Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du 9 octobre 2018 à 14h30
Programmation 2018-2022 et réforme pour la justice – renforcement de l'organisation des juridictions — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi et d'un projet de loi organique dans les textes de la commission

Nicole Belloubet :

… pour dénoncer les atteintes qui seraient prétendument portées à la garantie des droits. J’ai d’ailleurs entendu en même temps et d’un autre côté que ce texte offrait trop de garanties, au risque d’entraver le travail des enquêteurs… Tout cela est excessif et me semble infondé. Ce sont des postures. Je souhaite que nos débats soient l’occasion de clarifier les choses.

Les garanties constitutionnelles sont bien là. J’y ai veillé. Le Conseil d’État l’a amplement confirmé dans son avis. Au renforcement des pouvoirs des enquêteurs répond le contrôle des magistrats du parquet et du siège, notamment par l’intermédiaire du juge des libertés et de la détention, sur les actes d’enquête. Je rappelle que les magistrats du parquet sont avant tout des magistrats, indépendants et garants à ce titre également de la liberté individuelle. Quant aux juges des libertés et de la détention, je ne crois pas que les contrôles qu’ils exercent soient de nature formelle. Par l’intervention de ce juge statutaire, la garantie des droits est bien assurée.

Je dois l’avouer, je m’interroge sur la position adoptée par votre commission des lois, qui a très sensiblement modifié ce texte dans un sens qui me semble parfois éloigné des besoins réels des juridictions, des enquêteurs et des justiciables. J’évoquerai ici quelques exemples.

Votre commission des lois a supprimé la procédure de comparution différée. Or, il faut en avoir conscience, à l’heure actuelle, faute de disposer de cette procédure, les parquets se voient fréquemment contraints d’ouvrir des informations judiciaires, afin de solliciter le placement d’un suspect en détention provisoire pour éviter sa fuite, et ce alors que l’enquête est pourtant sur le point d’aboutir. Cette procédure de comparution différée pourrait épargner demain des mois de détention provisoire à ces suspects en sollicitant du juge des libertés et de la détention une détention provisoire de seulement quelques jours dans l’attente du retour des actes de procédures manquants.

De même, prévoir, comme le souhaite votre commission, le droit pour les suspects d’être assistés par un avocat lors d’une perquisition créera des difficultés opérationnelles majeures pour les enquêteurs sur le terrain.

Il faut être clair : sur ce plan, le texte de la commission des lois peut apparaître comme en retrait pour ce qui est de l’efficacité des enquêtes et en contradiction avec le constat dressé récemment par la mission d’information, qui appelait à « vaincre le malaise des forces de sécurité intérieure »… Mais, là encore, nous en débattrons plus en détail.

Le troisième axe est de redéfinir le sens et l’efficacité de la peine. Notre objectif est ici de mieux réprimer les infractions, de mieux protéger la société et de mieux réinsérer. C’est un chantier essentiel ; il doit s’envisager en lien avec le plan pénitentiaire que j’ai récemment eu l’occasion de présenter.

Il faut d’abord remettre de l’ordre dans notre droit de la peine. Le postulat de base est simple : ceux qui doivent aller en prison doivent s’y rendre réellement ; ceux qui n’ont rien à y faire doivent être sanctionnés, mais d’une autre manière.

C’est pourquoi je propose une nouvelle échelle des peines, considérant que toute infraction mérite sanction : en dessous d’un mois, je propose que les peines d’emprisonnement ferme soient interdites ; entre un et six mois, la peine s’exécutera par principe en dehors d’un établissement de détention ; entre six mois et un an, le tribunal aura la possibilité d’imposer que la peine s’exécute en détention, mais il pourra aussi orienter vers un aménagement de peine ; au-delà d’un an, les peines d’emprisonnement seront exécutées sans aménagement ab initio. Le seuil d’aménagement des peines d’emprisonnement sera ainsi abaissé de deux ans à un an par une modification de l’article 723-15 du code de procédure pénale.

Mon objectif est de mettre fin aux emprisonnements de courte durée, très souvent inutiles, désocialisants, qui nourrissent la récidive. Mais il faut aussi assurer une exécution effective des peines prononcées. Aujourd’hui, l’inexécution des peines de prison rend incompréhensible notre justice pénale, aussi bien pour les victimes que pour les délinquants. Il faut que les peines prononcées en lieu et place de la prison soient des peines réelles, utiles et autonomes, qu’il s’agisse des travaux d’intérêt général ou de la détention à domicile sous surveillance électronique – c’est le « bracelet électronique » –, que nous proposons de développer.

L’efficacité ne consiste pas à invoquer la prison comme un mantra ou une martingale.

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