Intervention de Olivier Dussopt

Réunion du 9 octobre 2018 à 14h30
Lutte contre la fraude — Adoption des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire

Olivier Dussopt :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la réussite de la commission mixte paritaire sur ce projet de loi, qui fait suite à l’adoption du texte à l’unanimité au Sénat et à une très large majorité à l’Assemblée nationale, traduit le large consensus qu’il a su fédérer. J’y vois la preuve que son ambition, à savoir la modernisation de nos outils de lutte contre la fraude pour les adapter aux fraudes du XXIe siècle, fait l’objet d’un large consensus de la part de la représentation nationale. Aussi cette tribune sera-t-elle pour moi l’occasion de redire l’ampleur du travail mené par le Sénat, en particulier par son rapporteur, pour y parvenir.

De fait, la discussion parlementaire a considérablement enrichi le texte présenté par le Gouvernement, qui comportait onze articles. Le Sénat en a ajouté dix-huit, dont l’Assemblée nationale a conservé la moitié, concernant notamment la répression du délit de blanchiment douanier, les obligations déclaratives pour les comptes détenus à l’étranger, l’extension de la convention judiciaire d’intérêt public à la fraude fiscale, la lutte contre les trafics sur le tabac ou encore le rétablissement de la faculté transactionnelle de l’administration fiscale en cas de poursuites pénales. Ces apports majeurs ont largement contribué à ce qu’un accord soit trouvé entre les deux chambres.

Parmi les sujets moins consensuels figure l’article 1er, supprimé par le Sénat, créant le nouveau service de police fiscale rattaché directement à Bercy. Pour répondre aux inquiétudes que vous avez soulevées, mesdames, messieurs les sénateurs, sachez que ce service agira, je le redis, en complément de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, en fonction de la nature des dossiers. Ce seront les parquets qui choisiront le service enquêteur le plus approprié. De ce point de vue, je crois que les engagements du Gouvernement ont été clairs, s’agissant notamment de la bonne coordination entre les deux services, pour faire suite aux réserves émises par le Conseil d’État. Aussi suis-je heureux de voir que votre assemblée s’est ralliée à la création de ce nouveau service, que l’Assemblée nationale a souhaité renforcer par un alignement des prérogatives des officiers fiscaux judiciaires sur celles des officiers des douanes judiciaires.

De la même manière, je me réjouis du pragmatisme dont a su faire preuve le Sénat s’agissant de la réforme de la procédure pénale applicable à la fraude fiscale, autrement dit du « verrou de Bercy ». De ce point de vue, l’Assemblée nationale a utilement complété le travail de votre rapporteur en définissant précisément les critères objectifs de gravité conduisant à une dénonciation automatique des dossiers au parquet. Surtout, l’article 13 tel qu’il est issu de vos travaux permettra indéniablement une meilleure collaboration entre l’autorité judiciaire et l’administration fiscale, comme cela se pratique dans nombre de pays. J’aurai l’occasion de revenir sur ce sujet, si vous le souhaitez, pour vous présenter la circulaire d’application que la garde des sceaux, Gérald Darmanin et moi-même sommes en train de préparer.

Je me réjouis par ailleurs que le Sénat accueille avec bienveillance plusieurs apports bienvenus nés du dialogue entre le Gouvernement et l’Assemblée nationale. Je pense ici aux initiatives conjointes des groupes communistes, socialistes, Modem et France insoumise, afin de prévoir à l’article 11 la possibilité d’inclure des États de l’Union européenne dans la liste des États et territoires non coopératifs.

J’évoquerai également un autre article, issu d’un amendement déposé par le rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale, pour moderniser la procédure d’autorisation d’accès aux données de connexion par l’Autorité des marchés financiers, la direction générale des finances publiques et la direction générale des douanes et droits indirects.

