Intervention de Pascal Bolot

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 21 février 2018 : 1ère réunion
Risques naturels majeurs dans les outre-mer — Audition des représentants des forces armées

Pascal Bolot, préfet, directeur de la protection et de la sécurité de l'État au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale :

J'ai passé une bonne partie de ma carrière à m'occuper de l'outre-mer, en cabinet - j'ai été directeur de cabinet adjoint au ministère - ou en poste dans les territoires du Pacifique ou de l'océan Indien. J'ai déjà été confronté à plusieurs épisodes cycloniques ou tempêtes en Polynésie, à La Réunion ou dans les TAAF.

Beaucoup de crises outre-mer sont gérées directement en outre-mer, qu'il s'agisse de crises d'ordre public ou de celles qui sont liées à des risques naturels. On organise des réunions en visioconférence avec les acteurs, sur place, notamment le préfet, pour évaluer si l'on va pouvoir faire face à la crise sur le terrain.

En ce qui concerne Irma, conscients de la gravité de ce qui se préparait, la direction générale de la sécurité civile, le cabinet du ministre de l'intérieur et celui de la ministre de l'outre-mer, bien conseillés par Météo France, ont décidé très vite, à juste titre, de travailler ensemble et de se mettre en veille. De ce point de vue, le ministère des outre-mer a été très rapidement intégré dans la cellule interministérielle, avec des missions particulières. Par exemple, c'est le cabinet de la ministre qui a été chargé de coordonner l'interministérialité pour l'évacuation des personnes des Antilles vers la métropole et d'établir l'ordre de priorité dans les départs face à l'afflux des demandes. Nous avons d'abord fait partir 1 000 personnes par jour, avant de passer à 1 500 puis à 2 000 au bout de 7 jours. Au total, quelque 8 000 personnes ont été évacuées.

La ministre des outre-mer est partie dès le lendemain avec pour mission d'entrer en contact avec tous ceux qui pouvaient rendre des services sur place - élus locaux, forces vives -, en complément des services de l'État résilients, qui étaient en capacité de conduire leurs missions et, surtout, de ceux qui pouvaient être envoyés en renfort. Il était important d'entendre les besoins. Encore fallait-il savoir quelles étaient les têtes de pont et si l'on pouvait faire atterrir un avion à l'aéroport Princess Juliana. Au bout du quatrième jour, on a pu y faire atterrir un A400M. Les quais n'étaient pas endommagés, mais il fallait vérifier que les bateaux venant apporter des secours pouvaient y accéder sans dommage. Tout cela ne se fait pas en claquant des doigts, surtout quand tout est cassé et que les informations sont parcellaires. L'action de la ministre des outre-mer sur place, les contacts qu'elle a pu nouer, les synthèses qu'elle nous faisait passer nous ont aidés.

Au reste, le Président de la République s'est rendu sur place avec une cinquantaine d'experts, dont certains du ministère des outre-mer, qui ont évalué les besoins pour les différents réseaux. De ce point de vue, le ministère des outre-mer a joué tout son rôle.

J'ai souvenir de nombreuses crises - je pense notamment au passage de plusieurs cyclones, en Polynésie, dans les années 90 -, pour lesquelles on n'avait pas pu faire mieux que mobiliser une ou deux unités d'instruction et d'intervention de la sécurité civile, des unités militaires à la disposition de la direction générale de la sécurité civile. Il n'y avait pas alors de CIC. Ensuite, on a progressivement commencé à parler de reconstruction, avec le souci de ne pas répéter les erreurs du passé. Il y a eu une progression collective dans la prise en compte de ce type d'épisodes.

Certes, le rôle du ministère des outre-mer, qui incarne en propre l'interministérialité, est de gérer un certain nombre de crises. Toutefois, l'ampleur d'un événement peut nécessiter de faire appel à la solidarité nationale, déshabiller certaines missions et déstabiliser l'ensemble du fonctionnement national pour concentrer les forces. Tout cela se prévoit.

Les prises de contact avec les collectivités territoriales ont été très compliquées.

