Intervention de Pascal Bolot

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 21 février 2018 : 1ère réunion
Risques naturels majeurs dans les outre-mer — Audition des représentants des forces armées

Pascal Bolot, préfet, directeur de la protection et de la sécurité de l'État au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale :

Merci de votre accueil. Voilà deux ans que je suis le directeur de la protection et de la sécurité de l'État, et j'ai eu à connaître du cataclysme Irma qui a frappé les Antilles du 5 au 20 septembre derniers.

Le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) a beau être proche du Président de la République et du Premier ministre, il n'est pas toujours bien connu. C'est un organisme ancien, qui a pris il y a 110 ans la suite du Conseil supérieur de la défense nationale.

Sa première mission est de fournir au Président de la République et au Premier ministre un appui sur les questions de défense et de sécurité, notamment en préparant les conseils de défense, dont la fréquence est devenue hebdomadaire depuis les attentats de Nice. Sa deuxième mission est d'aider ces mêmes autorités à gérer les crises majeures. Sa troisième mission consiste à fournir une expertise aux autres ministères, ses cadres spécialisés de haut niveau jouant le rôle de têtes de réseau pour l'ensemble de l'administration du pays. Enfin, sa quatrième mission vise à assurer la coordination interministérielle pour ce qui concerne la défense et la sécurité nationales. L'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi), qui monte en puissance depuis cinq ans, garantit la sécurité des systèmes de communication de l'État. Quant au Centre de transmissions gouvernemental (CTG), il fournit aux hautes autorités des communications cryptées sécurisées partout dans le monde, même lors des déplacements en avion. En termes d'effectifs, ces services comptent un millier de personnes, dont plus de la moitié travaillent à l'Anssi.

En cas de crise, notre mission est d'abord de conseiller l'autorité politique responsable, c'est-à-dire le cabinet du Premier ministre. Lorsque celui-ci ordonne la mise en place d'une cellule interministérielle de crise (CIC), comme le prévoit la circulaire du 2 janvier 2012, c'est presque toujours le ministre de l'intérieur qui la préside - parfois, c'est le ministre des affaires étrangères pour une crise concernant des Français établis hors de France, ou celui de la santé, dans le cas, par exemple, d'une pandémie menaçant la continuité des services publics et la stabilité de la nation. Le SGDSN prête alors son appui au cabinet du Premier ministre et conseille le président de la CIC, auprès duquel je me trouve en permanence, sauf lorsque mon adjoint me remplace - le ministre peut aussi déléguer son directeur de cabinet. Les cadres du SGDSN sont affectés aux différentes cellules de la CIC. Pour Irma, l'un de nos officiers a animé nuit et jour la cellule interministérielle de logistique de crise.

Avec l'autorité politique, nous identifions les objectifs : protéger la population, éviter les épidémies, organiser et protéger des têtes de pont, gérer la logistique et l'aide internationale, procéder aux évacuations nécessaires, communiquer auprès de la population. Avec le président de la CIC, le travail est plus technique.

Notre bureau de veille et d'alerte (BVA) dispose d'un annuaire interministériel de crise, qui permet de déclencher l'organisation de crise et de joindre directement tous les cadres de l'État ayant suivi une formation pour réagir sans délai en cas de crise. Pendant les cinq premières années, la CIC n'a été réunie que pendant dix jours. Depuis que j'ai pris mes fonctions, j'y ai passé 80 jours ! C'est vous dire si le travail est bien rodé : en moins d'une heure, toutes les cellules de la CIC peuvent être armées grâce, notamment, au Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC).

Concernant le retour d'expérience, l'un de mes cadres observe le déroulement de nos opérations, et nous le commente à chaud si c'est un exercice ; sinon à froid, deux mois plus tard, pour déterminer les améliorations souhaitables.

La circulaire de 2012 prévoit l'activation possible de la CIC au niveau ministériel, pour la veille ou le suivi. C'est ce que nous avons fait pour Irma, dès le dimanche, pour observer l'évolution du cyclone qui n'était alors que de niveau 3. Il est passé le lundi au niveau 4 puis, dans la nuit de lundi à mardi, au niveau 5, ce qui est rarissime - le dernier cas, le cyclone Hugo, remonte à 1989. La crise, qui ne concernait jusqu'alors que le ministère de l'outre-mer et celui de l'intérieur, avec la mobilisation de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises, nous a conduits à mobiliser le préfet de zone et les préfets de département pour prendre des mesures préventives, d'autant que la violence du cyclone s'est accrue très rapidement, passant du niveau 4 au niveau 5 en seulement 13 heures. Il a fallu associer rapidement plusieurs autres ministères, la santé et les transports notamment, sans que la CIC n'ait encore été rendue interministérielle. Les ministères nous ont envoyé, en observation, des chefs de bureaux ou des sous-directeurs le dimanche et le lundi.

