Intervention de Christian Cambon

Réunion du 17 octobre 2018 à 14h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen du 18 octobre 2018

Photo de Christian CambonChristian Cambon :

La lucidité et le courage politique nous obligent à dire que le problème de la migration économique et climatique est devant nous, et non derrière nous.

La priorité est donc de consolider notre maîtrise des flux. Cela nécessite une action résolue, dans plusieurs directions.

Tout d’abord, il faut renforcer la coopération avec les pays de transit du voisinage de l’Europe, ceux de la rive sud de la Méditerranée, pour renforcer leurs frontières. Ce ne sera ni facile ni gratuit, mais il faut poursuivre dans cette voie, qui est efficace : la coopération avec le Maroc est à ce titre exemplaire.

C’est en coopérant avec les partenaires du voisinage que l’on trouvera des solutions pour mettre fin à la situation inextricable des migrants qui errent en mer, où, malheureusement, un grand nombre perd la vie. N’allons pas croire que nous pourrons leur imposer des « plateformes de débarquement » dont ils ne veulent pas : c’est une vue de l’esprit, la réponse des pays concernés est bien claire à ce sujet.

Dans le même temps, il est nécessaire de poursuivre et d’amplifier notre action en direction des pays sources par l’aide au développement, principalement en matière de maîtrise de leur démographie, mais aussi de la lutte contre les filières d’immigration clandestine. Lorsqu’il y a une volonté, il y a des résultats : l’engagement du Niger, jadis plateforme de tous les trafics, est exemplaire à cet égard.

Enfin, un effort significatif doit être fait pour améliorer l’efficacité des politiques d’éloignement des migrants irréguliers. Il y va de la crédibilité de notre politique migratoire.

Or, ayons le courage de le dire, nos résultats dans ce domaine ne sont pas encore à la hauteur. Au lieu de progresser, le taux de retour à l’échelle européenne a diminué de 46 % à 36 % en une année. Il est temps de prendre le taureau par les cornes et d’utiliser tous les leviers dont nous disposons pour faire aboutir les opérations de réadmission.

Dans ce domaine, nous ne sommes pas totalement dépourvus. Sachons donc être fermes dans notre dialogue – je pense particulièrement aux visas et à l’aide au développement. Des résultats sont possibles pour peu que l’on se mobilise. Madame la ministre, est-ce bien la conviction du Gouvernement ? Est-ce bien sa ligne de direction ?

J’en viens maintenant au Brexit, que vous avez évoqué il y a un instant. Je veux saluer tout d’abord l’engagement du Sénat, en particulier du groupe de suivi que je préside, avec Jean Bizet, et qui, au travers des auditions qu’il a menées, a apporté une réflexion véritablement utile et intéressante au regard de la situation actuelle.

Les Européens ont su rester unis au cours des derniers mois. Derrière cette question, vous le savez, mes chers collègues, c’est l’avenir même de l’Union européenne qui est en jeu. Pour la première fois, nous sommes à la veille d’un rétrécissement, d’un amoindrissement de notre projet collectif. Quel non-sens géostratégique !

Si la négociation en cours a su préserver notre unité, nous le devons pour beaucoup à notre négociateur Michel Barnier, que je salue également. Chacun a compris en effet que le Brexit ne remettait pas seulement en cause une idée, une histoire ou des principes, et qu’il aurait aussi un impact négatif concret et palpable pour nous tous Européens.

Concernant le nœud gordien irlandais, la seule proposition acceptable est aujourd’hui celle du filet de sécurité, ou backstop, que vous venez d’évoquer, soit la création d’une zone réglementaire et douanière commune entre l’Union et l’Irlande du Nord. Il ne s’agit bien évidemment ni d’annexer ni de réunifier l’Irlande, comme nous l’entendons caricaturer parfois. Nous le savons, ni la réunification ni la réapparition d’une frontière dure ne sont pour l’instant des options possibles.

Il nous reste donc à mobiliser toutes nos forces pour convaincre nos amis britanniques qu’une solution ad hoc est la seule possible. Cette solution doit être flexible, tenir compte de la géographie, de l’histoire et de notre proximité avec le Royaume-Uni. Je veux redire à nos amis irlandais, que nous avons rencontrés avant l’été, que nous serons avec eux dans cette négociation, car nous n’oublions pas qu’ils ont su se montrer solidaires du pack des vingt-sept États membres.

Le Sénat alerte depuis de longs mois sur les effets désastreux d’un no deal. Imagine-t-on une obligation de visa pour les ressortissants de l’Union européenne au Royaume-Uni ou les Britanniques dans l’Union européenne ? Quels droits sociaux, quels accès aux professions après le Brexit ? Les associations de citoyens ne cessent de nous alerter.

Nous avions proposé en juillet dernier avec Jean Bizet qu’un protocole séparé soit établi sur cette question, afin qu’elle puisse être réglée quoi qu’il advienne et que les citoyens ne deviennent pas un objet de marchandage.

Imagine-t-on, mes chers collègues, l’impact sur les transports aériens, maritimes, ferroviaires et routiers du contrôle sur les marchandises et sur les passagers qu’entraînerait ce no deal ?

Les ports français sont en première ligne. On vient de calculer que les investissements à réaliser s’élèveraient par exemple à 25 millions d’euros pour le seul port de Dunkerque. À Douvres, on estime qu’un allongement de deux minutes du délai de passage des camions pourrait déclencher un embouteillage de près de trente kilomètres. Si l’on ne considère que le trafic automobile, ce sont 1 100 camions qui traversent chaque jour la Manche de l’Union européenne vers le Royaume-Uni. Je vous laisse réfléchir aux conséquences que tout cela aurait.

En cas de no deal, des droits de douane s’appliqueraient immédiatement. Ils seraient par exemple de 4 % sur les pièces de voitures. Le secteur de l’automobile serait en très grande difficulté en Europe, et les consommateurs britanniques seraient frappés de plein fouet.

Au total, l’impact économique pourrait s’élever chaque année à 16 milliards d’euros pour les Britanniques, et à 44 milliards d’euros pour les Vingt-Sept, avec évidemment de nombreuses pertes d’emplois à la clé.

Madame la ministre, la France est-elle vraiment prête à un no deal ? Nous en doutons parfois, ne disposant toujours pas du contenu des ordonnances, qui ne sont pas prêtes. Le Sénat a mis en place une commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures de préparation du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, mais il faut maintenant que nous puissions connaître les textes.

Le temps presse, et nous serons très attentifs à ce que rien d’essentiel ne soit sacrifié dans le dernier tournant de la négociation et à ce que les mesures qui s’imposent soient prises dans les mois prochains.

Madame la ministre, avant votre départ pour ce Conseil européen, nous vous souhaitons bon courage.

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