Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du 9 octobre 2018 à 21h30
Programmation 2018-2022 et réforme pour la justice — Article 8

Nicole Belloubet :

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous me permettrez d’être un tout petit peu longue pour vous présenter cet amendement, qui apporte des évolutions tout à fait substantielles pour les majeurs protégés.

Plus de dix ans après l’entrée en vigueur de la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, il importe de renforcer la dignité des majeurs protégés dans l’exercice de leurs droits fondamentaux. Il est essentiel de restaurer l’expression directe de leur volonté, chaque fois qu’elle est possible, et de supprimer les formalités qui apparaissent comme des obstacles illégitimes.

À cette fin, je vous propose donc d’améliorer l’introduction de la procédure de protection judiciaire en imposant aux services qui saisissent le procureur de la République d’une demande de mise sous protection de motiver cette demande au regard d’une évaluation sociale et pécuniaire de l’intéressé.

En effet, la saisine de l’autorité judiciaire aux fins de mise sous protection intervient le plus souvent dans un contexte de crise, qu’il s’agisse d’une perte d’autonomie, de l’isolement ou du refus des aides proposées, de décisions de gestion patrimoniale inconsidérées ou qui paraissent incohérentes, de suspicion de maltraitance ou de maltraitance avérée, mais cette décision doit rester subsidiaire par rapport aux situations déjà en place. Le parquet ne peut assumer son rôle de filtre des demandes qu’au vu d’un état des lieux complet de la situation du majeur.

Cet amendement a pour objet, une fois la mesure prononcée, de supprimer l’autorisation préalable du juge – c’est une nouveauté extrêmement importante –, pour le mariage, la signature d’un PACS ou la décision de divorcer.

Pour autant, la protection de la personne protégée reste assurée, puisque la personne en charge d’une mesure de protection devra être informée préalablement au dépôt du dossier en mairie, et elle bénéficiera d’un droit d’opposition au mariage plus large qu’aujourd’hui. En l’absence de la preuve de l’information du protecteur, la publicité du mariage ne pourra intervenir, de sorte que le mariage ne pourra pas être célébré.

En ce qui concerne le divorce, les personnes protégées ne peuvent actuellement recourir au divorce pour acceptation du principe de la rupture du mariage sans considération des faits à l’origine de celui-ci, alors qu’il s’agit d’un divorce prononcé par un juge dans des conditions apaisées. Il est nécessaire d’ouvrir cette voie au majeur protégé qui souhaite divorcer sans l’obliger à passer par une phase contentieuse. L’acceptation du divorce relèvera alors de sa seule décision, le reste de la procédure donnant lieu à représentation ou assistance.

Dans la même ligne, cet amendement vise à clarifier le rôle du juge des tutelles lorsque des décisions médicales doivent être prises en faveur de la personne protégée. Aujourd’hui, selon les médecins et les tuteurs, une autorisation du juge peut être sollicitée pour une extraction dentaire, même lorsque le majeur protégé et son tuteur sont d’accord pour suivre l’avis médical, ce qui retarde évidemment l’accès aux soins des plus vulnérables. Une habilitation à légiférer par ordonnance est sollicitée pour poursuivre cette réflexion et mettre en cohérence les dispositions du code de la santé publique et du code de l’action sociale et des familles avec celles du code civil.

Le contrôle du juge des tutelles sera également allégé pour permettre au tuteur de prendre, sous sa propre responsabilité et sans formalisme excessif, les décisions concernant l’administration et la gestion des biens du majeur ou du mineur sous tutelle, ce qui correspond à la proposition n° 51 du rapport que m’a remis Mme l’avocate générale Anne Caron-Déglise, laquelle préconise de simplifier le traitement des requêtes en cours de mesure et de supprimer nombre d’entre elles, dès lors que ces opérations font l’objet d’un contrôle a posteriori.

Par ailleurs, l’article L. 5 du code électoral, qui permet au juge de supprimer le droit de vote des majeurs lorsqu’il prononce ou renouvelle une tutelle, est abrogé, ce qui représente une avancée très forte des droits des majeurs protégés. Le Président de la République avait annoncé, lors de son discours devant le Congrès à Versailles, le 9 juillet 2018, son souhait de voir les personnes sous tutelle retrouver le droit de vote. Je vous en propose la traduction législative dans cet amendement.

Il convient évidemment, à cette fin, de garantir le respect du principe de sincérité du scrutin en encadrant les conditions des procurations pouvant être établies par des majeurs protégés et en interdisant ces procurations non seulement aux mandataires judiciaires à la protection des majeurs, mais également aux personnes accueillant ou prenant en charge les majeurs sous tutelle dans les établissements sociaux, médico-sociaux ou sanitaires. Pour rendre le plus effectif possible ce dispositif protecteur, ces personnes ne pourront pas non plus intervenir en tant que personnes assistantes au sens de l’article L. 64 du code électoral. Avec cette mesure, je vous propose réellement une très grande avancée pour les majeurs protégés dans l’exercice et dans la prise en compte de leur droit à la dignité, et ce sans amoindrir la protection qui leur est garantie.

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