C'est une question majeure, que j'ai traitée avec une autre casquette dans une vie antérieure. Si l'on devait refonder le système de 1945 à la lumière de ce qu'on a vécu par la suite, sans doute construirait-on autrement l'intervention des financeurs, ferait-on en sorte qu'ils jouent un rôle différent. Mais le système est ce qu'il est et le mutualisme n'est pas un accident de l'histoire ; il a été fondamentalement pensé par Pierre Laroque en 1945 avec l'idée que le ticket modérateur entraînait une forme de responsabilisation, même si Raymond Barre, en 1980, a tenté de le rendre d'ordre public, c'est-à-dire d'empêcher un deuxième assureur de prendre en charge des dépenses qui ne seraient plus prises en charge par la sécurité sociale. Le ticket modérateur étant assurable, vous légitimez de manière structurelle l'existence d'un deuxième financeur.
Pourquoi ce deuxième financeur a-t-il pris une telle part, à savoir 50 % des dépenses sur les soins courants hors affections longue durée ? Il s'est développé en raison de l'absence de courage politique pour mettre en place un mécanisme permettant d'équilibrer les comptes de la sécurité sociale. Il est très difficile de revenir en arrière, car cela obligerait à modifier des équilibres vraiment complexes. L'idée a parfois été avancée d'en revenir à un 100 % sécurité sociale : j'y suis très réticent, car une telle solution ne réglerait pas la question de la régulation. Parfois, deux financeurs bien coordonnés sont préférables pour la régulation. Ce qu'on fait les pouvoirs publics, c'est qu'ils ont complètement réglementé ce secteur du point de vue du contenu, du point de vue des prix. Qu'est-ce que le « reste à charge zéro », que le Président de la République appelle maintenant le « 100 % santé », si ce n'est une étape ultime de la régulation de ce secteur pour garantir une prise en charge intégrale par le régime de base et le régime complémentaire ? Je ne vois pas à court terme, vu le poids financier qu'a pris l'assurance complémentaire, comment on pourrait en venir à un « 100 % sécu », idée qui n'a jamais fait partie de notre pacte social, même en 1945. Auquel cas, on aurait créé un système complètement étatique qui aurait conduit à la création d'un secteur autre sans doute moins solidaire.