Madame la garde des sceaux, dans un souci de numérisation – celle-ci étant à la mode dans le nouveau monde –, vous envisagez de créer une « start-up judiciaire », un tribunal de grande instance qui recevrait toutes les demandes d’injonction de payer.
L’injonction de payer est une procédure qui existe depuis fort longtemps. Elle permet à un créancier d’obtenir un titre qui devient exécutoire s’il n’y a pas d’opposition et de recouvrer une créance. Pour simplifier, on peut dire qu’elle est essentiellement utilisée par les organismes de crédit et, éventuellement, par des propriétaires pour recouvrer des loyers.
Peut-être la centralisation présente-t-elle d’ailleurs un intérêt pour les organismes de crédit. Au lieu de transmettre leur dossier à un huissier de secteur et de lui demander de déposer la procédure devant le tribunal d’instance territorialement compétent – ou, dans l’organisation nouvelle sur laquelle nous reviendrons plus tard, devant le tribunal de grande instance –, les requérants pourront s’adresser à un tribunal de grande instance situé quelque part en France, peut-être pas nécessairement en région parisienne, avant que le tribunal territorialement compétent statue en cas d’opposition.
C’est une façon de numériser la justice, afin, sans doute, d’avoir un jour des traitements complètement informatisés. Je me demande toutefois ce qu’apporteront les magistrats visés dans le projet de loi – je doute notamment qu’ils aient choisi ce métier pour ne traiter que des dossiers et ne jamais recevoir de justiciables.
La commission a accepté votre proposition à peine modifiée, ce qui, je l’avoue, m’a laissé très perplexe. Nous avons déposé un amendement de suppression en commission, et si nous ne l’avons pas déposé de nouveau en séance publique, je pense que nous serons amenés à voter celui qu’a déposé le groupe CRCE.
Je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure technique pour répondre à l’attente du justiciable, sauf à vouloir faire plaisir aux créanciers institutionnels qui, à terme, domineront le système parce qu’ils en ont les moyens, et à priver la justice d’un moyen d’observation.
Je suis conscient que, dans certains tribunaux d’instance, ce sont aujourd’hui les greffiers qui suivent ces dossiers, mais je sais aussi que des magistrats veillent, sur le terrain, à soulever d’office, notamment en matière de crédit à la consommation, la question des prescriptions ou du non-respect des obligations du créancier.
De plus, le justiciable qui voudrait demander un délai de paiement n’aura pas de contact avec le juge. Il le fera par voie dématérialisée et il devra fournir des pièces. Or les débiteurs sont souvent des gens qui n’ont pas de grands moyens et qui seront bien désarmés pour saisir le juge par voie informatique alors que, en l’état, ils peuvent faire opposition et demander une audience par un simple écrit.