Avant d'aborder l'audition de Monsieur Sébastien Lecornu sur le premier volet de notre étude relative aux risques naturels majeurs, je souhaitais faire un point sur la programmation de nos travaux au cours des prochaines semaines.
Considérant la densité et le rythme de notre programme de travail, nous avons essayé de regrouper les auditions sur certaines semaines, par logique thématique. Une information par courriel a déjà été délivrée par notre secrétariat sur les auditions et déplacements qui auront lieu d'ici la période de suspension de fin février. Concernant ces déplacements, qui auront lieu des lundis et vendredis pour éviter les télescopages avec la séance publique et les réunions de commission, vous avez dû vous inscrire pour leur bonne organisation logistique : nous innovons avec ces réunions plénières « hors les murs » de la délégation. Après la visite au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) hier et le déplacement à l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (INSEP) vendredi, il y aura un autre déplacement, au siège de Météo France à Saint-Mandé, le lundi 19 février ; puis, le vendredi 9 mars, nous nous rendrons au centre national de prévision météorologique à la Météopole de Toulouse, qui détient la capacité opérationnelle pour l'appui à la gestion de crise, en matière de prévision cyclonique mais aussi de risque de submersion marine. Ce dernier déplacement, qui s'effectuera sur la journée, nécessitant de réserver des billets d'avion, le secrétariat de la délégation vous demandera une réponse ferme sur votre participation pour mercredi 7 février au plus tard.
Par ailleurs, je vous informe que l'instruction des deux sujets d'étude, les risques naturels majeurs d'une part, la jeunesse des outre-mer et le sport d'autre part, donneront lieu à un déplacement des rapporteurs aux Antilles et en Guyane au cours de la période de suspension des travaux en séance publique de fin avril-début mai. Les Questeurs ont donné leur feu vert et notre secrétariat prendra bien sûr l'attache de nos collègues des territoires concernés pour les tenir informés.
Enfin, pour la partie événementielle de notre programme, la première conférence de bassin sur la biodiversité ultramarine, en partenariat avec l'Agence française pour la biodiversité, consécutive à notre réunion du 7 décembre dernier, aura lieu le jeudi 31 mai et il nous faut choisir le bassin concerné.
Je vous propose que nous amorcions notre cycle sur trois ans par les collectivités du Pacifique. Nous éviterons ainsi toute interférence avec les échéances sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie et ce choix permet aussi de renouer avec l'ordre que nous avions retenu pour les conférences économiques au cours de la période triennale précédente.
La délégation donne acte au président du choix de consacrer la conférence sur la biodiversité ultramarine au bassin Pacifique pour la présente session 2017-2018.
Nous sommes heureux de vous accueillir aujourd'hui au Sénat, la maison des territoires, vous dont l'affinité avec nos outre-mer est désormais notoire. Le décret relatif à vos attributions laissant toute latitude pour tracer les contours de votre portefeuille, vous vous êtes emparé des questions touchant plus particulièrement nos outre-mer et vous avez eu raison ! Vous avez d'ailleurs depuis lors largement sillonné les océans et effectué plusieurs déplacements vers nos territoires. Vous repartez demain pour la Guadeloupe, je crois...
Les problématiques relevant de votre mission auprès du ministre de la transition écologique et solidaire sont au coeur des préoccupations de nos territoires ultramarins, éminemment exposés aux aléas climatiques et aux risques naturels et souvent en pointe sur des sujets tels que la transition énergétique ou la sauvegarde de la biodiversité.
Sur ces thématiques, notre délégation a choisi d'ouvrir un cycle de conférences pour mettre en valeur les biodiversités ultramarines. Ces conférences seront organisées en partenariat avec l'Agence française pour la biodiversité. Une séquence d'ouverture a eu lieu le 7 décembre dernier dont les actes seront prochainement publiés. Trois colloques suivront et se tiendront au Sénat au cours de la période 2018-2020, un pour chacune des régions océaniques. Et nous commencerons par les collectivités du Pacifique. Nous ne manquerons pas de vous y convier.
Notre programme de travail intègre par ailleurs une étude sur les risques naturels majeurs dans les outre-mer dont l'instruction nous a conduits à solliciter votre audition. Et nous vous remercions d'avoir répondu favorablement à notre sollicitation dans les meilleurs délais.
L'étude comportera deux volets : les questions de prévention, d'anticipation et de gestion de l'urgence, d'une part, celles relatives à la reconstruction et à l'organisation de la résilience, d'autre part. Notre collègue Guillaume Arnell est rapporteur coordonnateur de l'ensemble et les rapporteurs du premier volet sont nos collègues Mathieu Darnaud et Victorin Lurel.
Nous allons maintenant vous écouter, Monsieur le ministre, puis les rapporteurs et nos collègues de la délégation vous interrogeront sur la base de la trame qui vous a été communiquée et qui servira de fil conducteur à nos débats.
Je vous remercie, monsieur le président, pour cette invitation à venir travailler cet après-midi avec la délégation sénatoriale aux outre-mer. Vous connaissez ma passion pour les outre-mer et mon intérêt pour les difficultés qu'ils peuvent parfois rencontrer. J'ai pu me déplacer avec des membres du Gouvernement au mois de juin et rencontrer un certain nombre d'entre vous dans l'océan Indien, dans le Pacifique ou l'océan Atlantique. Les phénomènes Irma et Maria, pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy notamment, et récemment Berguitta à La Réunion, nous ont rappelé les enjeux climatiques sur ces territoires.
Je vous propose, puisque nous sommes en début de quinquennat et que vous êtes en début de triennat, que nous nous servions de vos travaux pour nous nourrir mutuellement - Parlement, Gouvernement, services de l'État - pour faire vivre ces questions dont la doctrine n'est pas gravée dans le marbre, le principe de la résilience étant la souplesse et l'adaptabilité.
Je suis accompagné aujourd'hui d'Hervé Jaulaer, directeur général adjoint de la prévention des risques et Laure Tourjansky, cheffe du service des risques naturels et hydrauliques. J'en profite pour saluer ici l'action de la direction générale de la prévention des risques, notamment en cette période de crues où les agents veillent sur le niveau de la Seine. Je salue leur travail et leur professionnalisme en tant qu'agents de l'État.
Je voudrais tout d'abord rappeler ce qu'est la prévention des risques et rappeler les enjeux et outils existants, sur ces matières techniques, mais également vous faire part - dans le cadre de vos questions ensuite - de mes expériences, tant sur la prévention que sur la reconstruction puisque je fais partie de l'équipe de ministres - avec Annick Girardin, ministre des outre-mer, et Julien Denormandie, secrétaire d'État auprès du ministre de la cohésion des territoires - qui traitent de la question de la reconstruction de Saint-Martin et Saint-Barthélemy.
Je me concentrerai aujourd'hui sur les risques naturels majeurs, et ce même si les risques technologiques peuvent parfois évidemment rencontrer les risques naturels. Les risques naturels majeurs s'appuient sur deux séries d'action.
Concernant notre objet, le premier aspect est celui du champ des informations, avec la connaissance de l'aléa : il s'agit de savoir comment la nature s'impose à nous, à travers la géographie et la topographie, mais aussi comment la nature s'impose à nous au fil et au regard de l'activité anthropique, qui souvent en amplifie l'impact. L'information se pense également au regard des événements : il s'agit ici de réfléchir d'un point de vue historique, tant à ce que nous léguons qu'à ce dont nous héritons. Les médias parlent régulièrement de records historiques... La rigueur de nos équipes de chercheurs nous offre heureusement un regard différent.
La question de la prévision, et derrière elle celle de la vigilance et de la mise en alerte, et donc des outils qui nous permettent d'y pourvoir. Dans le cas de la prévention des crues que j'évoquais à l'instant, c'est le Schapi à Toulouse qui traite de la prévention des risques d'inondation ; c'est aussi le cas des prévisions météorologiques, et je pense que nous pouvons tous saluer le travail remarquable que Météo France accomplit. J'avais eu l'occasion de le dire en commission lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2018, l'investissement important réalisé pour le super calculateur de Météo France permet aussi de nous adapter à de nouveaux enjeux d'innovation en matière de prévisions météorologiques. Tout le champ de la prévention passe en effet par la prévision et l'information. Enfin, et c'est le lien entre information et action : prévenir, c'est écrire. C'est le rôle de notre ministère, en lien avec les collectivités territoriales. C'est, pour les générations futures, d'établir le diagnostic à partir des connaissances collectées et d'en tirer des conclusions opérationnelles. Tous les documents de prévention des risques, les plans de prévention des risques naturels (PPRN), qui peuvent se décliner dans différents types de plans (inondations, sismiques), proposent des zonages très opérationnels qui ne sont pas que des aides à la décision mais conditionnent d'autres documents stratèges, notamment en matière d'urbanisme, et en définitive la décision elle-même.
Dans le champ de l'action, il y a aussi toute la déclinaison opérationnelle sur ce qui permet de faire et tenir compte des connaissances acquises. Nous allons naturellement parler du fonds Barnier - fonds de prévention des risques naturels : ce sont 166 millions d'euros depuis 2010 qui ont été dépensés pour les outre-mer, soit 50 % de l'argent public déployé par l'État. Ces crédits permettent d'alimenter différents plans tels que les programmes d'actions de prévention des inondations (PAPI) pour financer des mécanismes de vigilance ou des travaux très opérationnels, mais aussi le plan séisme Antilles, pour 450 millions d'euros de programmation entre 2016 et 2020, mais là aussi je serais heureux que nous puissions discuter sur une vision partagée avec les collectivités territoriales - le Sénat étant la maison des territoires. C'est aussi l'ensemble des crédits de droit commun de l'État : dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) ou dotation de soutien à l'investissement local (DSIL). Il y a enfin la question de la culture du risque : c'est la question de l'éducation, de la formation, des exercices, de la relation à la sécurité civile. Sur ces questions, nos concitoyens ultramarins sont - pour des raisons évidentes de vécu - plus expérimentés que les métropolitains. Mais, j'ai pu m'en rendre compte grâce à vous messieurs les sénateurs de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, cette culture du risque même outre-mer doit être constamment confortée par des actions de pédagogie.
Cette culture du risque concerne tout autant la puissance publique - l'État et les collectivités territoriales, et ce quel que soit le régime institutionnel, que la puissance privée. Se passer du monde économique, des entreprises, du monde agricole, serait une aberration : la seule puissance publique de l'État ou des collectivités ne peut porter seule de pareils enjeux. Les questions d'éducation sont aussi incontournables, mon collègue Jean-Michel Blanquer est, je le sais, investi sur le sujet. La prévention des risques est historiquement un axe majeur de l'action du ministère de la transition écologique et solidaire, avec avant tout la préservation des vies humaines, la mise en sécurité des biens et des activités économiques, en lien avec les collectivités territoriales, avec le prisme permanent de l'adaptation au changement climatique. Quand je parlais de changement culturel et d'évolution des mentalités, on voit que nos concitoyens ultramarins, qui ont connu des aléas climatiques dévastateurs ces dernières années sont frappés soit par leur violence, soit par leur caractère inhabituel, leur fréquence ou leur faible prévisibilité. Je me rappelle notamment que nous étions tous médusés, en salle de crise, par la soudaineté du phénomène Irma. Selon les météorologues, cela était assez nouveau. Cela doit nous rendre plus résilients, plus performants dans la culture du risque d'autant que le risque zéro ne peut exister, sauf à considérer qu'une action anthropique peut dominer la nature. Mais c'est là un débat plus philosophique, qui dépasse, je pense, le périmètre de nos travaux de cette après-midi, même s'il ne manque pas de sens.
C'est une priorité et un fil conducteur de mes déplacements. À titre de retour d'expérience, j'ai été frappé par les divergences d'approche des élus locaux sur le sujet selon le modèle institutionnel de collectivité territoriale unique, « DOM-ROM », ou collectivité dotée d'une forte autonomie. C'est cela aussi que j'essaie de mener avec les services de l'État au niveau de l'administration centrale : avoir un regard différencié et adapté à toutes les situations locales, comprendre que chaque territoire répond à des logiques et histoires institutionnelles différentes. C'est un enjeu majeur : en effet, dans certains territoires le jeu des responsabilités peut apparaître comme encore un peu flou... Il nous faudra régler cela, je m'en suis rendu compte à Saint-Martin ou en Polynésie française.
Les ouragans Irma et Maria nous ont tous marqués. Pour nous préparer à ce type d'épisode, il faut probablement que nous changions d'approche, sans changer notre doctrine mais en construisant davantage nos actions en fonction de retours d'expérience. La visite à Saint-Martin a été particulièrement intéressante sur ce sujet. La résilience des réseaux est au coeur d'une reconstruction ; j'empiète ici sur le second volet de vos travaux, mais les PPRN et leur contenu définissent les conditions de la reconstruction. Se pose aussi la question de la vulnérabilité et de l'acceptabilité locale, ce qui peut parfois conduire à ne pas reconstruire à l'identique. Dans la feuille de route de Philippe Gustin figure d'ailleurs un retour global et transversal sur cette expérience pour y voir plus clair.
Notre regard depuis Paris doit s'adapter à chacune des situations des territoires d'outre-mer car de façon évidente, les risques naturels ne sont pas les mêmes selon les territoires. Vous le savez autant que moi si ce n'est davantage pour les élus de ces territoires, on peut dire que pour les outre-mer les aléas sont plus forts que pour les territoires de métropole. Ce sont aussi des territoires qui connaissent un cumul des risques. Je prendrai ici deux exemples : la Guadeloupe et la Guyane.
La Guadeloupe fait partie des départements les plus exposés au risque sismique avec une sismicité de niveau 5, soit le plus fort niveau français. L'archipel est régulièrement impacté par des phénomènes cycloniques, allant de la simple dépression tropicale à l'ouragan majeur. L'île de la Basse-Terre est de nature volcanique avec le volcan actif de la Soufrière, au sud de l'île - certes, d'autres territoires connaissent également cela, je pense à La Réunion. On estime que 15 % de la population guadeloupéenne est située en zone potentiellement inondable par crue torrentielle ou ruissellement, et 11 % par submersion marine. Enfin, la Guadeloupe est exposée à des mouvements de terrain de natures diverses.
On voit l'enjeu de prévenir les risques sans conduire à une neutralisation totale de l'activité en Guadeloupe. J'ai eu l'occasion d'en parler récemment avec le ministre Victorin Lurel lors d'un déplacement. Cela pose la question d'une véritable vision stratégique des collectivités territoriales en matière de développement économique, de transports, de mobilités. Il s'agit aussi, pour les services de l'État, d'appliquer des plans de prévention qui soient le plus juste et le plus fiable possible mais qui correspondent à des réalités acceptables.
La Guyane, elle, est exposée aux mouvements de terrain et aux inondations par débordement de cours d'eau et ruissellement. Je prends cet exemple qui n'est pas insulaire.
Je souhaiterais également évoquer le risque sismique, qui représente un aléa indépendant du changement climatique. Aux Antilles françaises (Martinique, Guadeloupe, Saint-Martin, Saint-Barthélemy), le risque sismique est le risque naturel le plus craint en France.
Je rappelle qu'un séisme majeur, du même type que ceux qui se sont déjà produits en 1839 et en 1843 respectivement en Martinique et en Guadeloupe, pourrait faire, dans les conditions actuelles de vulnérabilité des bâtiments, de très nombreuses victimes et plusieurs dizaines de milliards d'euros de dommages. C'est quelque chose que les Martiniquais et Guadeloupéens, Saint-Martinois et Saint-Barths ont tous en tête.
Enfin, nous avons des risques imposés par la nature et des défis humains qui viennent potentiellement majorer l'impact. Le premier est le défi démographique, notamment en Guyane et à Mayotte, qui connaissent des croissances démographiques extrêmement fortes, pour des raisons que vous connaissez, avec une part d'habitat précaire importante qui crée une vulnérabilité plus forte. En Guyane, plus de 72 % de la population est exposée à au moins un risque. On connaît également à Mayotte les constructions sur les pentes et dans les ravines. J'ai une pensée pour les deux personnes qui ont été récemment emportées alors que leur habitation légère se trouvait à une proximité anormale d'une ravine.
À La Réunion - Nassimah Dindar et moi-même avons eu l'occasion d'évoquer ces sujets quand nous présidions nos départements respectifs -, la forte vulnérabilité de l'île aux aléas climatiques et géologiques est à mettre en parallèle avec une densité de population élevée - c'est le territoire d'outre-mer le plus peuplé, notamment sur la frange littorale et cette tendance va en s'accentuant. On prévoit un million d'habitants d'ici 2035-2040.
Cette pression urbaine va renforcer les conflits d'usage, notamment entre les impératifs de développement de l'île et la prévention des risques. Un diagnostic et des orientations ont été dressés récemment dans le schéma d'aménagement régional (SAR). Il y a enfin, et c'est le champ de mon collègue ministre d'État, ministre de l'intérieur, Gérard Collomb, des enjeux de sécurité civile liés à l'insularité et la distance, paramètres qui n'améliorent pas la gestion de crise.
Après avoir abordé les constats, je souhaiterais aborder les solutions. Beaucoup de choses de moyens de l'État ont été engagés car c'est traditionnellement une compétence de l'État - et ce avant comme après la décentralisation - même s'il y a un partage avec les collectivités territoriales. La spécificité institutionnelle de certains territoires peut faire évoluer l'approche sur la question.
Je suis parfois agacé d'entendre des choses inexactes. Les directions de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL), administrations de ce ministère - un des derniers à disposer d'une ingénierie d'État, notamment des mines et des ponts - sont complètement engagées sur ces enjeux et leurs effectifs ont considérablement augmenté ces dernières années. Pointer le manque de moyens est toujours facile mais il faut reconnaître les avancées : en l'occurrence une augmentation de 20 % entre 2012 et 2018 sur l'ensemble des DEAL des outre-mer, et en particulier en Guadeloupe pour couvrir un besoin d'ingénierie global sur l'ensemble des Antilles et du bassin de la Caraïbe. J'ai également insisté pour que, dans le cadre de la reconstruction, il y ait une présence à Saint-Martin et Saint-Barthélemy afin que les collectivités puissent mobiliser l'ingénierie de la Guadeloupe.
Le Fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), également appelé Fonds Barnier, est mobilisable dans les DOM et à Saint-Pierre-et-Miquelon, et pour certaines actions à Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Il ne s'applique pas en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie. Ce fonds connaît une ampleur de mobilisation tout à fait importante : 58 millions d'euros ont par exemple été délégués depuis 2010 en Guadeloupe, 2 millions d'euros ont été délégués depuis 2010 à Mayotte. Le fonds est actuellement sollicité pour mettre à jour le PPR de Saint-Martin à la suite d'Irma, et pourra l'être pour la réalisation de celui de Saint-Barthélemy, dès lors que la collectivité a décidé de s'y engager - et je crois que le président de la collectivité a décidé de s'y engager, si mes informations récentes sont exactes.
Les territoires bénéficient également de la présence et de l'implication, indispensable, des opérateurs spécialisés dans le risque naturel, qui dépendent de ce ministère. Je pense utile de les rappeler pour vos travaux :
- le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), en particulier pour la connaissance de l'aléa sismique, par exemple aux Antilles ;
- l'Institut de physique du globe de Paris (IPGP) pour le volcanisme, notamment à La Réunion ;
- Météo France, que j'ai déjà cité ;
- le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), qui a apporté son appui après Irma. Il accompagne également Saint-Barthélemy pour l'élaboration de son PPRN.
Je souhaiterais également développer les outils propres à chaque risque. Sur la prévision des crues, il y a un service à compétence nationale, le Schapi, dont le siège est à Toulouse, qui veille actuellement sur la Seine et ses affluents et les crues de l'Est de la France. Le Schapi a un dispositif adapté aux DOM : les cellules de veille hydrométrique (CVH). J'aurai l'occasion de m'y rendre pour le suivi des crues actuelles. Si les parlementaires souhaitent visiter ce service peu connu du grand public, cela me semble utile.
Je ne reviens pas sur les plans de prévention des risques. L'enjeu est évidemment la bonne entente entre les collectivités et l'État, notamment quand il y a une forte densité de population. Il est parfois difficile d'expliquer à un maire qu'il faut freiner le développement de sa commune et imposer des contraintes à son plan local d'urbanisme (PLU) - ceci n'est pas vraiment propre aux outre-mer, je parle en tant qu'ancien maire et ancien président de conseil départemental.
Concernant la prévention des inondations, la plupart des directives européennes, et notamment la directive inondations, s'appliquent aux territoires, sauf évidemment en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française puisque les gouvernements sont maîtres en ces matières. 11 territoires à risque important d'inondation (TRI) sur 122, sont situés en outre-mer. Des plans de gestion des risques d'inondation (PGRI) ont été mis en place sur chaque grand bassin hydrographique (Guadeloupe, Martinique, Guyane, Mayotte et La Réunion) à la fin de l'année 2015. Ce sont donc des avancées assez récentes qui permettent de partager l'opérationnalité de la gestion des risques entre l'État et les collectivités. Des programmes d'action de prévention des inondations (PAPI) sont en cours d'élaboration à Saint-Martin et à La Réunion. Ces PAPI ne sont pas l'apanage des outre-mer, et l'après-Xynthia, en Charente-Maritime où je me suis rendu, appelait de tels dispositifs. Concernant la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GEMAPI), beaucoup de choses ont été dites au Sénat ces derniers mois, je n'y reviens pas.
J'aimerais aborder enfin le plan séisme Antilles, document connu des pouvoirs publics et de la puissance publique territoriale de cette région. Il est prévu sur une trentaine d'années pour un montant d'environ 6 milliards d'euros. Il a été mis en place en 2007 afin d'agir principalement sur le bâti public existant : les établissements scolaires, les bâtiments de gestion de crise, les établissements de santé et les logements sociaux. Il ne concerne pas les bâtiments publics de l'État, mais est véritablement un plan d'aide aux bâtiments publics des collectivités. Une première phase a permis de connaître précisément la vulnérabilité des différents bâtiments publics et de commencer les premiers travaux de renforcement parasismique des écoles primaires, des collèges, des logements sociaux et de reconstruction des casernes de pompiers.
Je précise quelques éléments chiffrés : depuis 2007 ont été réalisés dans le cadre de ce plan la reconstruction des 2 états-majors et de 7 centres de SDIS, de 21 sites de l'État, des interventions sur 9 centres hospitaliers, 51 écoles, 6 collèges, 3 lycées et 3 511 logements sociaux. Ces travaux ont représenté 860 millions d'euros dont 397 millions apportés par l'État - nous sommes ici dans une co-construction et un croisement des financements. Mais il est clair que la tâche à accomplir reste d'une ampleur absolument majeure.
La seconde phase de ce plan a démarré en 2016 et prévoit de s'achever en 2020. Elle a été élaborée en concertation avec les collectivités territoriales et a pour objectif d'augmenter et d'amplifier le rythme des réalisations pour mettre en sécurité plus rapidement encore les populations antillaises. L'État prévoit d'engager globalement 450 millions d'euros pour cette deuxième phase. Il faut donc que les collectivités antillaises se mobilisent, puisque c'est à elles d'apporter des projets pour que l'État puisse engager des financements ; je le dis devant vous pour que vous puissiez en être les relais.
Je vais conclure, et c'est un des fils conducteurs des Assises des outre-mer, nous sommes sur des politiques publiques transversales pour lesquelles l'État a pu apparaître davantage en retrait par le passé. Cela ne veut pas dire que le travail n'était pas fait, bien au contraire, les services de l'État ont réalisé un travail remarquable en administration centrale comme en services déconcentrés. En revanche, peut-être que dans la parole publique gouvernementale ces questions de prévention des risques occupaient un plan plus second. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, non pour des raisons politiciennes mais pour des raisons de pragmatisme évident, et l'ordre du jour de cette séance de travail montre qu'il y a vraiment un sujet. L'enjeu est que l'État soit présent, dans le respect des compétences des collectivités territoriales. Je suis un militant de la décentralisation, mais il n'y a rien de pire que lorsque les collectivités territoriales n'exercent pas les compétences que le législateur leur a données. Je vous remercie.
Je vous remercie, monsieur le ministre. Vous avez abordé un large spectre de questions. Avant de donner la parole aux rapporteurs, je souhaite vous indiquer que nous avons réalisé hier une journée de travail au BRGM, à Orléans, et que nous nous rendrons prochainement dans les services de Météo France à Paris et Toulouse. Un déplacement dans la zone Caraïbe est également prévu ; il sera l'occasion de rencontrer les services déconcentrés du ministère de la transition écologique et solidaire et des opérateurs en charge de la prévention des risques naturels.
Vous avez évoqué une culture du risque très présente dans nos territoires : elle est en effet presque dans nos gènes. Cependant, l'ampleur des aléas connus en 2017 était inédite et telle que cette culture du risque n'était pas suffisante.
Vous avez mis l'accent sur l'action et les réalisations de l'État. Je souhaite rappeler l'intention qui a conduit à cette étude de la délégation : il n'est pas question de mettre en cause le travail de l'État mais, avec l'aide et au contact de toutes les parties prenantes, de formuler des propositions face à ces nouveaux défis. J'entends notamment à ce titre la question de la multiplicité des risques et du cumul de leurs effets.
Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir accepté l'invitation de notre délégation et pour la clarté de votre intervention. J'insiste sur ce que vient de dire le président Magras sur la philosophie sous-jacente à notre travail : il s'agit ici non pas de pointer du doigt des manquements mais de dresser un état des lieux et de formuler des préconisations opérationnelles. Je souhaite également, en mon nom et au nom des habitants des îles du Nord, vous remercier - comme je l'ai déjà fait par écrit - de vous être rendu sur ces territoires. Je pense que la vision apocalyptique que vous avez eue de nos territoires ne pourra qu'amplifier le sentiment qui déjà est le vôtre, à savoir qu'ils méritent non pas des attentions ponctuelles mais une attention soutenue, pour que les manquements - des collectivités comme des populations - puissent être corrigés par un comportement à l'avenir plus adapté, prenant en compte la fréquence et l'amplitude nouvelle des risques. J'invite mes collègues, ultramarins et hexagonaux, à mieux s'approprier ces phénomènes qui vont se multiplier. Récemment, un phénomène qui se dirigeait vers les Antilles a changé de trajectoire et s'est porté sur l'Europe. Nous sommes tous de plus en plus impactés par les dérèglements climatiques.
Je vous remercie pour cet exposé particulièrement exhaustif, qui a permis d'aborder certains points pratiques concernant les territoires.
J'avais déjà posé cette question à votre collègue ministre des outre-mer en novembre : dispose-t-on d'un état des lieux de l'établissement des PPRN dans les territoires qui ont vocation à en avoir ? Je suis bien conscient que, dans certains territoires l'établissement de ces documents d'État ne va pas sans soulever différentes problématiques, notamment par rapport aux contraintes qu'ils imposent. J'ai souvenir d'un déplacement à Mayotte où l'on avait touché du doigt une réalité relative à l'implantation d'habitations sur une partie du territoire. On sait les contraintes générées, sur des questions assurantielles ou encore notamment sur des problématiques de développement.
Comment entendez-vous articuler le travail entre votre ministère de la transition écologique et solidaire et le ministère des outre- mer afin d'appréhender au mieux ces situations de façon très opérationnelle ?
Enfin, ma dernière question sera relative aux enjeux financiers. Le gouvernement a décidé, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018, de plafonner les ressources du fonds Barnier - fonds de prévention des risques naturels. C'est un point sur lequel le Sénat s'était opposé, pour plusieurs raisons, et deux raisons essentielles : le coût des études pour la réalisation des PPRN et la réalisation de certains aménagements imposés par ces plans de prévention. Cela génère une inquiétude naturelle : si nous allons plus avant, et de manière plus rapide, sur l'établissement des PPRN, la crainte est - et même si vous avez rappelé que 166 millions d'euros sont dévolus aux outre-mer - de ne pas pouvoir se conformer ou réaliser une partie des aménagements nécessaires.
Je vous ai écouté attentivement, votre propos était clair et exhaustif. J'aimerais cependant plusieurs précisions. Si la délégation conduit cette étude, c'est que nous nous sommes interrogés et avons été interpelés sur ce qui s'est passé avant, pendant et après les deux cyclones qui ont ravagé nos territoires. Je retiens par exemple le problème de la coordination des services. Face à un cyclone de classe 5 qui a ravagé les îles du nord, il y a eu le ministère de la défense, le ministère de l'intérieur et le ministère des outre-mer, sans compter les autres ministères en coordination. Nous avons eu le sentiment qu'à un moment, il n'y avait pas vraiment de chef de file et que les militaires ne prenaient leurs ordres qu'aux ministères de la défense et de l'intérieur, que le ministère des outre-mer était laissé pour compte. C'est un sentiment fort que nous avons partagé avec la ministre des outre-mer. Il y a eu, au début des opérations, certains cafouillages, au point que certains n'ont pas hésité, ici, dans l'hexagone, à demander une commission d'enquête. Il faut que nous en tirions des leçons, et le Président de la République est d'accord sur ce point. Manifestement, - et au-delà du seul ministère des outre-mer - la gouvernance et la gestion des situations de crise n'est pas encore tout à fait au point. Nous n'avons encore pas trouvé, à mon sens, l'organisation optimale. Quelles conclusions en tirons-nous après Irma ? Aussi, nous avons eu l'impression - peut-être fausse - d'un manque d'anticipation et de coordination, notamment face à l'action menée sur la partie hollandaise de Saint-Martin - les Néerlandais ont une culture du risque très ancienne en matière de quadrillage des quartiers et de maintien de l'ordre public. Il faut en tirer des leçons pour une meilleure coordination et peut-être renforcer le caractère opérationnel du ministère des outre-mer qui est, comme le disait le Président Chirac, un « petit Matignon ». Ce ministère gère tout mais n'a pas forcément les moyens correspondants, d'autant plus que ses effectifs ont été réduits dramatiquement : il n'y a plus qu'une seule direction, on est passé de 330 à 130 personnes. Il y a manifestement un problème de moyens, d'efficacité, de coordination, d'anticipation et de chaîne des ordres. J'aimerais savoir si des conclusions sont déjà tirées en vue de la prochaine crise.
Concernant le fonds Barnier qu'évoquait Mathieu Darnaud, la ministre des outre-mer a dit, lors de son audition ici même, qu'il n'y avait ni plafonnement ni baisse. Ce n'est pas ce que nous constatons : sur le plan séisme Antilles, il y a bien une baisse. Je voudrais connaître l'origine des fonds qui financent le plan séisme Antilles - ce n'est pas le fonds Barnier ? Le président Sarkozy, au sortir d'un voyage à Port-au-Prince après le séisme de 2010 - qui n'est pas le plus redoutable, malgré les 250 000 morts, puisque son intensité était inférieure à celle du séisme de 1843 en Guadeloupe - avait dit ne pas vouloir porter la responsabilité d'un tel drame - un scénario identique à celui de 1843 ferait disparaître toute la Grande Terre et Pointe-à-Pitre - et mettrait les crédits nécessaires à la disposition des élus. J'entends les chiffres que vous énoncez, le nombre d'écoles... Mais il est extrêmement difficile de mobiliser le fonds Barnier. Le plan séisme Antilles est de moins en moins alimenté. J'aimerais savoir quelle est la pérennité des crédits sur le plan séisme Antilles, alors que nous redoutons tous un « big one » sans savoir quand celui-ci interviendra. J'aimerais savoir quel est l'effort fait, la pérennité, la récurrence des crédits, voire leur augmentation, alors qu'au-delà des bâtiments publics, il avait été dit que les logements sociaux seraient inclus. Les renforcements parasismiques et paracycloniques nécessitent des financements qui ne semblent pas aujourd'hui à la hauteur.
Est-ce que l'État dispose d'un état des lieux des différents plans de prévention des risques conclus ? Oui, avec un véritable monitoring des plans de prévention, dans leurs différentes déclinaisons sur les territoires. Sur ces questions techniques, nous pourrons tout à fait avoir des réponses écrites.
Sur ces PPRN, on distingue, vous le savez, les plans prescrits, approuvés et appliqués avec anticipation. J'ai apporté à titre d'exemple une carte des plans de prévention des inondations (PPRI) dans les départements et régions d'outre-mer : 94 PPRI ont été approuvés et un seul est appliqué par anticipation. Ce monitoring est intéressant et c'était un message fort de mon propos liminaire, car on le retrouve sur les différentes natures de risques : inondations, mouvements de terrain - je n'ai pas développé cet aléa qui est une préoccupation par exemple en Nouvelle-Calédonie, risques sismiques et volcaniques. Ainsi, 94 PPRI ont été approuvés, je le disais ; 88 plans de prévention des mouvements de terrain ont été approuvés, pour 16 prescrits ; 66 plans de prévention des risques sismiques approuvés ; 66 plans approuvés également pour le risque cyclonique et enfin 65 pour le risque volcanique. J'en reviens à ce que je disais dans mon propos liminaire et à la définition de la doctrine : dans la prévention des risques : avant l'action, il y a l'information. Le travail des services de l'État est de s'assurer d'avoir cette vision globale sur l'ensemble des territoires.
Vous avez posé deux questions sur l'interministérialité - le sénateur Darnaud sur la prévention, le ministre Lurel sur l'opérationnalité de la gestion de la crise. L'interministériel fonctionne très bien sur la prévention des risques, pour une raison simple : il n'y a qu'un seul ministère, celui de la transition écologique et solidaire, et une seule direction, la direction générale de la prévention des risques. Cette importante direction générale a directement la main sur le réseau des DREAL, DEAL, DRIEE et les équipes dédiées à la prévention des risques présentes sur les territoires - avec l'augmentation des effectifs que je vous signalais plus tôt -. Tout ceci se fait en transparence avec la direction générale des outre-mer ; le corps préfectoral, au coeur de ce dispositif, veille à l'interministérialité.
On reproche souvent à ce ministère d'être un grand ministère normatif, dur avec les acteurs économiques, les acteurs de terrain ou encore les collectivités territoriales. C'est ici l'occasion au contraire de le valoriser : ce ministère est l'État, il l'est avec force dans la manière de prescrire et de faire appliquer. Je pense que cela fonctionne, mais ce sera votre rôle, en tant que parlementaires, de l'évaluer. Dans le cadre des auditions et déplacements que vous menez - vous mentionniez le BRGM - vous pourriez également vous rendre dans les locaux du ministère, à la DGPR. Souvent les administrations centrales sont peu visitées par les parlementaires, elles méritent pourtant leur intérêt : les services pourront vous montrer comment ils travaillent, sur pièce, sur titre, sur carte, avec les territoires, avec le corps préfectoral et les services déconcentrés, mais aussi vous expliquer leurs parcours.
Concernant l'interministérialité de la coordination du volet opérationnel, Monsieur le ministre Lurel, vous avez occupé d'éminentes responsabilités gouvernementales : vous savez que je n'ai pas de légitimité à répondre puisque c'est le ministre de l'intérieur qui est compétent sur la gestion de crise en tant que telle. Néanmoins, pour ne pas me dérober face à votre interpellation, je souhaite insister sur ce que je disais précédemment, à savoir le rôle majeur que tient le ministère de la transition écologique et solidaire en matière de prévisions. Beaucoup de choses ont été dites par exemple sur les endroits qu'il faudrait évacuer, ou ceux sur lesquels il faudrait pré-positionner des forces - face à des phénomènes comme la délinquance observée à Saint-Martin. Je n'aborderai pas le fond, la doctrine d'emploi et la manoeuvre de sécurité, je n'ai pas de mandat pour le faire. Je répète cependant ce que j'ai pu dire plus tôt : la difficulté réside dans la prévisibilité et la prévision du phénomène climatique. En salle de crise, quand les prévisionnistes regardaient l'arrivée d'Irma et Maria, phénomènes caractérisés par un comportement particulièrement soudain et brutal, il était difficile de mettre des forces en alerte alors que les trajectoires et les territoires qui seraient touchés n'étaient pas certains. Le rôle de ce ministère est de continuer d'investir dans la prévision : l'investissement dans le super calculateur de Météo France est à ce titre éloquent. Les relations entre les collectivités territoriales et Météo France doivent encore pouvoir être améliorées. Je rappelle que la loi oblige les maires à établir un plan de sauvegarde. On en revient à la culture du risque : beaucoup de choses peuvent encore être travaillées, notamment sur les déclenchements de procédures en lien avec le préfet et les prévisions météorologiques. Le ministère est représenté dans tous les centres de crise. Je vous rappelle à ce titre un fonctionnement que vous avez connu lors de votre expérience ministérielle, monsieur Lurel : le centre de crise du ministère est compétent sur les crises climatiques, jusqu'au moment où l'on s'oriente vers une manoeuvre de sécurité civile de protection des populations ; c'est alors le centre de crise du ministère de l'intérieur qui devient maître et pilote les opérations en interministérialité.
Sur les coordinations entre police, gendarmerie et ministère de la défense, je n'ai ni éléments ni légitimité pour les aborder aujourd'hui ; mon collègue ministre d'État, ministre de l'intérieur, Monsieur Gérard Collomb, vous répondra sur ces points.
Concernant la coordination hollandaise que vous évoquiez, je ne peux pas là non plus répondre sur le volet opérationnel, mais je souhaite revenir sur la prévention des risques pour l'avenir. Ces éléments figurent dans la feuille de route du préfet Philippe Gustin, délégué interministériel à la reconstruction des îles de Saint-Barthélemy et Saint-Martin. S'il y a aujourd'hui sur ces deux îles à la fois une préfète et un délégué interministériel en charge de la reconstruction, ce n'est pas un doublon. Chacun a son rôle à jouer et, dans la feuille de route du préfet Gustin, il y a aussi ce retour d'expérience pour l'avenir. Cela englobe la relation avec les autorités hollandaises, qui n'ont peut-être pas la même culture du risque en termes de prévention ; le système français s'attache à la vigilance. La relation avec les autorités hollandaises s'est davantage nouée à la suite de l'événement que nous avons connu qu'en amont de la crise. C'est une page qui est à écrire, pour l'avenir, dans la collaboration que nous devons avoir. Le sénateur Arnell est plus à même de vous apporter des informations sur le sujet, mais c'est une préoccupation que nous avons à l'esprit.
Au sujet du fonds Barnier, que vous avez conjointement évoqué, vous avez fait état de difficultés importantes dans son usage et la mobilisation de ses crédits : cela m'intéresse que l'on puisse y travailler et peut être au coeur de vos conclusions opérationnelles.
En effet, l'utilité de ce fonds est incontestable. La question qui se pose est celle de la complexité de son usage pour les acteurs. Nous serons à l'écoute sur ce sujet, avec les services de l'État, des avis et propositions du Sénat, représentant des territoires et donc des utilisateurs qui constituent des dossiers et sollicitent le fonds. Il y a dans l'hémicycle en ce moment même un débat sur le trait de côte, sur lequel le fonds Barnier peut intervenir.
En revanche, il ne faut pas bloquer sur le plafonnement des recettes, que vous évoquiez. On peut toujours suspecter le Gouvernement de vouloir faire ici ou là des économies, mais la réalité est tout autre : les fonds disponibles ne sont pas utilisés puisque la trésorerie disponible du fonds Barnier est importante ; elle s'élève à 200 millions d'euros.
Je le disais, la trésorerie disponible - je l'avais constaté lors de l'examen de la loi de finances - est extraordinairement importante, le fonds étant loin d'être pleinement utilisé. Mais votre interpellation rejoint la question du ministre Lurel : le problème n'est certainement pas celui de l'argent disponible mais plutôt de la complexité des règles et de la difficulté dans la sollicitation de ces fonds. Je suis prêt à travailler avec vous sur ces questions.
Vous m'avez interrogé sur le plan séisme Antilles. Je me rendrai prochainement en Guadeloupe concernant un autre sujet complexe, l'eau. Je serais ravi de faire un point avec vous à cette occasion. Là encore, le problème n'est pas celui des crédits disponibles, mais des projets portés par les différents acteurs et notamment les collectivités territoriales. Il n'y a aucun problème d'approvisionnement financier sur le plan : la question est celle de la rencontre entre « l'offre » financière et la « demande » des projets. Il est important que nous fassions un point, notamment dans le cadre de nos échanges écrits, afin de donner aussi à nos concitoyens de la visibilité sur ces sujets. Les chiffres que je vous ai communiqués plus tôt méritent par exemple peut-être d'être ventilés par territoire, afin de voir si des raisons de mobilisation différenciée des fonds selon les territoires apparaissent.
Les communes ont aujourd'hui de vraies difficultés qui pèsent lourdement sur leurs capacités d'investissement.
Ma question fera écho à l'actualité des inondations dans l'hexagone et à Paris. J'ai longtemps été, comme vous monsieur le ministre, élu local et départemental. Souvent, dans les plans locaux d'urbanisme, on indique une surface minimale devant rester « pleine terre » pour absorber les eaux de pluie. En Seine-Saint-Denis, j'ai pu constater que beaucoup de terrains étaient carrelés, en infraction avec cette exigence. Or, devant le tribunal administratif 98 % des recours étaient classés sans suite, sans aucune sanction. Comment assurer un meilleur dialogue et une meilleure adéquation entre les décisions de justice et les prescriptions des plans locaux de risques ? Un reportage récent diffusé sur la chaine de télévision France 5 montrait l'action de la mangrove au-dessus de la ville de Sainte-Rose en Guadeloupe, mais aussi que nombre de constructions émergeaient aux abords de celle-ci. Il n'y a ni suivi ni sanction : les citoyens ont donc l'impression qu'ils peuvent construire.
Concernant le pilotage au niveau des crises, j'aurais aimé savoir s'il existait un monitoring, au niveau de l'administration centrale, des exercices réalisés sur les différents territoires. On peut parler de l'élaboration des différents plans de prévention des risques, mais un pilotage des exercices au niveau central est nécessaire. Certains territoires, certaines préfectures ont besoin d'un accompagnement - je me félicite du renforcement des effectifs que vous avez évoqué -, d'un soutien technique depuis Paris sur les exercices et la manière d'améliorer la prise en charge des phénomènes extraordinaires.
Concernant le fonds Barnier, la question de sa mobilisation a été soulevée à Saint-Pierre-et-Miquelon alors que l'adoption du plan de prévention des risques littoraux est sur le point d'être finalisée ; le préfet nous a apporté des éléments de réponse sur ce point.
Nous l'avons vu à travers vos développements, monsieur le ministre, les risques naturels majeurs sont souvent accentués, aggravés par des phénomènes comportementaux, notamment les constructions sauvages ou sur des lieux accidentés, ou encore des concentrations excessives de populations à des endroits dangereux - tout ceci au mépris des règles élémentaires et préconisations du BRGM. Vous avez évoqué le drame survenu à Mayotte il y a quelques jours, où une mère et ses quatre enfants ont trouvé la mort dans un glissement de terrain. Face à ces constatations, les collectivités locales sont souvent dépassées, démunies ; nous l'avons vu lors de l'instruction de l'étude triennale de la délégation sur le foncier, que ce soit en Guyane, à Mayotte ou même aux Antilles - où de grandes villas étaient construites au bord de la mer, au mépris des règles. Parmi les préconisations qui avaient été avancées par notre étude, l'une a été reprise par le député Serge Letchimy dans une proposition de loi récemment adoptée par l'Assemblée nationale : elle vise à imposer une règle dérogatoire en matière de succession, d'indivision. Ma question rejoint celle de Gilbert Roger : ne faudrait-il pas édicter des règles dérogatoires, et les faire appliquer sur une durée déterminée ? À droit constant, nous ne nous en sortirons pas. Avant la proposition de loi de Serge Letchimy, une disposition avait été votée en janvier 2017 à l'occasion de l'examen de la proposition de loi sur les gens du voyage, maintenant dans le code pénal, pénalisant les constructions illicites sur les terrains d'autrui. La délégation avait également formulé une autre préconisation qui consistait, en modifiant le code de l'urbanisme, à soumettre les constructions sommaires, notamment en Guyane et à Mayotte, non pas à un permis de construire - cela n'est pas envisageable - mais à une déclaration. Quelle est votre opinion sur ce sujet qui, je le sais, dépasse votre ministère ? Le développement de règles dérogatoires et leur application ne pourront se faire sans le soutien de l'État.
Ma question, d'ordre technico-administrative, entre, me semble-t-il, dans le champ de votre ministère. En se référant à la dévastation qu'ont connue les îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, un PPRI devra certainement être mis en place selon une référence climatique. Les PPRI ont toujours une référence, décennale ou centennale par exemple ; il y aussi des catastrophes exceptionnelles, cela a été le cas à Saint-Martin et Saint-Barthélemy, mais aussi dans des départements hexagonaux comme les Alpes-Maritimes. Après l'élaboration d'un PPRI, il est mis en place, par arrêté préfectoral, avec la collaboration des services de l'État et des cabinets d'étude spécialisés. Souvent - quasiment toujours -, une étude faune-flore est également prescrite. Celle-ci découvre souvent des espèces ou des vestiges à protéger et bloque en réalité les travaux indispensables à la préservation des vies humaines. Je prends pour exemple un cas concret : le 3 octobre 2015, 21 personnes sont mortes dans les Alpes-Maritimes. Il y avait des PPRI : les communes, communautés d'agglomération ont donc réagi, en collaboration avec la direction départementale des territoires et de la mer et le cabinet de techniciens reconnu comme expert auprès des tribunaux pour agir sur cette crue qualifiée de tricentennale - alors que nous sommes préparés à des crues centennales -. Concernant les références, je pense d'ailleurs que de nouvelles seront aussi établies pour Saint-Barthélemy et Saint-Martin. Cette étude faune-flore ayant découvert des espèces protégées, tout est bloqué car on ne peut déplacer les chauves-souris, les grenouilles, les bulbes, etc. Ma question est simple : comment, sur le plan technique, faire face à ce type de situations, pour que les travaux se réalisent afin de préserver les vies humaines ?
On parle souvent du fonds Barnier et celui-ci est évoqué à chaque catastrophe, mais personne ne sait comment le mobiliser. Ce fonds existe depuis 1995, on parle parfois de la nécessité d'une couverture par des PAPI... Je m'intéresse à la réalité pratique de cette question.
Vous le savez, monsieur le ministre, La Réunion vient de connaître les désastres de la tempête Berguitta, avec des coulées de boue, forçant des gens à déménager notamment au Tampon - 53 familles -, à Saint-Pierre et dans le sud. Ma question porte sur le financement. L'enveloppe, sur le papier, est de 22 millions d'euros pour La Réunion : nous pensons bien que c'est insuffisant, et ce alors même que les zones touchées par les aléas ne sont pas toujours les mêmes. Les ouvrages et projets acceptés par les services de l'État dans le cadre des dossiers d'autorisation et de prise en charge pour les financements nationaux sont majoritairement - et quasi nécessairement - dimensionnés sur une récurrence centenaire. Ne pourrait-on pas envisager des aménagements plus simples, sur des récurrences trentenaires par exemple ? Je pense notamment à l'endiguement des ravines et à la suppression des radiers.
Il y a en effet une enveloppe de fonds européens mobilisables par les régions sur laquelle il reste un petit peu moins de 22 millions d'euros pour La Réunion, principalement sur l'endiguement.
Vous avez aussi parlé de simplification, monsieur le ministre. Nous avons énormément de sigles : SDAGE, PGRI, PPRN, TRI, SLGRI... N'y aurait-il pas des regroupements possibles ?
Ma dernière question concerne les plans locaux d'urbanisme, qui sont à la charge des mairies. Ceux-ci intègrent des aspects de prévention des risques, très techniques. La population, souvent, ne comprend pas ces plans. Comment mieux associer les non-initiés à ces plans, pour accroître la compréhension.
Nous parlons ici de prévention. Vous êtes venu en Polynésie, monsieur le ministre, et votre collègue ministre des outre-mer également, la semaine dernière. La question que je vous pose est celle-ci : quelle est la limite des compétences de l'État ? Si l'on parle de sécurité, nous entrons dans une compétence régalienne...
Ma deuxième question porte sur les abris de survie dans les atolls des Tuamotu, qui font l'objet de demandes récurrentes de financement de la part de la Polynésie. La ministre des outre-mer, qui s'y est rendue, a pris des engagements sur cette question le 26 janvier : j'espère que les paroles ne disparaîtront pas en 20 heures de vol entre Papeete et Paris. Je vous ai écouté, vous parliez de projets : la construction urgente de ces abris de survie aux Tuamotu demeure un voeu pieux des élus polynésiens. Hormis le fonds Barnier, on parle aussi de fonds vert... j'aimerais avoir à ce sujet des précisions.
Je vais tenter de répondre, dans un temps contraint, à l'ensemble des questions posées ; des éléments écrits seront adressés pour les aspects les plus techniques qui pourraient ne pas trouver réponse ici.
Concernant la jurisprudence des tribunaux sur ces questions, monsieur le sénateur, nous ne pouvons, au nom de la séparation des pouvoirs, émettre de jugement sur l'interprétation du droit par les juges judiciaires ou administratifs. Les juridictions administratives font leur mutation culturelle sur ces questions de prévention des risques. Je fais ici le lien avec la question relative au respect de la biodiversité et aux études faune-flore : avec le temps, certaines contraintes apparaissaient comme étant plus importantes que d'autres. La priorité était, il y a quelques années, de construire rapidement et densément pour loger. Il s'agit d'une culture commune : législateur, exécutif, agents de l'État, et aussi juges. On voit aujourd'hui qu'il s'agit de construire mieux - on peut notamment penser à la performance énergétique, respect de la planète - et plus sûr : il y a une évolution. Le législateur peut enfin toujours modifier la loi lorsque la jurisprudence ne lui semble pas bonne - il y a souvent une prise en compte de ces questions dans les travaux tant du Gouvernement que des commissions -, sachant que dans le domaine de la prévention des risques, le domaine légal est important mais le domaine réglementaire l'est tout autant si ce n'est plus, et je rappelle que les éléments sont encore plus précis en matière de risques technologiques.
Concernant l'existence d'un monitoring au niveau central, des exercices, je sais que vous auditionnez le directeur de la sécurité civile et de la gestion des crises : c'est lui qui est compétent pour vous répondre sur cette question qui concerne le ministère de l'intérieur. En tant que président de conseil départemental de l'Eure, j'ai présidé le SDIS, je sais que nous transmettions ces informations aux services de l'État.
Vous évoquiez la multiplication des règles dérogatoires pour adapter les normes outre-mer sur ces questions - avec en toile de fond la proposition de loi de votre collègue député Serge Letchimy.
Le droit à l'expérimentation est quelque chose d'essentiel, comme l'a rappelé le Chef de l'État devant vous en juin dernier à Versailles. La question est de savoir si l'on est dans une spécialisation définitive ou dans un dispositif plus temporaire. Le ministre Lurel le sait, il travaillait beaucoup sur ce sujet lorsqu'il était au gouvernement, la difficulté n'est pas tant de prévoir une expérimentation que de savoir comment on anticipe sa sortie. Pour la déclaration sur l'habitat précaire, je préfère réaffirmer la position constante de l'État pour ce qui est de la rendre universelle : si l'on est dans une logique de déclaration pour mieux trouver derrière des solutions de déconstruction, avec un accompagnement social, oui. Mais ce qui compte c'est que l'on reste dans le cadre de la loi : un habitat qui n'a pas de droit et de titre à être sur un terrain, n'a pas, par définition vocation à y rester. Je sais que cette position est plus facile à exprimer ici à Paris que sur le terrain - et les services de l'État le savent - mais j'ai le souci de la cohérence avec ce qui est fait en ce moment à Saint-Martin où l'on explique que l'on ne peut pas toujours reconstruire à l'identique et que, là où la construction était illégale, il n'y a pas lieu de la rendre légale automatiquement. Je n'ignore pas la situation spécifique de Mayotte où je me suis rendu avant d'entrer au Gouvernement et, considérant cette situation précise que connaît le territoire, nous pouvons travailler sur cette question.
Je comprends la question posée sur les études faune-flore, j'y ai été confronté en tant qu'élu. La particularité de ce ministère est qu'il est chargé de toutes les protections, y compris celle de la biodiversité. Des militants y sont très attachés, d'autres moins ; mon rôle est de dire le droit, alors que le Parlement a voté des lois sur ces sujets. Ce qu'il faut, c'est travailler sur des règles de compensation - dans le schéma « éviter, réduire, compenser » - et faire en sorte qu'un schéma de protection n'en gâche pas un autre, pour aller dans le sens de votre question. Les directions départementales des territoires et de la mer, en lien avec les directions de l'environnement, de l'aménagement et du logement, travaillent de plus en plus sur cette logique de compensation. À titre d'exemple, pour prendre un cas concret qu'est celui de Fessenheim, il y a cet enjeu le long du Rhin et une réflexion sur une éventuelle pré-compensation. Il faut que nous puissions y travailler notamment avec les conseils départementaux, qui ont la compétence sur les espaces naturels sensibles (ENS) et une fiscalité affectée dédiée - on ne manque pas en général d'argent sur ces questions - en lien avec les agences de la biodiversité, l'Agence française pour la biodiversité (AFB) et les agences régionales pour la biodiversité (ARB) qui se déploient depuis la loi relative à la biodiversité.
Madame la sénatrice Dindar, c'est bien la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement qui est le point d'entrée pour les élus. Si cela est estimé nécessaire, nous pouvons demander à la DEAL de La Réunion, et plus généralement à l'ensemble des DEAL, d'organiser des séances d'information à destination des élus.
Concernant les fonds européens gérés par la région, je n'ai pas d'information, mais nos services pourront vous aider sur ce sujet.
Vous m'interpelliez, madame la sénatrice Malet, sur l'opportunité d'un document unique. Ce document, c'est le plan de prévention des risques naturels, le PPRN. Ce qui n'empêche pas des documents en calques, qui permettent de juger de l'étendue du sujet. C'est souvent la matière qui est complexe. Dans le cadre de vos travaux, il est important que vous puissiez rencontrer des préfets - il ne faut pas déconnecter l'administration centrale des services déconcentrés - qui ont l'expérience du terrain au contact des élus.
L'élaboration d'un plan local d'urbanisme est longue et coûteuse : c'est ce que l'élu local pourrait vous répondre. Le membre du Gouvernement vous répondrait davantage : raison de plus pour aller vite et que les collectivités qui en ont la charge avancent rapidement sur les documents stratégiques (SCOT ou SRDEII) en lien avec les services de l'État pour les PPRN. Sur ces questions, c'est Julien Denormandie, secrétaire d'État auprès du ministre de la cohésion des territoires, chargé du logement, qui est compétent ; celles-ci entrent pleinement dans le cadre du second volet de votre étude, sur les questions de reconstruction.
Même quand on commence tôt, les procédures sont très longues. Surtout, le principe de compensation avec une nécessité de classement parallèle à un déclassement de terrain sont sources de blocages. Les obligations en termes de logements sociaux conduisent aussi à des amendes pour des communes qui ont parfois des terrains agricoles qu'elles ne peuvent déclasser : cette situation est kafkaïenne, il faut revoir cela. Notre collègue parlait d'adaptation des normes : je suis partisan que, dans le cadre de la révision constitutionnelle, on fasse respirer la notion d'adaptation et de dérogation.
Ce message peut être transmis au secrétaire d'État Julien Denormandie qui a la charge de ces questions ; je rappelle que nos deux ministères - cohésion des territoires et transition écologique et solidaire - partagent la même administration support.
Vous m'interrogez, madame la sénatrice Tetuanui, sur les abris de survie en Polynésie française. Cela nous renvoie quelques semaines en arrière puisque j'ai pu aborder ce sujet avec le haut-commissaire de la République, le président du gouvernement Édouard Fritch et vous-même lors de mon déplacement. L'État a déjà financé un certain nombre d'abris, non aux Tuamotu mais dans d'autres parties de la Polynésie française. J'avais pu mesurer avec vous combien les autorités de l'État comme du gouvernement de la Polynésie française souhaitaient accélérer le déploiement de ces abris de survie ; je me souviens avoir soutenu cette position sur l'antenne de Polynésie 1ère. Je n'ai pas lu les propos de ma collègue ministre des outre-mer mais, quand je suis parti de Polynésie française, j'avais en tête que l'État et le gouvernement de la Polynésie pouvaient se mettre d'accord sur un plan croisé pour accélérer le déploiement des abris de survie. S'il est nécessaire que je reprenne contact avec le président Fritch - et vous savez que les échanges sont très réguliers - et préside une réunion sur ce sujet avec le haut-commissaire René Bidal et lui-même pour lever tout doute, je peux le faire.
