Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du 9 octobre 2018 à 14h30
Programmation 2018-2022 et réforme pour la justice – renforcement de l'organisation des juridictions — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi et d'un projet de loi organique dans les textes de la commission

Nicole Belloubet :

La réforme consacre des moyens pour la justice. Il s’agit, je l’ai indiqué, d’une priorité gouvernementale. Nous avons besoin de moyens pour investir et pour recruter, afin d’assurer une justice de qualité. C’est tout l’intérêt d’une loi de programmation sur cinq ans, qui offre une visibilité indispensable. Les moyens mis en jeu sont considérables.

Une première étape a été franchie avec la loi de finances pour 2018, comportant une hausse de 3, 9 % du budget de la justice et la création de 1 100 emplois. Une deuxième étape est intervenue avec le budget pour 2019 : l’augmentation de nos moyens s’accélère, avec une hausse des crédits de 4, 5 % et la création de 1 300 emplois.

Le présent projet de loi de programmation prévoit des moyens dont l’importance doit être mesurée à la hauteur de la discipline budgétaire à laquelle le Gouvernement s’astreint par ailleurs. Le budget de la justice augmentera de 1, 6 milliard d’euros en cinq ans, passant de 6, 7 milliards d’euros à 8, 3 milliards d’euros hors pensions, soit une hausse de 24 %. Cela nous permettra d’engager le recrutement de 6 500 emplois. On peut évidemment vouloir toujours plus et proposer des chiffres encore plus élevés ; tout est toujours possible, mais on ne peut s’abstraire d’un contexte financier et budgétaire global, et je crois qu’il ne faut pas nier le caractère positif de la mise en jeu de tels moyens au service de la justice.

De l’utilisation de ces moyens, on peut attendre une amélioration des conditions de travail des magistrats et des personnels, une résorption des vacances de postes – elle a déjà commencé – et la possibilité de constituer de véritables équipes autour des magistrats.

Ce budget va aussi nous permettre de passer de l’ère de l’informatique à l’ère du numérique. Il s’agit pour moi d’un élément stratégique : c’est « le » défi qu’il nous faut relever pour que la justice soit vraiment à la hauteur de l’attente des justiciables. À cette fin, nous allons engager plus d’un demi-milliard d’euros pour mener la révolution numérique.

Enfin, ces moyens se déploieront naturellement dans le secteur pénitentiaire, avec la construction de 15 000 places de prison, dont 7 000 seront livrées et 8 000 engagées d’ici à 2022. Le texte comporte d’ailleurs des dispositions permettant d’accélérer la construction des établissements pénitentiaires par l’allégement de certaines procédures. Votre commission des lois les a en partie écartées, ce que je regrette.

J’ajoute que le projet de loi de programmation prévoit la création de vingt centres d’éducation fermés. Ils constitueront l’une des réponses envisageables, parmi une gamme de propositions, à la question des jeunes mineurs délinquants.

Mais, au-delà des moyens, il s’agit d’abord d’un texte de réforme, comme le Conseil d’État l’a souligné dans son avis.

Le contenu ambitieux du projet de loi de programmation et de réforme pour la justice se dessine autour de six axes.

Le premier a trait à la procédure civile. Celle-ci concerne la justice de tous les jours, de la vie quotidienne, peu spectaculaire, mais pourtant essentielle. Mon projet est simple : il faut simplifier les procédures, faciliter la vie des gens, recentrer le juge sur son cœur de métier, tout en maintenant une justice humaine, protectrice et proche des justiciables, c’est-à-dire une justice de meilleure qualité. Tel est le sens des dispositions du projet de loi.

Simplifier les procédures passe, par exemple, par la réduction des modes de saisine de la juridiction civile ou par l’instauration d’une procédure de divorce plus fluide, en divisant par deux la durée des divorces contentieux, qui dépasse aujourd’hui deux ans.

Faciliter la vie des gens, c’est supprimer les formalités inutiles en matière de protection des majeurs vulnérables, tout en renforçant encore leurs droits fondamentaux, notamment l’exercice de leur droit de suffrage. La dématérialisation des petits litiges du quotidien est une voie à explorer et une faculté nouvelle à offrir à nos concitoyens pour plus de simplicité. La dématérialisation des injonctions de payer permettra d’obtenir une ordonnance plus rapidement.

