Je vous remercie, monsieur le président, pour cette invitation à venir travailler cet après-midi avec la délégation sénatoriale aux outre-mer. Vous connaissez ma passion pour les outre-mer et mon intérêt pour les difficultés qu'ils peuvent parfois rencontrer. J'ai pu me déplacer avec des membres du Gouvernement au mois de juin et rencontrer un certain nombre d'entre vous dans l'océan Indien, dans le Pacifique ou l'océan Atlantique. Les phénomènes Irma et Maria, pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy notamment, et récemment Berguitta à La Réunion, nous ont rappelé les enjeux climatiques sur ces territoires.
Je vous propose, puisque nous sommes en début de quinquennat et que vous êtes en début de triennat, que nous nous servions de vos travaux pour nous nourrir mutuellement - Parlement, Gouvernement, services de l'État - pour faire vivre ces questions dont la doctrine n'est pas gravée dans le marbre, le principe de la résilience étant la souplesse et l'adaptabilité.
Je suis accompagné aujourd'hui d'Hervé Jaulaer, directeur général adjoint de la prévention des risques et Laure Tourjansky, cheffe du service des risques naturels et hydrauliques. J'en profite pour saluer ici l'action de la direction générale de la prévention des risques, notamment en cette période de crues où les agents veillent sur le niveau de la Seine. Je salue leur travail et leur professionnalisme en tant qu'agents de l'État.
Je voudrais tout d'abord rappeler ce qu'est la prévention des risques et rappeler les enjeux et outils existants, sur ces matières techniques, mais également vous faire part - dans le cadre de vos questions ensuite - de mes expériences, tant sur la prévention que sur la reconstruction puisque je fais partie de l'équipe de ministres - avec Annick Girardin, ministre des outre-mer, et Julien Denormandie, secrétaire d'État auprès du ministre de la cohésion des territoires - qui traitent de la question de la reconstruction de Saint-Martin et Saint-Barthélemy.
Je me concentrerai aujourd'hui sur les risques naturels majeurs, et ce même si les risques technologiques peuvent parfois évidemment rencontrer les risques naturels. Les risques naturels majeurs s'appuient sur deux séries d'action.
Concernant notre objet, le premier aspect est celui du champ des informations, avec la connaissance de l'aléa : il s'agit de savoir comment la nature s'impose à nous, à travers la géographie et la topographie, mais aussi comment la nature s'impose à nous au fil et au regard de l'activité anthropique, qui souvent en amplifie l'impact. L'information se pense également au regard des événements : il s'agit ici de réfléchir d'un point de vue historique, tant à ce que nous léguons qu'à ce dont nous héritons. Les médias parlent régulièrement de records historiques... La rigueur de nos équipes de chercheurs nous offre heureusement un regard différent.
La question de la prévision, et derrière elle celle de la vigilance et de la mise en alerte, et donc des outils qui nous permettent d'y pourvoir. Dans le cas de la prévention des crues que j'évoquais à l'instant, c'est le Schapi à Toulouse qui traite de la prévention des risques d'inondation ; c'est aussi le cas des prévisions météorologiques, et je pense que nous pouvons tous saluer le travail remarquable que Météo France accomplit. J'avais eu l'occasion de le dire en commission lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2018, l'investissement important réalisé pour le super calculateur de Météo France permet aussi de nous adapter à de nouveaux enjeux d'innovation en matière de prévisions météorologiques. Tout le champ de la prévention passe en effet par la prévision et l'information. Enfin, et c'est le lien entre information et action : prévenir, c'est écrire. C'est le rôle de notre ministère, en lien avec les collectivités territoriales. C'est, pour les générations futures, d'établir le diagnostic à partir des connaissances collectées et d'en tirer des conclusions opérationnelles. Tous les documents de prévention des risques, les plans de prévention des risques naturels (PPRN), qui peuvent se décliner dans différents types de plans (inondations, sismiques), proposent des zonages très opérationnels qui ne sont pas que des aides à la décision mais conditionnent d'autres documents stratèges, notamment en matière d'urbanisme, et en définitive la décision elle-même.
