Madame la garde des sceaux, alors que, pour l’élaboration des dispositions en matière civile, les professionnels de la justice ont eu le sentiment d’être dans un vrai dialogue avec vous – ils ont même pu obtenir des avancées –, sur la justice pénale, il semblerait que tout se soit déroulé ailleurs qu’à la Chancellerie. Cela a notamment fait dire à Basile Ader, vice-bâtonnier de Paris, que ce projet de loi était un texte « Collomb-Molins ».
Cet article 27, premier d’une longue série, en est bien l’illustration. Il vise à étendre le recours à la géolocalisation et aux interceptions par voie de communication électronique, comme c’est déjà le cas en matière de criminalité et de délinquance organisée, lors d’enquêtes préliminaires et de flagrance sur les crimes et délits punis d’au moins trois ans d’emprisonnement.
Alors que l’économie générale du dispositif devait conduire le législateur à s’interroger sur son maintien ou, à tout le moins, à contrôler plus strictement son utilisation, le projet de loi entend à l’inverse banaliser les interceptions téléphoniques en enquête préliminaire ou de flagrance et les rendre applicables à la quasi-totalité des crimes et délits dans les mêmes conditions que les interceptions réalisées dans le cadre de l’information judiciaire.
Le seuil retenu de trois ans d’emprisonnement encourus inclut la quasi-totalité de la masse des délits de droit commun, à l’exception notable des infractions routières, des dégradations légères et des délits d’outrage et de rébellion. Le rapport rendu à la Chancellerie par Jacques Beaume et Franck Natali dans le cadre des chantiers de la justice avait estimé qu’il n’était pas souhaitable de retenir un seuil inférieur à cinq ans d’emprisonnement encourus, seuil déjà abusivement bas.
Un tel alignement des conditions des interceptions en enquête préliminaire ou de flagrance sur le droit commun des interceptions téléphoniques réalisées dans le cadre de l’information judiciaire est une négation de leur caractère dérogatoire, qui est donc banalisé. Cela entraîne un recul net et injustifiable de la garantie des libertés individuelles.
Finalement, vous l’aurez compris, nous sommes opposés à cet article, dont nous souhaitons bien évidemment la suppression. Pour nous, il s’agit d’une atteinte grave portée aux libertés fondamentales. Les assouplissements apportés par la commission des lois, même s’ils améliorent le dispositif sur ce point, ne nous semblent pas satisfaisants.