Je remercie votre commission de me recevoir. Mes travaux sur le pantouflage établissent, en effet, que la plus haute juridiction de notre pays, le Conseil constitutionnel, s'est opposée à une initiative du législateur visant à encadrer le phénomène sur des motivations scandaleuses, inexistantes et sans base constitutionnelle avérée. Ce constat met en exergue la vulnérabilité de nos institutions au pantouflage, qui ne disposent pas des moyens d'y résister. Si autrefois la frontière était clairement dessinée entre le public et le privé, tel n'est plus le cas et il convient d'en tirer les conséquences. Nous vivons dans une République d'initiés, où le secret tient une part importante dans l'élaboration des politiques publiques. Mediapart a ainsi révélé, s'agissant de l'affaire que je viens de mentionner, que le secrétaire général du Gouvernement était personnellement opposé à ce que la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) soit en charge du contrôle du pantouflage : celui qui devait défendre la loi a, en réalité, joué contre elle. Le secrétaire général du Gouvernement était précédemment secrétaire général du Conseil constitutionnel, ce dernier, lui-même pantouflard, ayant occupé un poste au secrétariat général du Gouvernement. Or, les décisions du Conseil constitutionnel ne sont pas prises par le collège des juges, mais par le secrétaire général et le président, appuyé par la direction juridique. Comme je l'indiquais dans un article relatif à la procédure de décision au Conseil constitutionnel, l'institution marginalise les juges ! Perdure une tradition de confiance envers une administration, qui a pourtant organisé un système scandaleux. Aucun juge constitutionnel étranger, sauf peut-être la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), ne viole à ce point les règles du procès ! La procédure de décision du Conseil constitutionnel n'est supportable qu'à la condition qu'existe un solide autocontrôle, mais la présidence de Jean-Louis Debré a fait disparaître cet indispensable verrou. Le cynisme le plus cinglant fut atteint en 2017 avec le rapport remis par Denys de Béchillon sur les portes étroites - sont ainsi nommées les contributions déposées au Conseil constitutionnel par des acteurs de la société civile lors du contrôle a priori de la loi -, qui estime que la procédure de contrôle a priori du Conseil constitutionnel peut déroger aux principes du procès. S'il propose la publication du nom des promoteurs des portes étroites, il admet l'absence de publication. Il n'y eut, pour toute justification de la décision de modifier en ce sens la procédure applicable aux portes étroites, un simple communiqué du secrétaire général, autre version de la note qu'il avait rédigée à l'intention des juges pour leur proposer une décision. Ces derniers ne bénéficiant d'aucun moyen humain, l'analyse juridique est centralisée auprès du secrétaire général et du président. Les juges constitutionnels disposent pourtant d'assistants dans les pays étrangers. Jusqu'à Marc Guillaume, le secrétaire général allait jusqu'à rédiger le rapport des rapporteurs, facilité d'autant mieux admise que les juges ne sont souvent pas juristes. Désormais, ils doivent rédiger eux-mêmes leurs rapports, mais sans moyens dédiés. Dès lors, et puisque le secrétaire général leur fournit une note et propose une décision, ils ne tardent guère à se laisser convaincre. Or - et le fait est de notoriété publique -, le secrétaire général, reçoit des contributions de juristes. Guy Carcassonne fut l'un des premiers contributeurs. Il produisait des notes pour le Mouvement des entreprises de France (Medef). Par ailleurs, certains jugent reçoivent des contributions, personnelle ou sous la forme d'une porte étroite envoyée au greffe, ou sont conviés à des dîners en ville, sans que ces initiatives de soient soumises à une quelconque obligation de transparence.