L’examen des conclusions de la commission mixte paritaire est également pour moi l’occasion de saluer les avancées obtenues dans ce texte concernant les plateformes d’économie collaborative. Je sais l’attachement de votre assemblée, en particulier de votre commission des finances, à une meilleure appréhension de la fraude susceptible d’en résulter. Je pense tout d’abord à l’article 4, qui précise, comme le Parlement y invitait le Gouvernement depuis plusieurs années, les obligations fiscales et sociales imposées aux plateformes d’économie collaborative. J’évoquerai également l’article 4 ter, qui prévoit, à compter de 2020, un régime transitoire de responsabilité solidaire des plateformes en ligne en matière de TVA due par les vendeurs et prestataires, dans l’attente de la transposition de la directive adoptée à Bruxelles en fin d’année dernière.

Concrètement, lorsqu’existent des présomptions qu’une personne se livrant à des activités en France par l’intermédiaire d’une plateforme en ligne se soustrait à ses obligations en matière de TVA, l’administration pourra mettre en demeure l’opérateur de la plateforme de prendre les mesures permettant à la personne en cause de régulariser sa situation. En l’absence de régularisation, la plateforme est solidairement tenue au paiement de la TVA due par cette personne. Il s’agit d’une avancée majeure, qu’il convient de souligner.

Enfin, le texte issu de la commission mixte paritaire démontre utilement, me semble-t-il, la vigilance dont a su faire preuve le Sénat, pour conjuguer lutte contre la fraude et pragmatisme économique. Cela permet que notre détermination absolue à lutter contre ce phénomène ne se fasse pas au détriment de la compétitivité de notre économie. Vous me permettrez ici de donner trois exemples.

Le premier concerne le dispositif de publication des sanctions administratives prévu à l’article 6. Le texte issu de la commission mixte paritaire en revient aux équilibres initiaux du projet de loi, en restreignant la possibilité de publication aux personnes morales et en ajoutant l’obligation de publier toute décision contentieuse favorable au contribuable, lorsque celle-ci intervient après la publication des résultats d’un contrôle ayant donné lieu à redressement et sanctions.

Le deuxième exemple a trait à l’article 7 relatif aux prestations fournies par certains conseils entraînant des comportements abusifs.

Votre assemblée avait initialement souhaité réserver la sanction de l’intermédiaire à une condamnation pénale ou à une sanction définitive du contribuable abusivement conseillé. Je me réjouis, à la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire, que cette disposition, qui aurait privé la mesure de toute efficacité et l’aurait détournée de son objectif, n’ait pas été retenue. Rappelons-le, cet article n’a pas pour objet dissimulé de mettre à mal la profession d’avocat ni celle d’expert-comptable. Il ne constitue pas une atteinte au secret professionnel, ce dernier restant applicable, sauf si le client le lève. En réalité, cet article vise non pas tant les professions réglementées, qui disposent déjà de leurs propres règles déontologiques, que toutes les officines qui, en dehors de tout cadre réglementé, fournissent des solutions pour échapper purement et simplement à l’impôt. La liste des prestations donnant lieu à sanction, définies dans cet article de façon restrictive, rassure tous ceux qui exercent leur profession de conseil honnêtement : ils pourront continuer à le faire sans crainte d’être inquiétés.

Dernier exemple : la commission mixte paritaire a fait preuve de pragmatisme en choisissant de conserver l’amendement de l’Assemblée nationale qui prévoit d’élargir le contenu du rapport extrafinancier des entreprises cotées, pour qu’il aborde également la lutte contre l’évasion fiscale, mais en supprimant l’obligation de communiquer aux représentants du personnel la documentation sur les prix de transfert, qui restera bien évidemment à la disposition de l’administration en cas de contrôle fiscal.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la lutte contre la fraude est un objectif que nous partageons tous – cela a été rappelé tout au long des débats. Son ampleur est immense, mais nous avons la faiblesse de croire que, en dotant l’administration et la justice de nouveaux outils adaptés aux fraudes actuelles, ce texte contribuera à lutter contre des comportements frauduleux de plus en plus retors et dangereux. La contribution de votre assemblée à son enrichissement a été décisive. Je me réjouis de son adoption par la commission mixte paritaire.

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