Intervention de Augustin de Romanet de Beaune

Commission d'enquête mutations Haute fonction publique — Réunion du 31 mai 2018 à 10h10
Audition de M. Augustin de Romanet de beaune président-directeur général du groupe adp

Augustin de Romanet de Beaune, président-directeur général du groupe ADP :

Nos débats sont éminemment politiques.

Au fond, l'entreprise « sphère publique » est, de loin, la plus importante du pays. Parlons plutôt, si vous préférez, du groupe humain qui gère 57 % de la richesse nationale. Comment faire avancer ce groupe ? Je recommande la professionnalisation de la gestion de ses ressources humaines. C'est capital. Vous avez peut-être cherché à auditionner le directeur des ressources humaines de l'État. Impossible, il n'existe pas : quelle est la personne, la femme ou l'homme, dont le métier consiste à conseiller le Premier ministre ou le Président sur la gestion des hauts potentiels de l'État ?

Dans mon entreprise, je préfère recruter des caractères que des diplômes. Il vaut mieux recruter quelqu'un qui a beaucoup de valeur humaine et moins de connaissances techniques, que quelqu'un qui a beaucoup de connaissances techniques, beaucoup de diplômes, et aucune valeur humaine : vous pouvez abimer une entreprise, détruire un corps social avec des personnes très intelligentes, qui ont passé beaucoup de concours et qui n'ont aucune valeur humaine. Le contraire est faux : on peut former aux aspects techniques, mais pas aux valeurs humaines comme le courage ou la transparence. Je milite donc pour faire monter des profils qui n'ont pas forcément sauté six mètres à vingt ans. On le voit d'ailleurs plus dans le privé que dans le public - malgré le remarquable système de promotion interne. Il faut que des personnes qui arrivent au milieu de leur professionnelle, à 40 ou 45 ans, et qui n'ont pas forcément passé les meilleurs concours quand ils étaient jeunes, puissent accéder à des postes d'encadrement supérieur et de direction. Mais il faut des évaluations, des parcours de carrière, des mobilités - et tout cela ne peut être mis en oeuvre que par des professionnels.

Oui, nombre de personnes viennent au bureau pour exercer leur mission, sans se préoccuper de savoir s'ils vont gagner deux fois plus ou 10 % de moins. Néanmoins, dans certaines professions, si le traitement matériel est perçu comme insuffisant, vous n'êtes pas sûr d'attirer et de garder les meilleurs. À Bercy, j'ai milité pour la revalorisation des primes des magistrats : vu leur importance et la nécessité de leur assurer une indépendance, j'ai considéré que c'était un investissement de la collectivité que de les rémunérer mieux.

Aristocratie administrative ? On n'a pas dit mieux que Chateaubriand, l'aristocratie a 3 âges successifs : l'âge des supériorités, l'âge des privilèges, l'âge des vanités... L'administration obéit aussi à cette logique, comme tous les corps ou toutes les parties de la société.

La Défense produit un bien qui est non privatisable. Pourtant, ses agents se sentent en compétition avec eux-mêmes, car ils estiment que c'est leur dignité que d'assurer un bon service de défense du pays. Aussi attachent-ils du prix à la gestion de la ressource humaine. L'éducation pourrait tout à fait être mise en compétition - et l'est d'ailleurs un peu. Cela inviterait ce secteur public à mieux considérer ses enseignants et à se réformer de l'intérieur, pour rester l'atout que nos concitoyens voient en lui.

Je suis absolument contre le spoil system, car il équivaut à faire le procès d'intention aux serviteurs de l'État de ne pas être loyaux à leur ministre - ce qui est faux. Il n'y a pas une conception de l'intérêt général et du service public d'un parti ou d'un autre. Dans une bonne administration, l'administration propose, et le ministre décide. Pour cela, le ministre doit se voir fournir l'information la plus complète, la plus transparente et la plus honnête possible. Si vous êtes du même parti que votre ministre, vous adopterez une visée téléologique, pour lui faire plaisir. Ce n'est pas bon. Être défiant par principe à l'égard d'un serviteur de l'État, qui connaît parfaitement son secteur, serait erroné. La summa divisio passe plutôt entre l'honnêteté et la malhonnêteté intellectuelle.

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