Le 5 septembre, nous avons pu passer quelques appels, mais la communication était mauvaise. Le 6 septembre, nous avons pu avoir des contacts plus approfondis avec un certain nombre de responsables, notamment le président de la collectivité de Saint-Martin, qui a pris des initiatives pour évaluer l'ampleur des dégâts sur le terrain. Cependant, l'institution véritablement résiliente et réactive a été la gendarmerie nationale, qui a très vite pu organiser le centre opérationnel départemental (COD) après la dévastation de la préfecture, et recréer, dans la gendarmerie endommagée - il manquait des toits çà et là -, une base de commandement locale. Cela a permis qu'il y ait un point de rencontre des différents acteurs, un endroit où l'on pouvait communiquer, y compris avec la CIC dès le 6 septembre. Nous avons alors pu échanger précisément sur ce qu'il fallait envoyer, dans quel ordre, etc.

Le rôle des collectivités territoriales est encore plus important pour éclairer M. Philippe Gustin dans sa mission.

Par exemple, nous avons mis un certain temps pour remettre en route les usines de désalinisation, trouver des moyens de substitution, mais aussi pour s'apercevoir que les réseaux d'eau potable et les réseaux d'eaux usées avaient énormément souffert. C'est sur ces différents aspects que les élus locaux, par leur connaissance fine du territoire, peuvent être utiles. Connaissant les habitats spontanés, ils peuvent toucher toute la population, y compris la moins aisée.

La Nouvelle-Calédonie a bénéficié d'un transfert de compétences en matière de sécurité civile et de protection des populations. Cela dit, si une grosse catastrophe s'y produisait, la solidarité nationale primerait la question statutaire, sous réserve que le congrès le demande. Il n'y a aucune raison que le principe de solidarité nationale ne joue pas parce qu'il y a transfert de compétences. Jusqu'à nouvel ordre, la Nouvelle-Calédonie est pleinement dans la République.

Au reste, si la Nouvelle-Calédonie n'est pas concernée par l'accord FRANZ, qui lie la France, l'Australie et la Nouvelle-Zélande et permet une coordination des moyens en cas de catastrophe dans l'un des petits États du Pacifique Sud, on peut imaginer que l'aide d'un grand pays voisin ne nous manquerait pas.

On a bien vu, avec Irma, la difficulté que pouvait représenter la distance : pour atteindre les territoires dévastés, il fallait huit heures en avion et douze jours en bateau... Toutefois, des accords locaux peuvent permettre des circuits d'aide plus courts. Je pense notamment à l'hypothèse où des moyens aériens ne seraient pas pré-positionnés. Pour atteindre un incendie en Nouvelle-Calédonie, il vaut mieux louer des avions dans un pays ami voisin dont les standards d'utilisation sont proches des nôtres que d'envoyer des Canadair ou des Dash !

Je reviens sur le black-out après Irma. Les liaisons satellitaires et les câbles sous la mer étant abîmés, les communications ont été très difficiles pendant dix-huit heures. Compte tenu de la difficulté à disposer d'une photographie, l'éventail des hypothèses était large concernant le bilan humain. D'ailleurs, quand le Président de la République et le Premier ministre sont venus, nous ignorions que neuf morts étaient à déplorer. Un certain nombre de personnes vivant dans les habitats spontanés n'avaient pas voulu quitter les lieux, et nous avions tous en tête le tsunami qui, en Asie, a fait 100 000 morts. Dès lors, je dois dire que nous nous étions attendus à pire. C'est petit à petit que nous avons construit le bilan. Il n'a pas été simple à établir - nous avons cru, à un moment, qu'il y avait 11 morts. Les décomptes sont beaucoup plus compliqués quand tout est aussi désorganisé.

Bien évidemment, des moyens militaires de transmission peuvent être mis en place. C'est ce qu'a fait la gendarmerie au commandement de la gendarmerie (COMGEND), là où le COD a été organisé, dès le 6 septembre. La communication a été correcte. Nous avons ensuite pu avoir une liaison satellitaire. Le 11 septembre, une équipe est arrivée, en même temps que le Président de la République, qui a commencé à réparer les antennes radio et à diffuser en modulation de fréquence, de manière à pouvoir informer le plus grand nombre de personnes possible des cinq points de distribution de l'eau et des vivres, en complément de l'action des forces de l'ordre.

Depuis, la direction générale de la sécurité civile nous a sollicités, sachant que nous disposons de quelques budgets d'intervention au titre du contrat général interministériel. Nous avons signé un décret de transfert afin qu'elle puisse doter les troupes de la mission d'appui en situation de crise (MASC) de moyens de transmissions satellitaires permettant, en cas de reconnaissance éloignée et lorsque la téléphonie mobile ne marche plus, de diffuser les informations vers le PC ou vers Paris.

Après Irma, nous avons été confrontés à un moment de silence. Cela arrive rarement lors des crises.

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