Recentrer le juge sur son cœur de métier nécessite de développer les règlements amiables des différends, comme nous le proposons. Cela suppose aussi que nous prenions en considération les outils nouveaux que sont les plateformes juridiques, mais en les encadrant avec un haut niveau de garanties pour les utilisateurs.

Assurer une justice de meilleure qualité, c’est par exemple proposer d’étendre le périmètre de la représentation obligatoire par avocat. Cela s’appliquera non pas aux litiges inférieurs à 10 000 euros, mais à certains contentieux complexes, permettant d’assurer une justice de meilleure qualité.

Grâce à ces mesures et à de nombreuses autres, l’expertise de l’avocat sera plus fine et mieux dirigée dans l’intérêt du client. Le travail du juge sera facilité : il sera recentré sur son office et la résolution des litiges ne passera plus nécessairement par le juge, afin de pacifier et de responsabiliser la société.

Je dois constater que votre commission des lois envisage de revenir sur la plupart des mesures proposées en matière de procédure civile, en les vidant bien souvent de leur substance. Je le regrette. Je ne partage pas les préventions de votre commission des lois quant au recours au numérique et à la dématérialisation. Ces préventions m’ont d’ailleurs étonnée, je dois l’avouer. Je crois que de telles évolutions constituent au contraire un grand progrès si les garanties nécessaires sont apportées et si la justice demeure humaine. C’est le cas dans le projet que je porte et il ne saurait en aller autrement.

Je ne souhaite pas pour ma part renoncer à l’ambition de cette réforme. Comme je l’ai souligné à plusieurs reprises, le statu quo n’est pas acceptable. Mais nous en débattrons.

Le deuxième axe concerne la procédure pénale. Je ne veux pas céder ici au fantasme du « grand soir » de la procédure pénale. J’ai au contraire voulu construire des solutions pratiques nées des constats issus du terrain, grâce à un travail conduit en commun avec le ministère de l’intérieur pour la phase d’enquête.

La procédure pénale s’est complexifiée ces dernières années, à l’occasion de réformes qui se sont succédé, empilées, parfois sans cohérence. Cela nuit à l’action de l’autorité judiciaire et des enquêteurs. Parallèlement, la criminalité prend des formes nouvelles qui imposent davantage de réactivité et de simplicité dans l’action.

Nous devons donc nous adapter pour mieux protéger les Français. Mon objectif est d’atteindre plus d’efficacité tant pour les justiciables que pour les acteurs de la justice, cela sans sacrifier la garantie des droits.

À cette fin, il faut simplifier le travail des acteurs, mieux protéger les victimes, lutter contre la délinquance du quotidien.

Simplifier le travail des acteurs, qu’ils soient enquêteurs ou magistrats, est bien une priorité. C’est la raison pour laquelle je souhaite une numérisation complète des procédures. C’est aussi pour cela que le texte prévoit toute une série d’harmonisations, concernant par exemple les seuils de déclenchement de certaines procédures. Plus de clarté dans les textes et de simplicité dans les procédures, c’est naturellement une action pénale plus simple au bénéfice final des justiciables.

Mieux protéger les victimes est aussi une de mes grandes préoccupations. Le dépôt de plainte en ligne constituera un réel progrès, notamment pour les victimes de violences sexuelles ou conjugales, qui hésitent parfois à franchir le seuil des commissariats pour porter plainte. Dans le même esprit, je propose l’expérimentation du tribunal criminel départemental, afin notamment d’éviter la correctionnalisation de certains crimes, par exemple les viols. Votre commission des lois a suivi le Gouvernement sur ce point, et c’est important.

Lutter contre la délinquance du quotidien est également une nécessité. L’instauration des amendes forfaitaires pour l’usage de stupéfiants ou l’extension de l’interdiction de comparaître constituent des exemples à cet égard. La commission des lois a approuvé cette démarche.

J’ai vu certains professionnels du droit s’exprimer récemment dans la presse dans des termes souvent bien différents de ceux employés lors des réunions de travail que j’ai pu tenir avec eux, …

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