C'est le mardi 5 septembre que le Premier ministre a fait monter en gamme la CIC de suivi sectoriel, mais sans la rendre officiellement interministérielle, ce que nous avons regretté, car nous avions besoin de réunir directement des directeurs d'administration centrale ou des directeurs de cabinet, et non leurs représentants. Cette évolution aurait dû se produire une ou deux réunions plus tôt. La circulaire du 2 janvier 2012 sera modifiée en conséquence pour réunir plus rapidement les cadres en charge de la décision. Dès le 6 septembre, le Président de la République et le Premier ministre sont venus en personne, accompagnés de tous les ministres concernés, ce qui est excessivement rare, même en cas de crise terroriste. La prise de conscience avait été faite. Les convocations par le BVA et le COGIC n'ont pas posé de problème : elles sont parvenues à leurs destinataires dans les délais requis, qui se sont aussitôt mobilisés.

La CIC est composée d'une cellule de situation, au sein de laquelle fonctionne une cellule d'anticipation, d'une cellule de décision et d'une cellule de communication. Les correspondants des services déconcentrés de chaque ministère transmettent leurs informations et nous faisons plusieurs fois par jour un point de situation nationale selon la nature de la crise. Dans le cas d'Irma, on en a tenu jusqu'à 4 le vendredi. Cela n'avait pas été possible le jeudi 7 septembre, lendemain du passage du cyclone, car les communications avaient été coupées. Grâce à la gendarmerie, et aux moyens satellitaires mobiles, celles-ci ont été rapidement rétablies dès le 7 au matin : la préfecture détruite avait reconstitué un centre opérationnel à la gendarmerie. Aussi avons-nous pu faire le point dès le vendredi matin sur l'évaluation des besoins et la définition des moyens à mettre en oeuvre : où faire poser les avions, où faire accoster les bateaux, .... En fait, la cellule anticipation a surtout fait de la logistique interministérielle de crise, en rassemblant les hauts fonctionnaires concernés et en anticipant les flux logistiques. Dès le 8 septembre, le cabinet du Premier ministre a convoqué une réunion interministérielle, dans laquelle un comité interministériel a été créé, dirigé par un délégué interministériel, qui avait pour charge de gérer les suites : réhabilitation, reconstruction, rétablissement des réseaux, rentrée scolaire, etc. Au conseil des ministres de la semaine suivante, le Président de la République revenait des Antilles, où l'avait accompagné le délégué interministériel. La cellule d'anticipation n'a donc pas fonctionné comme à l'accoutumée mais a été dédiée à l'anticipation des flux logistiques.

La cellule communication, elle, s'est heurtée à un black-out de 24 à 36 heures. Routes coupées, radios hors d'usage : comment contacter la population ? Il a fallu 72 heures pour dégager les axes routiers et aller au-devant de la population. L'émotion a été grande aux Antilles et dans l'hexagone, et il a fallu gérer un afflux de quelque 100 000 appels. Les préfectures ont accru la capacité de leurs cellules d'information du public (CIP) ; le Service d'information du Gouvernement (SIG) a mobilisé la société Teleperformance et sa centaine d'opérateurs. Mais il fallait trier les appels : on ne dit pas la même chose à des sinistrés qu'à leurs proches ou à une personne qui demande si elle doit annuler ses vacances. La direction de la communication du ministère de l'intérieur (DICOM) a immédiatement envoyé une équipe pour renforcer les capacités et orienter les demandes. Mais encore faut-il que les opérateurs sachent quoi répondre, ce qui suppose que les informations remontées du terrain soient validées et leur soient transmises, avec les réponses à fournir selon la nature des questions posées.

Pour les recherches en disparition, une centaine d'opérateurs du ministère des affaires étrangères prennent les appels, se renseignent, et rappellent une fois l'information obtenue. Bref, sur une crise de cette nature, la cellule communication a tourné à plein régime. Cela a la grande vertu de diminuer l'ampleur des rumeurs sur les réseaux sociaux, et donne une image positive de l'implication des pouvoirs publics.

Chaque crise est l'occasion de tirer les enseignements et d'adapter nos moyens. La cellule interministérielle d'aide aux victimes (CIAV), de création récente, transmet ensuite ses responsabilités à la délégation à l'aide aux victimes. La cellule interministérielle qui vient d'être instaurée sera pérennisée et passera des contrats dormants susceptibles d'accroître la vitesse de mobilisation des moyens. La crise provoquée par Irma a confirmé la difficulté d'établir un pont aérien avec l'outre-mer ! Pour un générateur d'un mégawatt, il faut un Antonov, et il n'y en a que deux de disponibles, en Ukraine et en Russie. L'armée sait faire, et notre tempérament gaulois nous rend prompts à réagir à l'urgence, mais nous pouvons optimiser en anticipant.

La CIC s'est réunie 28 fois entre le 5 et le 20 septembre. Pour le retour à la vie normale et au rétablissement des services publics, il faut formaliser plus précisément la sortie de crise par une CIC présidée par les plus hautes autorités ou par renvoi à une réunion interministérielle, afin que les responsabilités soient clairement établies pour la suite. En l'occurrence, le délégué interministériel avait constitué une équipe d'une dizaine de personnes. Mais en théorie, la dernière réunion de la CIC doit être plus formalisée, avec des clauses de revoyure, car les conséquences de la crise doivent encore être prises en charge.

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