu local continueront. Je préconise donc un corpus puissant de mesures cohérentes, qui ne soient pas prises individuellement et aléatoirement au gré des textes successifs. Nous devons nous faire entendre avant les élections municipales de 2020.
Je partage les propos de Dominique de Legge et Marie-Françoise Perol-Dumont. Je souligne à l'intention de Marc Daunis que notre démarche se veut une démarche d'ensemble et c'est ce qui fait son intérêt.
Certes, nous devons veiller à l'habillage de nos propositions et être prudents en termes de communication. Mais le rôle du Sénat et des sénateurs est de mettre en lumière les problèmes, non d'aller dans le sens de la démagogie et du populisme ambiants. La discussion autour de ce sujet est indispensable ; vouloir éluder les difficultés ne mènera qu'à de grandes difficultés.
Les deux idées ne sont pas antinomiques : il s'agit d'un sujet qui appelle à la prudence et demande des éléments de langage appropriés. En revanche, si nous avions cédé au populisme ambiant, nous n'aurions même pas formulé de propositions. Un effort de pédagogie sera nécessaire.
Il est évident, du point de vue du chiffrage, que nos propositions posent divers problèmes financiers. Nos préconisations n'ont pas de sens si les collectivités sont incapables de les financer. Ce financement peut s'envisager de deux manières : soit par la péréquation horizontale, qui n'a pas bonne presse, sauf à changer le régime fiscal des finances locales, soit par une ponction sur le budget de l'État. Le coût peut être plus élevé que prévu, mais sans être disproportionné. À cet égard, il ne faut pas oublier que l'État ne présente que la colonne des dépenses et non celle des recettes ; or avec la fraction représentative de frais d'emploi et le prélèvement forfaitaire sur les indemnités d'élus, l'État a réalisé des rentrées considérables. Il s'agit là d'un flux direct des collectivités territoriales vers le budget de l'État, sur lequel il faut travailler.
Nous arrivons à un moment où un grand nombre de maires décident de ne pas se représenter, mais s'inquiètent en raison de la difficulté de susciter des vocations.
Le Président Jean-Marie Bockel nous a annoncé qu'il envisageait de décaler la communication à la rentrée. Celle-ci doit être accompagnée, et le message véhiculé ne doit pas être du type « Un rapport sénatorial demande... ». La grande consultation qui a eu lieu doit servir de point d'appui. Nos propositions partent d'un diagnostic, qui est celui d'un véritable risque démocratique. Enfin, nous devrons étayer notre communication avec des exemples, des témoignages.
Je suis en accord avec Philippe Dallier et Dominique de Legge. Les élus locaux ne sont pas découragés essentiellement par leur indemnisation : il est aussi question de leurs retraites, du risque pénal, des difficultés générales d'exercice du mandat. Par exemple, une attente de trois ans est nécessaire pour percevoir des subventions européennes, ce qui est décourageant. En milieu rural, il devient très difficile d'obtenir des permis de construire. Certes, l'augmentation des dotations ne serait que justice, et le Sénat doit pouvoir exprimer ces principes, mais il me paraît difficile d'organiser une péréquation au niveau rural, qui n'a pas existé jusqu'à présent, car les dotations par habitant sont plus faibles au niveau rural. La revalorisation des indemnités sera un réel problème budgétaire dans les communes rurales où les budgets sont très diminués et où elles n'arrivent déjà plus à entretenir les bâtiments ou la voirie.
Je propose, à propos de la communication, d'aborder le sujet sous l'angle de la nécessaire revitalisation de la démocratie républicaine française. Des sondages montrent régulièrement une défiance vis-à-vis de la démocratie en France. Face à cela, contrairement à ce qu'a déclaré le Président de la République, il n'y a pas trop d'élus en France. Il n'y en a jamais assez. Ces élus assument des responsabilités et prennent du temps sur leur vie personnelle, professionnelle. Ceci justifie une reconnaissance. Ce sont eux qui font vivre notre démocratie républicaine. Ce pourrait être l'angle adopté pour justifier nos propositions.
Nous avons une marge d'amélioration, d'affinement, de mise en forme. Nous disposons du matériau, cohérent, solide, mais notre rapport doit marquer les esprits, comme certains rapports ont pu le faire, avec cette limite qu'est le regard porté sur les élus et les problèmes, même légitimes, qu'il peut mettre en exergue. Notre démarche peut être cisaillée, si elle n'est pas habilement construite. Nous devons tenir compte de tous ces aspects. Nous avons la chance d'avoir quelques semaines de dialogue avec le Gouvernement, qui nous permettront de travailler à affiner notre rapport.
Ce ne sont pas ici deux thèses qui s'opposent, l'une qui serait hardie et l'autre timorée. Nous sommes tous en accord sur la nécessité d'allier prudence et audace. Il faut cependant être vigilant à ne pas faire du statut de l'élu local un statut bis de la fonction publique. De même, les formations sont nécessaires, mais les élus ne doivent pas devenir des experts. La formation nécessaire pour exercer un mandat local et celles dispensées par le CNFPT ne répondent pas aux mêmes critères. Enfin, je considère que le chapitre sur la responsabilité pénale et la déontologie est le plus important.
Nous ne pourrons changer la loi au sujet de la responsabilité pénale. Nous nous situons dans des problèmes d'interprétation de textes ou de décisions de justice contestables, en première instance du moins, et non dans une volonté de formuler des propositions très fortes. Il s'agit plutôt d'objectiver la situation, de demander une expertise sur l'état de la jurisprudence, intégrant également les cas de classement sans suite.
Je souhaite réagir au sujet des petites communes : il ne sert à rien de majorer leurs indemnisations sans système de dotation correspondant.
Quant à la philosophie globale de notre action, je souscris aux propos de Dominique de Legge : la revalorisation des indemnités ne doit pas être l'unique sujet de discussion, d'où l'importance d'élaborer des éléments de langage adéquats. La revitalisation de la République évoquée par Franck Montaugé et la singularité du modèle français d'amateurisme républicain doivent être au coeur de notre communication. La France est l'un des rares pays à avoir fait le choix d'élus non professionnalisés, ce qui oblige, en contrepartie, à leur octroyer un traitement décent.
La question des indemnités ne doit pas être seule mise en avant. Nos propositions représentent un ensemble, dont la finalité est de préserver et de revitaliser la présence républicaine sur tout le territoire.
La méconnaissance du fonctionnement ou du montant des indemnités par nos concitoyens pose problème. Ces derniers restent étonnés lorsqu'ils apprennent le montant des indemnités du maire et de ses adjoints. Peu d'entre eux savent même que les adjoints ne sont pas salariés de la mairie. Nous devons faire un premier travail de pédagogie et rappeler ces informations, et établir le comparatif avec les élus dans les pays voisins.
La première partie du document doit être un tableau synthétique, photographique, de la réalité, s'appuyant sur la consultation. Je propose de procéder en deux temps, en lançant d'abord un « teasing » sur le diagnostic, en présentant un panorama de la situation des élus locaux, puis en publiant le rapport et les propositions. Le débat ne doit pas se concentrer d'emblée sur telle ou telle mesure.
Je maintiens enfin que les propositions forment un ensemble global, total et cohérent. Le pillage progressif, aléatoire et décalé dans le temps de telle ou telle mesure doit être refusé.
En conclusion, nous sommes en accord sur la qualité du travail réalisé, surtout eu égard à la complexité et l'ampleur du sujet. Nous aurions pu écrire un bon diagnostic de la situation mais en rester à des propositions faibles, ça n'a pas été le cas. Le travail collectif de la Délégation, avec ses sensibilités politiques, territoriales différentes, est positif.
Nous devons rester réalistes sur les risques de l'exercice, mais il existe un chemin pour la concrétisation de nos travaux. Je n'attends pas de miracles de notre concertation avec Jacqueline Gourault, qui sera contrainte par un contexte difficile, mais nous devons participer à ce dialogue dans la mesure où le Gouvernement - appuyé par Matignon - le souhaite, avant même de rendre publiques ses propres propositions. Il est également dans notre intérêt que le Gouvernement entende et tienne compte de nos recommandations. Nous resterons libres de publier notre rapport à la rentrée. Enfin, ce temps de dialogue nous permet également d'affiner notre travail en tenant compte des échanges de ce matin.
Pour ce qui concerne la publication, j'estime que le format de la conférence de presse, avec ou sans rapporteurs, n'est pas adapté. L'organisation d'une table ronde semble être une meilleure manière de procéder, car elle rend la démarche vivante en offrant à chacun et à chacune de s'exprimer, et est plus marquante pour la presse. Nous pourrions l'organiser avant la rentrée officielle, fin septembre. Approuvez-vous cette proposition ?
La Délégation approuve cette proposition.
J'essaierai d'organiser une première rencontre, seul avec la ministre, éventuellement en présence de la conseillère de Matignon.
Jugez-vous opportun de publier le rapport rapidement au lieu d'attendre le mois de septembre ? Je considère que nous ne devrions pas publier le rapport rapidement, mais le peaufiner et l'améliorer pendant la période d'échanges avec le Gouvernement.