Dans le champ de l'action, il y a aussi toute la déclinaison opérationnelle sur ce qui permet de faire et tenir compte des connaissances acquises. Nous allons naturellement parler du fonds Barnier - fonds de prévention des risques naturels : ce sont 166 millions d'euros depuis 2010 qui ont été dépensés pour les outre-mer, soit 50 % de l'argent public déployé par l'État. Ces crédits permettent d'alimenter différents plans tels que les programmes d'actions de prévention des inondations (PAPI) pour financer des mécanismes de vigilance ou des travaux très opérationnels, mais aussi le plan séisme Antilles, pour 450 millions d'euros de programmation entre 2016 et 2020, mais là aussi je serais heureux que nous puissions discuter sur une vision partagée avec les collectivités territoriales - le Sénat étant la maison des territoires. C'est aussi l'ensemble des crédits de droit commun de l'État : dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) ou dotation de soutien à l'investissement local (DSIL). Il y a enfin la question de la culture du risque : c'est la question de l'éducation, de la formation, des exercices, de la relation à la sécurité civile. Sur ces questions, nos concitoyens ultramarins sont - pour des raisons évidentes de vécu - plus expérimentés que les métropolitains. Mais, j'ai pu m'en rendre compte grâce à vous messieurs les sénateurs de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, cette culture du risque même outre-mer doit être constamment confortée par des actions de pédagogie.
Cette culture du risque concerne tout autant la puissance publique - l'État et les collectivités territoriales, et ce quel que soit le régime institutionnel, que la puissance privée. Se passer du monde économique, des entreprises, du monde agricole, serait une aberration : la seule puissance publique de l'État ou des collectivités ne peut porter seule de pareils enjeux. Les questions d'éducation sont aussi incontournables, mon collègue Jean-Michel Blanquer est, je le sais, investi sur le sujet. La prévention des risques est historiquement un axe majeur de l'action du ministère de la transition écologique et solidaire, avec avant tout la préservation des vies humaines, la mise en sécurité des biens et des activités économiques, en lien avec les collectivités territoriales, avec le prisme permanent de l'adaptation au changement climatique. Quand je parlais de changement culturel et d'évolution des mentalités, on voit que nos concitoyens ultramarins, qui ont connu des aléas climatiques dévastateurs ces dernières années sont frappés soit par leur violence, soit par leur caractère inhabituel, leur fréquence ou leur faible prévisibilité. Je me rappelle notamment que nous étions tous médusés, en salle de crise, par la soudaineté du phénomène Irma. Selon les météorologues, cela était assez nouveau. Cela doit nous rendre plus résilients, plus performants dans la culture du risque d'autant que le risque zéro ne peut exister, sauf à considérer qu'une action anthropique peut dominer la nature. Mais c'est là un débat plus philosophique, qui dépasse, je pense, le périmètre de nos travaux de cette après-midi, même s'il ne manque pas de sens.
C'est une priorité et un fil conducteur de mes déplacements. À titre de retour d'expérience, j'ai été frappé par les divergences d'approche des élus locaux sur le sujet selon le modèle institutionnel de collectivité territoriale unique, « DOM-ROM », ou collectivité dotée d'une forte autonomie. C'est cela aussi que j'essaie de mener avec les services de l'État au niveau de l'administration centrale : avoir un regard différencié et adapté à toutes les situations locales, comprendre que chaque territoire répond à des logiques et histoires institutionnelles différentes. C'est un enjeu majeur : en effet, dans certains territoires le jeu des responsabilités peut apparaître comme encore un peu flou... Il nous faudra régler cela, je m'en suis rendu compte à Saint-Martin ou en Polynésie française.
Les ouragans Irma et Maria nous ont tous marqués. Pour nous préparer à ce type d'épisode, il faut probablement que nous changions d'approche, sans changer notre doctrine mais en construisant davantage nos actions en fonction de retours d'expérience. La visite à Saint-Martin a été particulièrement intéressante sur ce sujet. La résilience des réseaux est au coeur d'une reconstruction ; j'empiète ici sur le second volet de vos travaux, mais les PPRN et leur contenu définissent les conditions de la reconstruction. Se pose aussi la question de la vulnérabilité et de l'acceptabilité locale, ce qui peut parfois conduire à ne pas reconstruire à l'identique. Dans la feuille de route de Philippe Gustin figure d'ailleurs un retour global et transversal sur cette expérience pour y voir plus clair.
Notre regard depuis Paris doit s'adapter à chacune des situations des territoires d'outre-mer car de façon évidente, les risques naturels ne sont pas les mêmes selon les territoires. Vous le savez autant que moi si ce n'est davantage pour les élus de ces territoires, on peut dire que pour les outre-mer les aléas sont plus forts que pour les territoires de métropole. Ce sont aussi des territoires qui connaissent un cumul des risques. Je prendrai ici deux exemples : la Guadeloupe et la Guyane.
La Guadeloupe fait partie des départements les plus exposés au risque sismique avec une sismicité de niveau 5, soit le plus fort niveau français. L'archipel est régulièrement impacté par des phénomènes cycloniques, allant de la simple dépression tropicale à l'ouragan majeur. L'île de la Basse-Terre est de nature volcanique avec le volcan actif de la Soufrière, au sud de l'île - certes, d'autres territoires connaissent également cela, je pense à La Réunion. On estime que 15 % de la population guadeloupéenne est située en zone potentiellement inondable par crue torrentielle ou ruissellement, et 11 % par submersion marine. Enfin, la Guadeloupe est exposée à des mouvements de terrain de natures diverses.
On voit l'enjeu de prévenir les risques sans conduire à une neutralisation totale de l'activité en Guadeloupe. J'ai eu l'occasion d'en parler récemment avec le ministre Victorin Lurel lors d'un déplacement. Cela pose la question d'une véritable vision stratégique des collectivités territoriales en matière de développement économique, de transports, de mobilités. Il s'agit aussi, pour les services de l'État, d'appliquer des plans de prévention qui soient le plus juste et le plus fiable possible mais qui correspondent à des réalités acceptables.
La Guyane, elle, est exposée aux mouvements de terrain et aux inondations par débordement de cours d'eau et ruissellement. Je prends cet exemple qui n'est pas insulaire.
Je souhaiterais également évoquer le risque sismique, qui représente un aléa indépendant du changement climatique. Aux Antilles françaises (Martinique, Guadeloupe, Saint-Martin, Saint-Barthélemy), le risque sismique est le risque naturel le plus craint en France.
Je rappelle qu'un séisme majeur, du même type que ceux qui se sont déjà produits en 1839 et en 1843 respectivement en Martinique et en Guadeloupe, pourrait faire, dans les conditions actuelles de vulnérabilité des bâtiments, de très nombreuses victimes et plusieurs dizaines de milliards d'euros de dommages. C'est quelque chose que les Martiniquais et Guadeloupéens, Saint-Martinois et Saint-Barths ont tous en tête.
Enfin, nous avons des risques imposés par la nature et des défis humains qui viennent potentiellement majorer l'impact. Le premier est le défi démographique, notamment en Guyane et à Mayotte, qui connaissent des croissances démographiques extrêmement fortes, pour des raisons que vous connaissez, avec une part d'habitat précaire importante qui crée une vulnérabilité plus forte. En Guyane, plus de 72 % de la population est exposée à au moins un risque. On connaît également à Mayotte les constructions sur les pentes et dans les ravines. J'ai une pensée pour les deux personnes qui ont été récemment emportées alors que leur habitation légère se trouvait à une proximité anormale d'une ravine.
À La Réunion - Nassimah Dindar et moi-même avons eu l'occasion d'évoquer ces sujets quand nous présidions nos départements respectifs -, la forte vulnérabilité de l'île aux aléas climatiques et géologiques est à mettre en parallèle avec une densité de population élevée - c'est le territoire d'outre-mer le plus peuplé, notamment sur la frange littorale et cette tendance va en s'accentuant. On prévoit un million d'habitants d'ici 2035-2040.