Sur le rôle de chacun, que les choses soient claires : la sécurité et la sécurité civile sont des compétences de l'État ; la prévention des risques en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie est une compétence du gouvernement. Mais, et ceux qui ont été affectés par Irma et Maria le savent, le moment où l'on passe de la prévention des risques à la gestion opérationnelle de crise est extrêmement ténu. Il est aisé de classer dans une catégorie les opérations de sauvetage par exemple, mais des questions peuvent se poser par exemple sur les étapes de vigilance. Je suis attaché aux modèles polynésien et calédonien voulus par le législateur et l'histoire de ces territoires. En Polynésie française, la prévention des risques appartient à la compétence du gouvernement de la Polynésie française.
Il y a un sujet qui a été soulevé par les rapporteurs, il faudra, monsieur le ministre, que nous y revenions, c'est celui de l'anticipation. Cette question est complexe, elle s'entend à une échelle régionale et internationale.
Sur les questions d'adaptation des normes qui ont été abordées plusieurs fois, je vous renvoie à la notion de « différenciation territoriale » que je défends.
Enfin, si la gestion de la crise d'Irma avait été optimale, nous n'aurions pas conduit cette mission : nos travaux montrent qu'il existe des perspectives d'amélioration et je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir contribué à ceux-ci aujourd'hui.
Monsieur le directeur général, mes collègues de la délégation aux outre-mer et moi-même sommes très heureux de vous accueillir, alors que nous engageons une étude sur les risques naturels majeurs auxquels sont confrontés nos outre-mer. Et l'on peut dire qu'ils n'ont guère été épargnés au cours des derniers mois, et encore tout récemment à La Réunion où le sud de l'île a beaucoup souffert des pluies diluviennes... sans pertes humaines fort heureusement !
Monsieur le directeur général, en votre qualité d'ancien gendarme vous êtes un homme de terrain. Dès le début de votre carrière vous avez été au contact de nos territoires puisque vous avez commandé un groupe de pelotons mobiles en Martinique. Puis, après votre intégration dans la préfectorale, vous n'avez cessé de perfectionner votre connaissance de nos outre-mer en occupant successivement différents postes : directeur de cabinet du préfet de La Réunion en 2000 puis, l'année suivante, directeur de cabinet de la directrice des affaires politiques, administratives et financières au secrétariat d'État à l'outre-mer. En 2006, vous devenez secrétaire général de la Polynésie française puis préfet de Mayotte en 2013 après un retour sur l'hexagone, dans le Finistère et le Pas-de-Calais. Enfin, en 2014, vous êtes nommé directeur de cabinet de la ministre des outre-mer, Mme George Pau-Langevin.
Vous exercez vos fonctions de directeur général de la sécurité civile depuis presque un an, et on peut dire que les outre-mer se sont, sur ces questions, rappelés à votre bon souvenir à maintes reprises, du fait de leur vulnérabilité aux risques naturels, et en particulier aux aléas climatiques.
Cette exposition à des risques dont les manifestations s'intensifient en amplitude et en fréquence a conduit notre délégation à choisir ce thème comme sujet d'étude. L'étude comportera deux volets : les questions d'anticipation, de prévention et de gestion de l'urgence, d'une part, celles relatives à la reconstruction et à l'organisation de la résilience des territoires, d'autre part.
Notre collègue Guillaume Arnell coordonnera l'ensemble de l'étude et les rapporteurs du premier volet, dont nous traiterons aujourd'hui, sont Mathieu Darnaud et Victorin Lurel.
Certains d'entre nous ont effectué un déplacement au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) hier, qui s'est révélé particulièrement instructif, et nous avons de nombreux points à évoquer avec vous aujourd'hui. Après votre présentation liminaire, nous les examinerons en suivant la trame qui vous a été transmise et, sur chaque séquence thématique, les rapporteurs puis les membres de la délégation pourront vous interroger.
Monsieur le président, monsieur le ministre, je ne reconnais dans cette enceinte que des visages amis. De Saint-Pierre-et-Miquelon aux Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), nous passons entre deux hémisphères par toutes les latitudes et les longitudes possibles et les outre-mer sont soumis à la quasi-totalité des risques naturels connus, y compris le risque volcanique pour les Antilles et La Réunion, risque qui a disparu depuis quelques millions d'années dans l'hexagone. Les outre-mer mobilisent beaucoup d'attention en matière de prévention, de résilience et d'action de l'État. Chaque année nous devons faire face à un certain nombre d'aléas naturels qui sont suivis et analysés de près. Les effets du changement climatique, s'ils ne sont pas encore suffisamment convaincants pour certains, se traduisent par des manifestations notables. Dans l'hexagone, à La Réunion et en Nouvelle-Calédonie, nous constatons une remontée progressive de la ligne des feux de forêt. De même, le risque cyclonique se manifeste de façon inédite avec la succession de quatre cyclones dans une même zone à dix jours d'intervalle. Météo France n'a pas retrouvé de trace de tels événements dans le passé. Les outre-mer sont aussi soumis aux risques géologiques, qu'il s'agisse de glissements de terrain ou de submersion marine, liés à la tectonique des plaques. Les outre-mer sont aussi - et on ne le dit pas assez - un formidable laboratoire et une belle démonstration de ce que nous pouvons réaliser collectivement avec les collectivités en matière de résilience et de prévention. À la suite des pluies diluviennes au sud de La Réunion, il n'y a eu aucune victime. Même s'il faut être prudent dans les comparaisons, je constate que si nous avons malheureusement déploré quelques morts lors des cyclones aux Antilles, le nombre de victimes a été bien plus élevé aux États-Unis, dans une zone plus urbanisée, avec un cyclone d'intensité comparable. Nous n'avons pas à rougir de ce que nous avons réussi à construire avec les ultramarins en matière de prévention des risques technologiques et surtout naturels, à la fois en matière d'éducation, de prévention, de gestion et de diffusion des alertes. La tempête Eleanor qui a touché la métropole pendant une semaine a fait autant de morts que les trois phénomènes cycloniques des Antilles. Le comportement des populations y est riche d'enseignements pour notre réflexion au sein de la direction générale.
Dans notre organisation administrative, nous avons choisi de ne pas discriminer le suivi des risques en considérant qu'il y avait des risques européens et des risques ultramarins. Cela présente bien des avantages. Toutefois, nous prêtons une grande attention aux phénomènes météorologiques dans les deux hémisphères en fonction des saisons, et assurons un suivi de long terme du risque sismique aux Antilles et du risque volcanique à La Réunion.
Je retrouve avec plaisir le directeur général de la protection civile que j'ai eu privilège de rencontrer dans ses fonctions passées. De la gendarmerie à la sécurité civile, il y a une certaine logique dans votre carrière. Concernant la conduite de notre étude, nous serons parfois amenés à poser des questions qui interpellent ou des questions qui fâchent. Toutefois, comme notre président l'a rappelé au secrétaire d'État, M. Sébastien Lecornu, notre démarche n'est pas de pointer un doigt accusateur mais de disposer d'un retour d'expérience sur les phénomènes hors norme que nous venons de vivre afin de mesurer notre marge de progression, que ce soit celle des services de l'État, des collectivités territoriales ou des citoyens dans leur comportement en situation de crise.
Pourriez-vous nous faire part de votre retour d'expérience concernant la gestion de la crise ? Il y a certainement eu des manquements que nous devons identifier afin de les corriger. Au regard des risques encourus en Guadeloupe et en Martinique, n'y aurait-il pas une réflexion à mener sur un pré-positionnement de moyens de secours en Guyane alors que ce territoire échappe à ces phénomènes cycliques ?
Je voudrais relever la discordance des informations entre Météo France et le National Hurricane Center (NHC) qui est une référence aux Antilles. Le sujet a été abordé hier lors de notre visite au BRGM et nous y reviendrons lors de notre déplacement à Météo France. Pourriez-vous nous éclairer sur les insuffisances de notre système sur la façon d'y remédier ?
Notre étude concerne tous les bassins océaniques et je ne souhaite pas focaliser le débat sur Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Je vous poserai cependant des questions beaucoup plus précises par rapport à ma propre expérience car il y aurait beaucoup à dire sur la période d'après-cyclone. Pourrions-nous vous adresser un questionnaire complémentaire qui ferait l'objet de réponses écrites ?
Je retrouve avec plaisir le directeur général de la protection civile. Quels sont les moyens humains, logistiques et financiers de la direction générale ? À quel moment et selon quels critères enclenche-t-on une cellule de crise et quel en est le pilote ? Estimez-vous suffisants les moyens mis à votre disposition ? Les réseaux sociaux, qui font parfois preuve d'une pédagogie assez remarquable, entrent en concurrence avec les moyens d'information traditionnels. La télévision « officielle » leur accorde même une place, avec les risques de fake news, ce qui pose la question de la maîtrise du contenu et de la diffusion de l'information.
Concernant Météo France, il y a eu une petite incompréhension - pour ne pas dire une polémique - qui s'est développée après l'arrêté de catastrophe naturelle. L'état-major de Météo France est situé en Martinique et il n'y a pas d'anémomètre à Terre-de-Bas et Terre-de-Haut. À partir de simples simulations météorologiques, on a décidé que le vent n'était passé que sur ces deux îles. Les instruments de mesure, pluviomètres et anémomètres font manifestement défaut car Météo France manque de moyens si bien que les évaluations sont parfois effectuées « au doigt mouillé ».
Par ailleurs, les élus locaux n'ont pas été associés aux cellules de crise, alors même qu'on les sollicitait pour agir sur le terrain. Certains ont protesté et se sont imposés mais ont vécu cette mise à l'écart comme du mépris. Comment associer les élus et les associations qui tiennent une place importante avant, pendant et après le cataclysme, notamment pour l'aide humanitaire ?
Des houlographes ont été installés au large des côtes de la Guadeloupe. Je crois qu'il y en a également en Martinique. Mais aujourd'hui certains ont disparu et on n'a pas les moyens d'anticiper un tsunami. S'il s'en produisait un, l'alerte viendrait d'Hawaï via Puerto Rico. Le Sénat avait produit un excellent rapport en 2007 sur le sujet au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Je crois que les choses n'ont pas changé depuis dix ans. On a installé des sirènes à Wallis-et-Futuna et il me semble que c'est une technologie un peu dépassée. De quels moyens dispose la sécurité civile pour une gestion encore plus efficace de la crise ? Néanmoins, je souscris à l'idée selon laquelle nous n'avons pas à rougir de ce qui se fait dans nos territoires.
Bien évidemment, nous répondrons à toutes les questions que vous nous adresserez postérieurement à cette audition.
La direction générale dresse systématiquement un retour d'expérience (RETEX), une analyse de tous les phénomènes nationaux que nous avons à gérer. Cette tâche incombe à une cellule du service de la planification et de la gestion des crises, dirigé par M. Jean-Bernard Bobin. Cependant, je n'ai pas souhaité que le RETEX de l'épisode cyclonique Irma soit mené par la direction générale car nous étions pilote et on ne peut être juge et partie. Nous disposons à ce jour de deux RETEX. Le premier a été engagé par le Secrétariat de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) assez rapidement après la crise et clôturé début novembre ; il s'est penché sur le fonctionnement de la cellule interministérielle de crise, et a donné lieu à un certain nombre de modifications. J'ai demandé un deuxième retour d'expérience qui a été confié par M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur, au chef de corps de l'Inspection générale de l'administration. Il est en cours et se concentre davantage sur le fonctionnement du commandement central et les liens avec le terrain. M. Jean-Bernard Bobin conduira en février un troisième retour d'expérience avec les trois préfets locaux sur le fonctionnement du dispositif aux Antilles.
Les retours d'expérience sont faits systématiquement, parfois à plusieurs voix, au sein de l'administration et donnent lieu à des rapports écrits qui ciblent les dysfonctionnements. J'ai le sentiment que cette crise cyclonique est riche d'enseignements, avec des réalisations remarquables et des dysfonctionnements à corriger. Ceci étant dit, et compte tenu des circonstances exceptionnelles que nous avons vécues, je considère que l'action du service public a été particulièrement efficace.
Vous m'avez interrogé sur la pertinence du pré-positionnement des forces et les moyens de la direction générale. Le système français est un système original : à la fois « dur » et « mou ». « Dur » parce que c'est un système de commandement extrêmement hiérarchisé qui permet depuis deux siècles en France de faire face sur la base d'une répartition claire des responsabilités : le maire est responsable de la sécurité au premier degré et lorsque le sujet dépasse le territoire de sa commune, le préfet a alors tous les moyens pour coordonner l'action de l'ensemble des acteurs. En matière de protection et de sécurité civile, ce système nous est relativement jalousé. En cas de crise, il nous permet de prendre des décisions rapides et de mobiliser et déployer des moyens. S'il n'est pas parfait, c'est un système extrêmement pertinent, même si les élus locaux n'ont manifestement pas été suffisamment associés localement. Au niveau parisien, si la crise dépasse le périmètre d'un ministère, une cellule interministérielle de crise (CIC) se réunit à la demande du Premier ministre. Ceci a été fait dès les premières heures d'Irma. Cette CIC est à la fois un organe de décision et d'analyse mais aussi un organe de commandement pyramidé qui combine les forces des collectivités et de l'État et permet de faire face à la crise, qu'il s'agisse de terrorisme ou de sécurité civile. Le format de la CIC est variable et, lors d'Irma, nous étions en interministérialité quasi totale.
Les moyens de la direction générale sont d'abord des moyens nationaux propres. Notre administration centrale, relativement légère, est constituée de 280 personnes avec 38 statuts différents : des préfets, des administrateurs civils, des administrateurs territoriaux, des agents administratifs, des experts en tout genre - tsunamis, tremblements de terre, feux de forêt, végétation, vulcanologie, nucléaire, tunnels, inondations -, des sapeurs-pompiers civils et militaires, des pilotes, des médecins, des pharmaciens, des informaticiens, des démineurs, des cartographes ... Nous avons développé une palette d'expertise assez vaste.
Notre direction est partagée en 3 pôles : un pôle classique de cabinet dédié au soutien logistique et aux aspects financiers ; un pôle opérationnel dirigé par Jean-Bernard Bobin et un pôle métier des sapeurs-pompiers.
Nous nous appuyons sur une flotte de 26 avions, essentiellement des bombardiers d'eau et multifonctions et de 35 hélicoptères multi-missions, les EC145. Trois sont déployés dans les outre-mer (Guadeloupe, Guyane et Martinique). Nous en avons utilisé 2 pour Irma. Nous avons également des démineurs, 3 régiments du génie de l'armée de terre qui interviennent en matière de sécurité civile. Ce sont des militaires, employés et rémunérés par le ministère de l'intérieur, et qui sont sapeurs-sauveteurs. Nous avons enfin 4 établissements logistiques très importants.
Nous nous appuyons de manière opérante sur le réseau des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), regroupant 240 000 sapeurs-pompiers volontaires, professionnels et militaires dont nous assurons la doctrine et le commandement opérationnel. Aux Antilles, nous avons déployé à la fois des militaires de la sécurité civile et des sapeurs-pompiers des SDIS antillais et métropolitains. Ce réseau opérationnel est donc « dur » parce que c'est un réseau d'État - nous avons la main sur le budget, les ressources humaines et la gestion - et « mou » parce que nous nous appuyons aussi sur le réseau des SDIS des collectivités. C'est un réseau très résilient, très solide, très organisé et qui fonctionne remarquablement bien. À titre d'exemple, l'été dernier, pendant 3 mois, nous avons employé au minimum tous les jours 28 000 hommes pour les feux de forêts.
Pour la gestion opérationnelle, je dispose du centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC) qui est le réceptacle de suivi de tout ce qui se passe en France et à l'extérieur, via l'Union européenne mais pas seulement, et qui pourrait nous impacter. Le COGIC peut se transformer de manière immédiate en état-major de commandement, ce que nous faisons en ce moment pour les inondations. Son format peut évoluer d'un niveau 1 à un niveau 3 d'une quarantaine de personnes. C'est un état-major militaire de direction et d'opération, situé à deux étages de mon bureau. Il fonctionne en réseau et s'appuie sur les cellules de crise des préfectures. Je regrette que tous les élus n'aient pas été suffisamment associés à l'échelon local puisqu'à Paris nous avons associé nos amis néerlandais - l'ambassadeur a été présent plusieurs fois à nos côtés - et un élu local présent à Paris. Lors du prochain RETEX local, dans un mois, nous en ferons état aux trois préfets.
Vous savez tous que nous avons demandé depuis une dizaine d'années aux mairies - cellules administratives essentielles au fonctionnement de notre pays au plan administratif et de citoyenneté - de travailler à l'élaboration de plans communaux de sauvegarde (PCS), documents de réflexion et d'action particulièrement importants. Les collectivités antillaises peuvent être louées dans ce domaine en termes de réalisations. Il y a une prise de conscience par la population et les responsables publics et politiques des risques réitérés et de la nécessaire gestion de ces risques qui concernent l'habitat, les évacuations, l'entretien du territoire...
Faut-il ou non pré-déployer des moyens en outre-mer ? En Martinique, depuis près d'une vingtaine d'années, nous avons déployé une partie des moyens fixes de la réserve nationale, utilisés souvent en coopération décentralisée. Nous avons quelques moyens pré-positionnés à La Réunion. Il ne serait pas très utile de pré-positionner davantage de moyens humains car ces personnes ont besoin de beaucoup d'entraînement. Elles sont aujourd'hui regroupées dans trois régiments, à Brignoles, à Nogent-le-Rotrou et à Corte - à peine 300 personnes. Le pré-positionnement nous priverait de moyens de projection depuis Paris et de capacités d'entraînement. Nous avons une force de frappe de près de 400 hommes en 24 heures. Aujourd'hui, sans aucune difficulté, nous sommes en capacité de prendre en compte simultanément une crise de très grande ampleur et une crise d'intensité moyenne sur le territoire national sans provoquer de désorganisation substantielle des SDIS.
Les unités militaires sont soumises à un rythme de projection opérationnelle qui commence à soulever des inquiétudes. Début juin 2017 et pendant 3 mois, j'avais en permanence 800 personnes mobilisées jour et nuit sur les feux de forêts, engagées sur 410 feux, pour un effectif de 1400 militaires. Nous avons envoyé des renforts pour lutter contre les feux de forêt à La Réunion et en Nouvelle-Calédonie. Nous avons déplacé 1 000 hommes pour Irma. Nous avons déployé un hôpital de campagne lors de l'incendie du CHU de Pointe-à-Pitre. 300 hommes sont engagés en ce moment sur les inondations. Ils partent également à l'étranger, en Jordanie et en Israël pour des entraînements à la maîtrise des feux de forêts. Le pré-positionnement d'une compagnie, soit 100 hommes, limiterait considérablement la capacité de réaction. Mais j'admets volontiers que la projection logistique reste un problème pour les territoires éloignés.
Les moyens sont-ils suffisants ? Le directeur général de la sécurité civile vous fera une réponse duale : comme tout responsable public, je dirai que je n'en ai jamais assez ; plus sérieusement, je dirai que les moyens sont globalement suffisants et nous permettent de prendre en compte des risques divers. Il est évident qu'un certain nombre de risques nécessitent un engagement européen mutualisé et nous y travaillons. Le Président de la République souhaite que nous puissions coopérer davantage avec nos voisins européens et nous avons engagé des initiatives dans ce sens depuis quelques mois. Si les Européens avaient à faire face à une très grave alerte chimique, il est évident que nous ne pourrions la résoudre qu'en unissant nos forces. Pour les Antilles, nos moyens nationaux étaient largement suffisants. S'il avait fallu faire appel à l'aide de nos amis européens, il n'y aurait eu aucune difficulté pour l'obtenir. Ce mécanisme très souple s'appelle le Centre de coordination de la réaction d'urgence (ERCC) : un simple appel téléphonique entre deux directeurs généraux suffit pour déclencher la procédure.
La question fondamentale de l'éloignement des collectivités ultramarines se pose pour la gestion des crises en termes de délai et de rapidité d'intervention. Le préavis de gestion de crise est déterminant. Nous ne sommes pas tributaires de l'analyse d'un seul opérateur mais entretenons des liens extrêmement étroits avec Météo France et le Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM). Nous avons également développé une capacité d'analyse propre qui nous permet de confronter les différentes données et scénarios avec, en interne à la direction générale, une véritable capacité d'expertise pour décrypter les caractéristiques d'un phénomène qui va se développer. En général, nous lisons les dépressions avec 5 à 6 jours d'antériorité et nous scrutons aussi les analyses des autres institutions, qu'elles soient américaines ou australiennes. Nous avons parfois recours à la consultation d'experts extérieurs. Le phénomène Irma est passé en 24 heures de la catégorie de dépression tropicale un peu marquée au cyclone de catégorie 5, évolution totalement inédite. Si nous avions attendu la confirmation, nous aurions été tenus en échec. Les incertitudes relatives au déplacement des dépressions à 24 heures sont considérables, de l'ordre de 200 kilomètres vers le nord ou vers le sud. La décision doit intervenir suffisamment tôt car, passé le délai de 48 heures avant l'événement, il n'est plus possible de projeter des moyens sur zone. Le processus de décision associe aussi les préfets. Deux exemples récents : pour Irma, nous avons décidé de projeter à la fois des missions d'appui au commandement dans les deux préfectures des Antilles puis une unité avancée directement à Saint-Martin. Au moment où la décision a été prise, on ne pensait pas que l'on atteindrait un stade de cyclone de niveau 5 et les hypothèses de trajectoire visaient davantage la Martinique que les îles du Nord. À l'inverse, lors de la dépression Berguitta, nous avons décidé, en accord avec le préfet, de ne pas projeter de renfort en amont, les moyens locaux paraissant suffisants La précision n'est pas une science exacte.
Sur les autres événements qui n'ont pas une origine météorologique, tels les tsunamis ou les mouvements telluriques, les sismologues se sont partagé la planète par zone. Chacun est responsable de son secteur. La France est responsable du secteur de l'océan Indien. Nous avons là de gros moyens. Le réseau d'alerte au tsunami fonctionne très bien. Mardi matin, il y a eu un gros tremblement de terre au large de l'Alaska avec un risque de tsunami, la diffusion mondiale s'est faite dans les 10 minutes.
À la direction générale, nous estimons que les moyens classiques d'alerte - les sirènes - doivent être maintenus. Ils ont fait leurs preuves, et beaucoup de pays reviennent à ce système robuste qui permet de prévenir tout le monde. Dans le cadre du système d'alerte et d'information des populations (SAIP), nous avons engagé, sur une dizaine d'années et avec des logiciels plus élaborés que par le passé, un plan d'équipement des zones à risque du territoire national de 5000 sirènes. Au 1er janvier 2018, nous en avions déployé 1 653, et ce déploiement se poursuit à raison de 4,5 millions d'euros en crédits de paiement (CP) et 9 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) cette année. Les sirènes doivent être maintenues car elles fonctionnent partout, sont audibles par tout le monde, y compris par les personnes qui ne possèdent pas de smartphone.
Mais il ne faut pas que nous tournions le dos aux nouvelles technologies et aux systèmes développés par les géants du Web, Google, Apple, Facebook et Amazon (GAFA). Après les attentats, nous avions développé un système d'alerte et d'information des populations (SAIP) sur smartphone en métropole pour l'euro 2016. C'était une application que vous téléchargiez et qui, en vous géolocalisant, vous transmettait une alerte. Cette application n'a pas donné satisfaction, et le ministre d'État a décidé d'y mettre fin en juin 2018. On reviendra à un autre dispositif, actuellement utilisé par la préfecture de police, qui n'est pas sur SAIP mobile et qui consiste à saturer les médias sociaux à partir d'un premier mail ou tweet initiateur d'information. À ce moment-là, on a une diffusion virale de l'information via les GAFA. Il faudra par ailleurs réfléchir à d'autres dispositifs plus invasifs qui vous géolocalisent et vous apportent d'office l'information. Nous avons mis à l'étude des technologies de ce type depuis 2011 mais nous n'avons pas encore trouvé la solution idoine, au plan technologique et juridique. D'ici quelques années la technologie nous le permettra. Nous pensons également que les systèmes d'alerte doivent être redondants et multiples. Nous avons des médias classiques, et notamment le réseau télévisuel qui est très dense, qu'il faut saturer en cas d'alerte. Tout le réseau des GAFA fonctionne de mieux en mieux mais on a vu avec la crise Irma que tout pouvait s'effondrer, l'électricité, le téléphone... Nous avons mis un peu de temps à rétablir les réseaux et cette difficulté sera analysée par le RETEX.
La loi a prévu que pour pouvoir être éligible au dispositif de catastrophe naturelle (CATNAT) en ce qui concerne l'aléa vent cyclonique, il faut avoir été soumis soit à un vent de 145 km/h pendant 10 minutes, soit à des rafales à 215 km/h. Tout cela ne vaut que si l'on peut en faire la démonstration. À défaut, on passe en arbitrage interministériel. Si la maison n'est plus là, c'est qu'il s'est produit un phénomène impactant. J'ai le souvenir d'un cyclone en 2003 ou en 2004 à La Réunion au cours duquel le radar avait disparu. Comme il avait été construit pour résister à des vents de 300 km/h, on en a déduit que la vitesse avait été supérieure. Notre approche est pragmatique et il est sûrement possible d'améliorer les textes. La grande difficulté du dispositif CATNAT concerne l'objectivisation du dispositif sécheresse.
Je crois avoir répondu à toutes les questions, monsieur le président.
Y a-t-il un monitoring de l'État central sur les exercices déployés dans les territoires et peut-on mesurer la qualité de ces exercices ?
L'alerte rouge n'a pas été déclenchée à La Réunion pendant la dernière tempête. Est-il possible de revoir le système d'alerte et de prendre en compte la pluviométrie ? Ne pourrait-on pas systématiser des exercices de coordination pour les évacuations de quartiers ?
Les choix ne sont pas évidents en matière de pré-positionnement mais y a-t-il une possibilité de conclure des accords à l'international ? Dans la Caraïbe, les États environnants ne sont ni français ni européens et il faudra parfois envisager de mutualiser les moyens avec ces pays. On a quand même ressenti le poids administratif de la France dans certaines décisions. Sous réserve que mes informations soient vérifiées, les autorités canadiennes ont, à l'occasion du cyclone Irma, autorisé l'évacuation très rapide des 1 000 Canadiens présents à Saint-Martin : leurs pilotes décollaient et à atterrissaient à vue. Après Irma, côté français, la direction générale de l'aviation civile (DGAC) a imposé à la compagnie Winnair, au départ de Pointe-à-Pitre, d'atterrir dans la partie néerlandaise de Saint-Martin. Dans un cas comme celui-ci, des dérogations de courte durée ne pourraient-elles pas être envisagées pour simplifier la vie des citoyens ?
À Saint-Barthélemy, dans les jours qui précèdent un cyclone, nos téléphones fixes sonnent toutes les 5 minutes, avec un message de la sécurité civile, tant que nous n'avons pas appuyé sur la touche # après l'avoir écouté.
Je ne suis pas totalement d'accord avec vous sur la précision de l'information avant le cyclone. Comme les Saint-Martinois, j'ai suivi en permanence les informations délivrées par le NHC. Plus de 3 jours avant, nous avions tous les données du cyclone, sa trajectoire, sa force et les effets auxquels il fallait s'attendre, avec une probabilité affichée. Il y a lieu de créer un véritable lien international entre la France et les autres pays, en particulier de la Caraïbe. Écouter la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) ou le NHC est une clef pour les populations et les autorités. Quand nous regardions les journaux télévisés, ce qu'on nous annonçait comme une actualité correspondait à la situation prévalant trois jours plus tôt ! Il y a également des mutualisations de moyens à mettre en place. Je pense notamment aux opérateurs du numérique. Au lendemain du phénomène, nous étions coupés du monde. Lorsqu'un des opérateurs a eu l'idée d'installer sur l'île des voitures diffusant du réseau, des mouvements de foule se sont produits pour pouvoir communiquer avec l'extérieur. Mais les abonnés des autres opérateurs sont restés privés de cette possibilité.
Il y a deux types d'exercice. Les exercices nationaux, décidés en fonction du thème, sont joués plusieurs fois par an. Le SGDSN a toute une batterie d'exercices mixtes, d'autres plus spécifiques. Certains ne sont que des exercices de cadres et d'état-major, d'autres donnent lieu à des déploiements sur le terrain. Une analyse très précise est faite chaque fois. Les préfets doivent, sur leur territoire, conduire des exercices locaux. Le choix de ces exercices locaux dépend de la thématique des différents territoires, hexagonaux comme ultramarins. Le monitoring est très suivi pour les exercices nationaux. Le pire des cauchemars est un exercice qui a bien marché car il n'y a rien à en tirer ; le meilleur des exercices est celui où on a tout raté car on va alors chercher les causes de l'échec. Nous avons moins de visibilité sur les exercices locaux même si nous envoyons des observateurs lorsque le sujet nous intéresse.
Nous travaillons beaucoup en ce moment sur les exercices post-attentats. Après chaque exercice auquel nous assistons, nous transmettons un rapport au préfet du département pour bien évaluer tous les aspects.
Il faut également que toutes les préfectures suivent le rythme des exercices, ce qui est contraignant.
Je ne jette pas la suspicion sur les exercices de terrain, mais je pense que les petites préfectures - par exemple Saint-Pierre-et-Miquelon - ont besoin d'un regard extérieur, plus expert. Ne serait-il pas possible d'opérer par sondage, chaque année, sur un certain nombre d'exercices locaux ?
Le choix d'envoyer des collaborateurs comme observateurs ne se fait pas en fonction de la taille des départements. Des exercices dans l'Aveyron ou l'Ardèche nous intéressent autant que ceux qui se passent à Marseille. Ce n'est pas tant l'importance du département que la thématique qui nous intéresse. Chaque année, une circulaire rappelle aux préfets l'obligation de faire des exercices et délivre des thématiques prioritaires en fonction de l'actualité. C'est un sujet sur lequel la doctrine est encore en phase d'élaboration. Les exercices, pour nous, sont des événements importants. Dans les préfectures, ils se jouent au plus près du terrain, avec les SDIS...
Le BRGM nous a fait état hier également d'exercices réalisés à grande échelle et dont il réalise lui-même les bilans.
Concernant les exercices, je voudrais insister sur l'importance des experts dont nous disposons au sein de la direction générale. Nous avons des liens particuliers avec les 13 territoires ultramarins. Nos experts en risques inondations, en risques telluriques, vont animer ce réseau de proximité, de référents techniques. Nous sommes constamment en contact avec eux, notamment lorsqu'ils souhaitent bâtir les scénarios d'exercices. Cette contribution est essentielle car elle donne un autre éclairage et apporte un appui à la fois technique et scientifique. L'exercice est essentiel en lui-même mais ce sont les scénarios et les procédures que nous cherchons à tester.
Ma remarque rejoint celle de notre collègue Viviane Malet et concerne l'évacuation à Roche-Plate dans le cirque de Mafate. Dans les schémas départementaux d'analyse et de couverture du risque (SDACR), pour certaines portions du territoire, la gestion du risque relative à l'évacuation des populations n'est pas mentionnée et les modalités de mise en oeuvre ne sont pas prévues, si bien qu'à Saint-Joseph nous avons dû demander à l'armée d'intervenir.
Le risque cyclonique doit bien évidemment figurer dans les SDACR et nous avons engagé leur réécriture. S'il y a une faiblesse dans celui de La Réunion, il faudra avec le préfet apporter les compléments nécessaires.
Les mesures relatives à la pluviométrie et à l'évacuation relèvent de la gestion locale par le préfet. Normalement, dans chaque bassin de rivière, il y a une ligne de crue avec des niveaux d'alerte qui commandent un certain nombre de réactions qui vont de la mise à l'abri à l'évacuation. Il est difficile de vous répondre sans connaître concrètement le contexte. La montée des eaux induit un certain nombre de mesures préventives. C'est ce qu'on fait depuis dix jours dans le bassin de la Seine et de la Marne. Mais il n'y a pas d'outils juridiques qui nous permettent d'obliger une personne à partir. Avec Irma, nous avons été confrontés à cette problématique. Plusieurs centaines de personnes refusaient de partir. Nous ne pouvons contraindre quelqu'un à quitter les lieux qu'en cas de danger d'éruption volcanique ou de tsunami.
Avec Irma, nous avons fait appel aux Américains. Il a fallu une bonne semaine avant qu'ils acheminent les moyens demandés. Mais j'observe que nous donnons plus que nous ne recevons. Dans la Caraïbe il y a des accords qui fonctionnent bien. Après Irma, nous avons été sollicités pour la Dominique. Dans le Pacifique, l'accord FRANZ est efficace. Le mécanisme européen de protection civile a été déployé en mars-avril pour un grand exercice européen sur la simulation d'un tremblement de terre en Martinique et à la Guadeloupe. Les européens étaient venus en grand nombre, avec des observateurs de pays tiers non européens. Nous avons joué un exercice majeur en Jordanie et en Israël sur la thématique des feux de forêt et d'effondrement d'immeubles. La France organisait l'exercice, des moyens franco-espagnols étaient sur place et nous avions inclus les Palestiniens. En mars, nous allons mettre en oeuvre un grand exercice avec une simulation de tremblement de terre en Algérie, avec environ 6 000 personnes. Un exercice est enfin prévu en hiver en Arménie et en Géorgie. Je pense que les exercices sont indispensables et qu'il faut continuer à en faire en associant de plus en plus les collectivités - ce que nous ne faisions pas assez ces dernières années - et les populations.
En métropole, le dispositif d'alerte téléphonique GALA est un réseau qui prévient les élus et décideurs locaux. Quand le préfet estime qu'un niveau de crue nécessite une alerte, ceux-ci reçoivent un message et tant qu'ils n'ont pas appuyé sur un certain bouton, ils sont rappelés toutes les 5 ou 6 minutes. Ce dispositif fait suite à la tempête Xynthia. Le SMS n'est pas forcément la panacée. Nous avons fait calculer par ordinateur qu'il faudrait 17 heures pour prévenir tout le monde en région parisienne, à raison de 300 sms par seconde. C'est pour cela qu'on se tourne davantage vers la virologie car l'information introduite est répercutée de façon exponentielle par les réseaux sociaux.
Nous vous transmettrons rapidement par écrit les réponses à la totalité de vos questions.