Intervention de Philippe Bas

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 17 octobre 2018 à 9h05
Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur le traitement des abus sexuels sur mineurs et des faits de pédocriminalité commis dans une relation d'autorité au sein de l'église catholique en france — Nomination d'un rapporteur et examen du rapport portant avis sur la recevabilité de la proposition de résolution

Photo de Philippe BasPhilippe Bas, rapporteur :

Nul ne pourra nier la richesse et l'intérêt de notre débat. La question qui nous est posée se limite effectivement à la recevabilité. Toutefois, M. Kanner s'étant lui-même exprimé le premier en opportunité, il semble normal que certains collègues lui aient répondu sur le même terrain... Cela ne signifie toutefois pas qu'ils ne voteront pas sur la stricte question de la recevabilité de la proposition de résolution.

Quant à l'opportunité, j'ai également, croyez-moi, quelque expérience à faire valoir compte tenu de fonctions précédemment occupées, notamment au sein du Gouvernement lorsque je fis voter la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance. Je suis particulièrement sensible à cette question majeure, sur laquelle notre commission a récemment travaillé, à l'initiative d'ailleurs du groupe socialiste et républicain, dans le cadre du groupe de travail sur les violences sexuelles commises à l'encontre des mineurs, animé par notre collègue Marie Mercier. Le Gouvernement s'est largement inspiré de nos propositions. Notre commission n'a donc pas à se justifier de son intérêt pour la protection des mineurs.

Je ne crois pas que des précédents pourraient remettre en cause la position que je vous propose d'adopter, car il s'agit de faux précédents. L'exemple de la commission d'enquête sur l'Amoco Cadiz évoqué par Mme de la Gontrie à l'appui de son argumentation ne me semble pas pertinent, car le libellé ne faisait mention que de l'évaluation des mesures prises par le Gouvernement. Il en va de même des travaux que nous menons sur le fonctionnement de l'État postérieurement aux agissements de M. Benalla, qui ne couvrent pas, à la différence de ceux de l'Assemblée nationale, le champ des procédures judiciaires en cours. La proposition de résolution dont nous examinons la recevabilité ne peut donc être comparée à ces précédents.

Dès lors, soyons attentifs, mes chers collègues, à ne pas créer de commission d'enquête qui ne respecterait ni l'ordonnance du 17 novembre 1958 ni la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Ce dernier a, depuis fort longtemps, traité la question juridiquement simple de la recevabilité. Certes, j'ai essayé d'envisager que le terme « traitement » figurant dans le libellé de la proposition de résolution puisse être envisagé comme les procédures mises en oeuvre pour assurer la prévention, la détection et le signalement des actes pédophiles, mais ma démarche fut vaine : en l'espèce, il s'agit davantage d'un étouffement, d'une complicité. Croyez bien que je n'ai pas abordé cette proposition de résolution avec une idée préconçue, mais, bien que partageant les objectifs des auteurs en matière de protection de l'enfance, je n'ai pu trouver de solution à l'obstacle juridique de sa recevabilité. À la différence de l'appel de Témoignage chrétien, notre rôle ne peut être de changer l'Église.

Le libellé de la proposition de résolution ne pouvant être amendé, il faudrait déposer un autre texte pour demander la création d'une commission d'enquête au champ élargi. La protection de chaque enfant contre les abus sexuels ressort en effet de notre responsabilité politique. Or, si la proposition de résolution était déclarée irrecevable, le problème des violences sexuelles à l'encontre des mineurs demeurerait pendant.

Je ne peux vous laisser dire que ma position s'agissant de la recevabilité de la proposition de résolution nierait le « droit de tirage » des groupes politiques ! Il s'agit seulement de veiller à ce qu'il s'exerce dans le respect de la Constitution et des textes pris pour son application. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle notre avis se limite à l'examen de la recevabilité. Du reste, notre commission émet un avis, qu'elle rend à la seule Conférence des présidents, chargée d'examiner la demande. Je respecte profondément le « droit de tirage », mais il doit se conformer aux règles qui s'appliquent à son endroit, en vertu des exigences constitutionnelles.

Si j'étais suivi s'agissant de la recevabilité de la proposition de résolution, il me semble, en opportunité cette fois, que nous devrions nous rapprocher des commissions des affaires sociales et de la culture pour envisager la création d'une mission commune d'information sur les politiques publiques de prévention, de détection, d'organisation des signalements et de répression des infractions sexuelles susceptibles d'être commises par des personnes en contact avec des mineurs, dans le cadre de l'exercice de leur métier ou de leurs fonctions. Elle intègrerait ainsi dans son champ les crimes et délits dont souhaite traiter la présente proposition de résolution. Je vous rappelle que l'outil de la mission commune d'information a déjà été utilisé, avec succès, sur des sujets d'importance ; je pense notamment à la réinsertion des mineurs enfermés, à l'organisation et au financement de l'islam de France, à l'avenir de l'organisation décentralisée de la République, au Mediator ou encore au naufrage de l'Erika. Il ne s'agit pas de la version dégradée d'une commission d'enquête. Les missions communes d'information peuvent, en outre, s'intéresser à des matières qui, pour les raisons de recevabilité précédemment évoquées, ne pourraient faire l'objet d'une commission d'enquête.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion