Depuis la loi municipale du 5 avril 1884, inspirée d'une loi de 1831, le régime indemnitaire des élus locaux est régi par le principe de gratuité : les fonctions électives locales ne sont pas assimilées à une activité professionnelle faisant l'objet d'une rémunération. Ce principe correspond à une réalité forte, car les deux tiers des élus locaux (360 000 sur 550 000) ne sont pas indemnisés.
Ce principe a été tempéré dès la loi de 1884 par le bénéfice, pour certains élus locaux, d'une indemnité de fonction et de remboursement de frais. Ces dispositifs sont aujourd'hui bien établis : selon la DGCL, les indemnités de fonctions représentent 1,6 milliard d'euros, et les remboursements de frais s'élèvent à 22,8 millions d'euros.
Cependant, de réelles disparités existent entre les mandats locaux : plus la moitié des 36 000 maires perçoivent moins de 658 euros bruts mensuels, contre des indemnités huit fois supérieures pour les maires de communes de plus de 100 000 habitants, les présidents de conseils départementaux et régionaux.
Une culture, dite de « l'amateurisme républicain », a ainsi longtemps prévalu en France et perdure encore. L'indemnité de fonction est ainsi conçue comme un mécanisme de compensation des sujétions résultant de l'exercice du mandat, notamment l'éventuelle perte de revenus consécutive à la réduction de l'activité professionnelle. Ce mécanisme est une nécessité démocratique, car il confère aux élus les moyens d'exercer leur mandat, de libérer du temps, et les protège également d'éventuelles pressions extérieures. Il garantit à chaque citoyen, quelle que soit sa fortune personnelle, de prétendre à l'exercice des fonctions électives.
Le régime indemnitaire des élus locaux a connu plusieurs évolutions juridiques depuis une trentaine d'années : codification dans les années 1990, extension aux intercommunalités au tournant des années 2000, diversification pour tenir compte de certaines situations (personnes à charge, handicap) depuis les années 2000. En parallèle, le régime s'est banalisé, les règles applicables aux élus locaux étant, de manière croissante, calquées sur le droit commun, notamment pour les prélèvements fiscaux et sociaux.
Si ces modifications ont accompagné les progrès de la décentralisation et amélioré les conditions d'exercice des mandats locaux, elles n'ont pas abouti à un régime pleinement satisfaisant. La permanence de « l'amateurisme républicain », la dégradation des comptes publics locaux, la sensibilité de l'opinion publique aux enjeux financiers et la possible répugnance de certains élus à s'intéresser à ces considérations prosaïques ont freiné toute évolution significative.
Plusieurs griefs sont également adressés au régime indemnitaire actuel. D'abord, le niveau des indemnités de fonction et des remboursements de frais est souvent insuffisant pour couvrir les charges inhérentes au mandat, notamment pour les maires des plus petites communes, dont les indemnités sont minimes au regard des responsabilités exercées. Ensuite, il est parfois inadapté aux nouvelles réalités locales : collectivités plus larges, responsabilités plus lourdes et diversification des profils. Enfin, les modalités de sa mise en oeuvre sont complexes d'un point de vue juridique et budgétaire, ce qui rend nécessaire la mutualisation du financement des indemnités à l'échelle communale et la simplification des conditions de remboursement.
Il résulte des difficultés évoquées un sentiment d'insatisfaction largement répandu parmi les élus locaux à l'égard de leur régime indemnitaire, comme en témoignent les réponses recueillies lors de la consultation.
Le régime indemnitaire n'a été cité que par moins de 10 % des répondants comme un facteur expliquant la « crise des vocations » pour les fonctions électives locales, mais deux constats préoccupants apparaissent : d'une part, le non-recours aux dispositifs existants (80 % des répondants affirment n'avoir jamais bénéficié de remboursement de frais) ; d'autre part, ceux qui y recourent estiment leur montant insuffisant, sentiment partagé par la moitié des répondants pour les indemnités de fonctions, et par deux tiers d'entre eux pour les remboursements de frais.
Ce contexte, auquel s'ajoute l'interdiction du cumul vertical des mandats, rend nécessaire une réponse aux lacunes du régime indemnitaire.
Nous n'avons pas souhaité engager la « professionnalisation » du statut de l'élu local, qui existe à l'étranger. Aucun consensus ne s'est dégagé dans cette direction parmi les élus auditionnés ou consultés. Il ne s'agit donc pas d'un changement du modèle, mais d'ajuster l'existant en fonction d'un constat de bon sens largement partagé : le mandat local n'est pas une activité professionnelle mais un engagement civique, et l'indemnité de fonction n'est pas une rémunération mais une compensation.
Cette indemnité doit cependant couvrir effectivement les frais liés à l'exercice du mandat, pour ne pas pénaliser les élus ni décourager les candidats. Dans cette optique, nous proposons une revalorisation suffisante, adaptée et soutenable du régime indemnitaire des élus locaux.
Je passe la parole à mon collègue Charles Guené.