Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du 10 octobre 2018 à 14h30
Programmation 2018-2022 et réforme pour la justice — Article 27

Nicole Belloubet :

Je présenterai mon amendement et je répondrai ensuite aux propos que je viens d’entendre. Ces derniers appellent en effet un certain nombre de réactions, même si je respecte pleinement le souci du Sénat, forte de la conviction que nous partageons le même objectif.

L’article 27 relatif aux interceptions téléphoniques et à la géolocalisation a été profondément modifié par la commission des lois.

Certaines modifications sont tout à fait légitimes, notamment l’exigence d’une décision motivée par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que les opérations sont nécessaires.

En revanche, il convient de maintenir le seuil de peine encourue de trois ans pour les interceptions de communication réalisées lors d’une enquête de flagrance ou préliminaire, à la place de celui de cinq ans retenu par la commission. En effet, ces écoutes doivent pouvoir être réalisées lors d’enquêtes menées pour des infractions telles que la soustraction d’un mineur par un parent, des vols ou des abus de confiance portant sur des sommes très importantes, sans qu’il soit comme actuellement nécessaire d’ouvrir une information qui inutilement encombrera les cabinets des juges d’instruction.

En outre, les garanties prévues lors de l’enquête sont équivalentes – je le répète – à celles de l’instruction dès lors que ces écoutes seront, dans les deux cas, autorisées par un magistrat du siège dont les fonctions sont spécialisées.

Il convient également de rétablir la possibilité en cas d’urgence de mettre en place des interceptions sur la seule autorisation du procureur de la République, validée a posteriori dans les vingt-quatre heures par le juge des libertés et de la détention. Il est en effet des hypothèses dans lesquelles il y a urgence à mettre un suspect sur écoute, notamment pour retrouver une victime enlevée. Dès lors, exiger l’intervention successive du parquet, alerté par les enquêteurs, puis du juge des libertés et de la détention, pour obtenir une autorisation, peut faire perdre des minutes précieuses.

Il convient enfin de supprimer les complexifications introduites par la commission des lois par rapport au droit actuel en matière de géolocalisation. Ces complexifications tendent, d’une part, à réduire la durée de la mesure autorisée par le juge des libertés et de la détention et, d’autre part, à doubler pour la poursuite d’une géolocalisation en urgence l’autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction d’une autorisation du juge des libertés et de la détention.

Ces modifications, qui compliqueraient les investigations, ne sont en effet nullement justifiées.

Pour répondre d’un mot au président Bas, qui a souligné que le Sénat avait adopté la loi de juillet 2015 relative au renseignement, ce texte, bien sûr, a provoqué un choc, puisqu’il constituait une forme de réponse aux actes terroristes. Il s’inscrivait dans cette problématique. Il a d’ailleurs été validé quasiment dans son intégralité par le Conseil constitutionnel.

Or il ne s’agit pas ici de faire référence à des techniques qui seraient exclusivement utilisées pour des questions liées au terrorisme, mais il s’agit d’employer des techniques déjà utilisées pour des infractions de droit commun et pour lutter contre la délinquance ordinaire. Nous ne créons donc rien de nouveau. Nous voulons juste reprendre ces techniques, harmoniser leurs conditions d’utilisation et clarifier les seuils pour tous, tout en instaurant les garanties nécessaires.

Il ne s’agit par conséquent en aucun cas de reprendre des techniques qui seraient exclusivement utilisées pour le terrorisme et de s’en servir pour la délinquance ordinaire. Il s’agit, je le répète, d’harmoniser des techniques déjà utilisées pour la délinquance ordinaire.

Par ailleurs, j’ai été étonnée, voire choquée, des propos de M. Bas – je le dis avec tout le respect et l’estime que j’ai pour lui –, qui a évoqué l’absence de contrôle utile du JLD, le juge des libertés et de la détention. Comment peut-on affirmer cela, alors que le JLD, et ce depuis la loi J21, ou loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, de 2016, est un juge statutaire exclusivement spécialisé sur les fonctions de contrôle de la liberté et de la détention ? Il a le temps d’opérer les vérifications nécessaires et il dispose de tous les moyens de contrôle. Comment peut-on dire qu’il s’agit d’un contrôle purement formel et qu’il ne saurait être utile ?

De la même manière, comment peut-on affirmer qu’il n’existe pas de garantie formelle, alors même que, au-delà du JLD, le contrôle du procureur sur les enquêteurs et sur leurs demandes de placement de suspects sous écoute est une autre garantie ? Je rappelle que le procureur dirige la police judiciaire. Comment peut-on dire qu’il n’y a pas de garantie, alors que l’article 39-3 du code de procédure pénale précise clairement que le procureur enquête « à charge et à décharge » ?

Il est un peu facile d’affirmer que les contrôles sont formels et que les garanties n’existent pas, alors que nos textes visent précisément à faire du JLD et du procureur des magistrats à part entière exerçant pleinement leurs compétences !

Ma dernière observation s’attachera aux victimes. Il est important, en effet, que nous nous en préoccupions, car beaucoup d’affaires ont été résolues grâce à ces techniques utilisées dans le cadre de crimes de droit commun, souvent très graves, qu’il s’agisse de meurtres, de viols ou plus simplement de faits de délinquance quotidienne : cambriolages, escroqueries, etc.

Voilà pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, je mets un peu de passion à expliquer que nous avons construit un texte volontairement et sciemment équilibré !

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