Intervention de François-Noël Buffet

Réunion du 16 octobre 2018 à 14h30
Programmation 2018-2022 et réforme pour la justice — Article 45

Photo de François-Noël BuffetFrançois-Noël Buffet :

La commission a émis un avis défavorable sur l’amendement du Gouvernement, d’abord parce qu’elle opposée à l’interdiction de prononcer des peines d’emprisonnement ferme d’une durée inférieure ou égale à un mois, à l’obligation d’aménagement des peines comprises entre un mois et un an et à l’examen automatique par le JAP des peines inférieures à un an. Par ailleurs, le Gouvernement ne partage pas notre volonté de supprimer les seuils intermédiaires allant d’un à six mois.

La commission considère que le prononcé de la peine appartient avant tout aux tribunaux correctionnels et qu’il faut leur laisser le choix en la matière.

L’interdiction des peines d’emprisonnement de moins d’un mois n’aurait, selon nous, qu’une incidence limitée, dès lors que seulement 9 100 peines d’une durée inférieure ou égale à un mois ont été prononcées en 2017, dont un peu plus de 600 ont fait l’objet d’un mandat de dépôt. Selon l’étude d’impact, cette mesure permettrait, sur une année, de diminuer de 300 le nombre de détenus.

Une telle disposition aurait surtout pour conséquence de créer des effets de seuil parfaitement contre-productifs. Afin de contourner cette interdiction, les juridictions de jugement souhaitant prononcer une peine courte d’emprisonnement devront alors fixer un quantum minimal de deux mois, au lieu d’un mois, au risque d’allonger la durée moyenne d’incarcération. Certains magistrats ont en effet insisté sur la pertinence d’une peine très courte d’emprisonnement ferme pour des condamnés réitérants n’ayant pas encore subi d’incarcération. De plus, les courtes peines d’emprisonnement peuvent s’exécuter de manière fractionnée afin de permettre le maintien d’un emploi.

La commission considère que des condamnations à des peines d’emprisonnement effectives courtes ou très courtes, intervenant plus tôt dans le parcours de délinquants, peuvent être efficaces, à condition qu’elles soient exécutées dans des établissements présentant une moindre sécurisation, donc moins coûteux, et par définition plus adaptés que les maisons d’arrêt que nous connaissons.

Pour ce qui concerne l’aménagement des peines, la commission estime que le dispositif proposé par le Gouvernement n’est pas suffisamment clair. Il privilégie une approche de gestion des flux d’incarcération visant à résorber la surpopulation carcérale, au lieu d’essayer de donner un sens à la peine. La quasi-automaticité de certaines modalités d’exécution de la peine n’est de nature ni à renforcer l’efficacité des peines ni à leur donner sens.

De telles dispositions font d’ailleurs l’impasse sur la tendance actuelle à l’augmentation des peines d’emprisonnement ferme et sur la recherche de ses causes. Le nombre de peines d’emprisonnement ferme en tout ou partie a en effet augmenté de 12 % entre 2013 et 2017.

S’agissant de la détention à domicile sous surveillance électronique, la DDSE, celle-ci n’apporte, de notre point de vue, aucune plus-value par rapport au placement sous surveillance électronique, le PSE, qui est une modalité d’aménagement de la peine d’emprisonnement dont le régime est plus souple.

La DDSE est une peine sans contenu et sans environnement contraignant permettant à un condamné d’entrer dans un parcours de réinsertion. Surtout, elle suscite des interrogations : que faire en cas de non-respect de cette peine ? Il n’y aura alors le choix qu’entre l’emprisonnement et la fin anticipée de la peine. Contrairement à une modalité d’aménagement, elle sera difficilement convertible et aménageable. Il est tout à fait naïf de croire que les juridictions de jugement prononceront davantage de PSE si c’est une peine autonome plutôt qu’un aménagement. Si elles n’en prononcent pas, c’est tout simplement parce qu’elles ne disposent pas des informations nécessaires.

La commission propose, quant à elle, un dispositif unique, qui nous paraît à la fois beaucoup plus clair et plus simple. Il laisse en outre plus de liberté aux magistrats des tribunaux.

Les peines d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à un an devraient, par principe, être aménagées par la juridiction de jugement en prenant en compte la personnalité du condamné ainsi que sa situation matérielle, familiale et sociale, sauf impossibilité matérielle. Aucun seuil intermédiaire d’un mois à six mois, ou de six mois à un an, ne serait retenu.

Surtout, il n’y aurait plus de saisine automatique du juge de l’application des peines ; c’était d’ailleurs une promesse de campagne du Président de la République. Seule la juridiction de jugement déciderait en opportunité de recourir, ou non, à cette procédure. La restauration des pleines prérogatives des tribunaux correctionnels est de nature à leur permettre de prononcer la peine la mieux adaptée aux situations des individus, sans considération d’effet automatique qui résulterait de telle ou telle peine.

En complément des peines organisées telles qu’elles ont été prévues par la commission et de l’autonomisation d’un certain nombre d’entre elles, singulièrement les peines de probation, et avec le renfort, évoqué précédemment, des SPIP ou des associations pour mieux connaître la personnalité des prévenus qui comparaissent devant les tribunaux, l’enjeu est de permettre à ceux-ci d’avoir en mains, au moment de l’audience, toutes les clés et tous les outils pour décider librement de la peine la plus adaptée.

Je rappelle enfin que la commission des lois n’a pas souhaité retenir le principe de la comparution différée. Nous en avons débattu jeudi dernier.

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