Intervention de Louis de Broissia

Réunion du 20 novembre 2006 à 15h00
Diffusion audiovisuelle et télévision du futur — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Louis de BroissiaLouis de Broissia, rapporteur :

Ne vendons pas la peau de l'ours, cher collègue ! Les élections n'ont pas encore eu lieu !

Sur le fond, la commission regrette certaines incertitudes relatives au schéma national d'arrêt de la diffusion analogique et de basculement vers le numérique - mais le débat va nous permettre de les lever. En effet, votant des lois depuis quelques années, je m'attache à ce qu'elles soient aussi précises que possible ; or, le projet de loi dont nous discutons n'indique ni l'organisme chargé de la rédaction de ce document, ni la portée géographique de celui-ci, puisqu'il s'agit d'extinction par zone.

De la même façon, nous notons quelques incertitudes relatives au calendrier fixé par le CSA. Afin de rendre cette procédure opérationnelle, nous souhaitons l'alléger : tout d'abord, pour des questions de lecture, en regroupant au sein d'un article unique les dispositions relatives au calendrier d'arrêt de la diffusion analogique ; ensuite, en durcissant, si j'ose dire, le schéma national d'arrêt de la diffusion analogique et de basculement vers le numérique aux contours encore imprécis - mais le Parlement est là pour le préciser ; enfin, en n'ignorant pas le rôle joué par le CSA dans le processus d'extinction de la diffusion analogique. Quel aurait été l'état d'avancement de la TNT sans la forte mobilisation du CSA, que tous les observateurs s'accordent à reconnaître ?

La deuxième modification, proposée en accord avec la commission des affaires économiques, vise à étendre la reprise gratuite de toutes les chaînes en clair de la TNT par voie satellitaire. En effet, pour le moment, le projet de loi se contente d'imposer à TF1, M6 et Canal+ la mise à disposition des téléspectateurs de leurs programmes en numérique par voie satellitaire.

Au moment où les progrès technologiques permettent la multiplication des services, nous pensons que la mise en place d'une seule offre satellitaire gratuite regroupant les dix-huit chaînes en clair de la TNT serait plus appropriée. Cette solution permettrait ainsi de procurer l'accès aux services de la TNT à l'ensemble de la population avant même la fin du programme de couverture terrestre à 85 % ou 95 %, puisque tel est l'objectif.

Elle permettrait, en outre, de desservir rapidement l'ensemble des zones d'ombre de la couverture analogique ; mes chers, collègues, n'oublions pas que la télévision analogique n'arrive pas dans tous les foyers. J'ai trop souvent dit ici que je représentais non pas le tiers monde audiovisuel, mais le quart monde !

Notre troisième modification est relative à l'octroi d'une chaîne supplémentaire aux éditeurs historiques. Je sais que certaines objections s'exprimeront dans le débat et que d'aucuns, comme les « nouveaux entrants » de la TNT, ont rejoint cette opposition. Je rappelle cependant que ce choix s'appuie sur des arguments juridiques et culturels solides ; les qualifier d'incontestables serait arrogant...

Par-delà son aspect incitatif, ce choix tend à compenser le préjudice subi par les éditeurs résultant, d'abord, de la remise en cause anticipée d'une autorisation d'occupation du domaine public à partir du 31 mars 2008 - au lieu de 2012 -, et ensuite, du bouleversement du paysage audiovisuel hertzien analogique en clair, induit par l'arrêt définitif de la diffusion analogique au plus tard le 30 novembre 2011. Le passage généralisé de cinq à dix-huit chaînes emportera des conséquences importantes pour l'équilibre économique des chaînes historiques, tant en termes d'audience qu'en termes publicitaires ; nous l'observons dès maintenant dans les enquêtes mensuelles de Médiamétrie.

Mes chers collègues, à l'heure où se répand dans l'opinion française le sentiment que le « tout gratuit » est la règle d'accession, n'oublions pas que cette formule revient au « tout publicité », c'est-à-dire au « tout consommateur ».

Ce choix peut également constituer une chance pour la création. C'est en partie grâce aux obligations d'investissement et de diffusion, prises en charge par les éditeurs en contrepartie de l'occupation gratuite des fréquences, que la création française bénéficie aujourd'hui de financements en hausse et d'une visibilité que bien d'autres pays européens nous envient.

Quelques chiffres permettent d'illustrer mon propos. En 2005, TF1 et M6 à elles deux ont consacré 400 millions d'euros à l'aide à la création, dont 64 millions d'euros pour la production cinématographique et 336 millions d'euros pour la production audiovisuelle.

En dépit de ces arguments non négligeables, dont la commission aurait pu se contenter, je partage une part des craintes exprimées par certains acteurs du secteur. Aussi, monsieur le ministre, je vous proposerai d'aller plus loin et de poser deux garde-fous.

Le premier vise à fixer l'exercice de cette possibilité au 30 novembre 2011, afin de préserver jusqu'à cette date l'économie des « nouveaux entrants » de la TNT, pas avant l'extinction.

Le second encadre cette attribution par des obligations spécifiques en matière de diffusion et de production cinématographique et audiovisuelle d'expression originale française et européenne - c'est l'expression consacrée.

La quatrième modification tend à redéfinir la notion d'oeuvre audiovisuelle. Alors que l'interprétation de cette définition, issue de l'affaire dite « Popstars » qui a donné lieu à quelques décisions de justice, ne permet plus de centrer suffisamment le financement de la création sur les oeuvres patrimoniales, nous vous proposerons de fixer par décret, après concertation avec l'ensemble des professionnels concernés, un pourcentage minimal d'investissements devant être consacrés par les chaînes hertziennes nationales, à l'intérieur de leurs obligations de production d'oeuvres, aux genres patrimoniaux que sont la fiction, le documentaire, l'animation et le spectacle vivant. Nous avons eu une discussion en commission sur le sens de l'expression « animation », sur laquelle nous pourrons revenir.

Sans procéder à une réforme en profondeur des décrets du 17 janvier 1990 ni revenir sur l'indispensable liberté éditoriale des diffuseurs - c'est leur métier ! -, cet amendement permet de recentrer une partie des investissements des chaînes sur des oeuvres de création originale, d'encourager l'innovation audiovisuelle - il est urgent de le faire, au moment où montent en flèche les séries américaines, sans que des séries françaises de même nature aient encore vu le jour -, et de faire respecter les principes qui ont fondé la décision d'instaurer un soutien public à la production.

Notre cinquième modification vise à conforter la place des télévisions locales sur la TNT, vous l'avez souligné et je vous en remercie, monsieur le ministre.

Après les nombreux rapports que le Sénat a pu présenter - pour ma part, j'ai dû en écrire cinq ou six dans le même sens -, nous regrettons la faiblesse du nombre de services locaux dans le paysage audiovisuel français. Le lancement de la TNT devait modifier la donne en permettant la diffusion d'un plus grand nombre d'entre eux. Cet objectif structurant pour la TNT semble pourtant relégué aujourd'hui au second plan et nous le regrettons.

C'est pourquoi, afin de lever toute ambiguïté sur ce sujet prioritaire - vous l'avez dit, monsieur le ministre, nous sommes par essence la chambre représentant les pouvoirs locaux - et sans remettre en cause les travaux actuellement réalisés par le CSA sur le multiplexe R1, nous vous proposons de réunir, sous l'égide du CSA, tous les acteurs publics et privés concernés, afin de procéder à une consultation contradictoire relative à l'aménagement du spectre hertzien, en vue de définir un nombre suffisant de canaux pour assurer la couverture des bassins de vie et la diversité des opérateurs de services locaux, c'est-à-dire encourager le pluralisme.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion