Bref, il importe plus que jamais de créer une vraie direction des ressources humaines de l'État. Lorsqu'un ministère crée une direction des ressources humaines, cela donne d'excellents résultats. Ainsi, dans l'armée de terre qui, comme la marine ou l'armée de l'air, est un corps qui a soin de valoriser les personnes, une direction des ressources humaines a mis en place une marque employeur pour rendre le recrutement attractif et a instauré des systèmes d'évaluation. Si je ne devais faire qu'une seule proposition, ce serait de promouvoir une véritable professionnalisation de la fonction ressources humaines de l'État. Il devrait y avoir dans chaque ministère des directeurs des ressources humaines, et au niveau interministériel une direction des ressources humaines qui prenne en charge la question des carrières et des rémunérations.
Vous savez, notre État a une tradition de mensonge sur les rémunérations. À la direction du budget, lorsque j'ai traité mon premier questionnaire parlementaire, mon chef m'a conseillé de minorer fortement la réponse à la question portant sur les primes des hauts fonctionnaires ! Lorsque j'étais directeur adjoint de cabinet du Premier ministre, j'ai demandé que dans chaque ministère, la fourchette de primes de tous les directeurs soit la même, car je ne supporte pas l'idée que, quand on est directeur de la Sécurité sociale, directeur des collectivités locales ou directeur de l'alimentation, on ait une marge de manoeuvre différente pour les primes que si l'on est directeur au ministère des Finances. Il a fallu se battre !
Il faut aussi parler des sujets qui fâchent. Si vous voulez nommer à la tête d'une entreprise publique un dirigeant qui vient d'une fonction où il est remarquablement rémunéré, et que vous lui proposez de diviser ses émolument par trois, il ne viendra pas - mais il ne dira pas pourquoi. En 2002, lorsque la filière spatiale française était en panne, nous avons dû trouver un directeur du Centre national d'études spatiales. Nous avons été le chercher chez EDF - c'était Yannick d'Escatha - où il avait magnifiquement réussi. La rémunération proposée par la direction du Budget représentait le tiers de ce qu'il gagnait chez EDF ! Alain Lambert, ministre du Budget, a pris sur lui d'accepter ma proposition de lui conserver le même niveau de rémunération. Un an après, ce directeur est revenu me voir et m'a expliqué que, désormais, toutes les fusées Ariane partaient sans problème. Les ingénieurs qui géraient les différents étages de la fusée ne se parlaient plus, il les avait fait se reparler. Et on entend désormais que 83 tirs d'Ariane n'ont pas failli. Cela, parce qu'on avait accepté d'avoir la bonne personne au bon endroit, rémunérée d'une manière qui correspondait à ses responsabilités. Comme disent les anglo-saxons, when you pay peanuts, you get monkeys !
Continuer, dans nos entreprises publiques, à mener des politiques malthusiennes à cet égard, qui décalent fortement les rémunérations des principaux responsables par rapport au privé, aura des conséquences très négatives, sans que jamais personne ne se plaigne, car ceux qui refusent d'exercer des postes parce qu'ils considèrent qu'ils sont mal rémunérés ne s'en vantent pas... Et ceux qui les acceptent dans ces conditions ne sont pas nécessairement les meilleurs. Pour ma part, mon passage dans le privé m'a apporté deux choses.
Lorsque je suis arrivé au Crédit Agricole, mon chef m'a donné quatre objectifs. Ma rémunération dépendait de l'atteinte, ou non, de ces objectifs. Quant à mon activité dans la banque d'affaires, elle m'a conduit à me demander pourquoi mes clients me demandaient des services alors même que je n'avais pas spécialement de formation dans le secteur en question. J'ai compris que les clients attendaient que je sois totalement dédié à ma tâche et, surtout, que je sois responsable, c'est-à-dire que les clients aient la faculté de me mettre personnellement en cause si l'opération ne marchait pas. Or, dans nos systèmes extrêmement hiérarchisées, le principe de responsabilité connaît une dilution préoccupante.
Il faut faire du directeur des ressources humaines l'auxiliaire du directeur de l'administration, du ministre ou du président de l'entreprise. L'important est de mettre en place les bonnes personnes aux bons endroits. À mon sens, d'ailleurs, un directeur des ressources humaines de grande qualité a vocation à devenir soit PDG, soit ministre, soit directeur d'administration centrale, tout comme d'ailleurs le directeur financier, le directeur de production ou le directeur de la communication, s'ils ont une vision holistique du système. Au fond, le seul déterminant du succès d'une organisation, c'est la qualité des femmes et des hommes qui y sont, et leur motivation. Tout le reste est de la littérature.