Intervention de Antoine Lefèvre

Réunion du 9 octobre 2018 à 14h30
Programmation 2018-2022 et réforme pour la justice – renforcement de l'organisation des juridictions — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi et d'un projet de loi organique dans les textes de la commission

Photo de Antoine LefèvreAntoine Lefèvre :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le projet de loi de programmation pour la justice que nous examinons embrasse un grand nombre de sujets. Je me contenterai, en tant que rapporteur spécial des crédits de la mission « Justice », d’en évoquer les principaux aspects budgétaires.

Je note tout d’abord avec satisfaction que le projet de loi respecte le triennal prévu par la loi de programmation des finances publiques. La trajectoire du budget du ministère de la justice est ambitieuse : elle prévoit une augmentation des crédits de 9, 6 % entre 2018 et 2020, contre 2, 7 % pour l’ensemble des autres ministères sur la même période. Autrement dit, ce ministère prioritaire devrait bénéficier d’une augmentation très significative de ses moyens d’ici à 2020. Nous verrons dans quelques semaines dans quelle mesure le projet de loi de finances pour 2019 s’inscrit dans cette tendance.

Au-delà du triennal 2018-2020, la commission des lois propose, pour les années 2021 et 2022, d’augmenter les moyens du ministère de la justice davantage encore que ne le prévoit le projet initial du Gouvernement. Je comprends cette volonté de garantir une hausse du budget de la justice sur le moyen terme afin d’assurer le « redressement de la justice », pour reprendre des termes des intitulés des deux propositions de loi de notre excellent collègue Philippe Bas que le Sénat a adoptées.

Il me semble toutefois qu’il convient d’être prudent : nos finances publiques s’inscrivent nécessairement dans un contexte économique et financier, et les marges de manœuvre budgétaires dont nous disposons ne sont pas illimitées, particulièrement lorsque la croissance est dégradée.

Surtout, si nous partageons tous le constat que la justice française manque cruellement de moyens, il faut également reconnaître qu’elle a besoin de se réformer. Vos projets de loi y contribuent, me direz-vous, madame la ministre.

Mais je souhaiterais insister sur un domaine particulier, dans lequel il est urgent que les projets avancent réellement : je veux parler de la transformation numérique. Elle est cruciale dans une institution comme la justice. Certes, elle est en cours, mais quel chantier ! Des applications obsolètes, des réseaux indigents, des données maintes et maintes fois saisies à la main, ce qui multiplie les tâches administratives sans valeur ajoutée, ainsi que les risques d’erreur. J’étais hier au tribunal de grande instance de Laon : son personnel passe son temps à attendre que les applications démarrent, à patienter pour télécharger des documents, car le débit est limité à 2 mégaoctets. On lui avait promis 20 mégaoctets pour cet été : ne l’oubliez pas, madame la ministre !

Une part significative des moyens supplémentaires dont le ministère de la justice bénéficiera dans les prochaines années devrait prioritairement servir à doter les justiciables, comme les professionnels de la justice et du droit, d’outils numériques fiables et modernes. Vous en avez parlé, madame la garde des sceaux, comme du défi majeur devant être relevé grâce à votre réforme.

Outre cet indispensable investissement dans le numérique, les moyens dégagés pourront bien sûr permettre de réduire les vacances de postes, de créer des emplois là où c’est nécessaire, et donc de diminuer les délais de jugement. Par ailleurs, ces moyens devraient permettre de rénover des établissements pénitentiaires ou d’en construire de nouveaux, pour que les conditions de détention ne soient pas indignes et que, en même temps, les conditions de travail des agents pénitentiaires soient acceptables. J’ai eu l’occasion, hier également, de rencontrer des représentants des organisations syndicales de l’administration pénitentiaire. Il semble urgent d’améliorer les conditions de travail des personnels, car créer des postes, c’est bien, mais les pourvoir, c’est mieux !

Je pense bien sûr ici aux difficultés de recrutement rencontrées par l’administration pénitentiaire, alors même que des milliers de places supplémentaires doivent être créées et qu’il faudra compenser les nombreux départs à la retraite à venir.

Je pense aussi à la situation des greffes de certaines juridictions, notamment en région parisienne. De jeunes diplômés de l’École nationale des greffes renoncent au bénéfice de leur concours quand ils apprennent leur affectation au TGI de Bobigny, par exemple !

L’amélioration du fonctionnement de l’institution judiciaire passe probablement par une meilleure répartition des moyens humains sur le territoire, afin d’éviter que de jeunes professionnels, tout juste sortis d’école, ne soient affectés dans les juridictions les plus à la peine.

Ce projet de loi de programmation fixe un cap. C’est une étape, mais il est désormais temps, madame la ministre, que la promesse tant de fois réitérée de « redresser » ou, à tout le moins, de réformer la justice trouve sa traduction sur le terrain, pour les justiciables comme pour les professionnels.

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