Intervention de Jean Bizet

Réunion du 17 octobre 2018 à 14h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen du 18 octobre 2018

Photo de Jean BizetJean Bizet :

Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les présidents, mes chers collègues, ce Conseil européen va se réunir autour de trois questions majeures : le Brexit, la crise migratoire et la sécurité intérieure. Ces trois questions portent la marque de l’ampleur des défis que l’Europe doit relever.

En premier lieu sera discuté le Brexit. C’est l’occasion pour moi de rendre une nouvelle fois hommage au travail inlassable du négociateur en chef de l’Union, notre compatriote Michel Barnier. Malheureusement, en dépit de progrès réels, la conclusion d’un accord de retrait semble toujours buter sur le problème de l’Irlande.

Au travers de son groupe de suivi commun aux commissions des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et des affaires européennes, le Sénat a toujours plaidé pour un retrait ordonné du Royaume-Uni. Il a souhaité qu’une relation étroite puisse être maintenue avec ce grand pays.

Le Sénat a aussi lucidement identifié les priorités que l’Union européenne devait impérativement défendre dans la négociation, à savoir le caractère indissociable des quatre libertés de circulation – des biens, des personnes, des capitaux et des services. Celles-ci sont la contrepartie de l’accès au marché intérieur, un marché unique – on ne le répétera jamais assez –, qui est devenu au fil des ans le premier marché économique mondial.

Il ne saurait être envisagé de contourner l’indissociabilité des quatre libertés en segmentant par secteur l’accès au marché unique, tant dans l’accord de retrait que dans un accord fixant le cadre des relations futures entre l’Union européenne et le Royaume-Uni. Les « difficultés » de l’heure démontrent précisément que nos amis d’outre-Manche n’ont pas tout à fait observé cette indissociabilité.

Le groupe de suivi avait aussi clairement indiqué que le Royaume-Uni ne pouvait avoir une position plus favorable en dehors de l’Union que dedans.

En juillet dernier, nous avons tiré la sonnette d’alarme. Le groupe de suivi a pointé le risque de ne pas arriver à conclure dans les temps un accord de sortie ordonnée du Royaume-Uni de l’Union. Faute d’une position de négociation britannique crédible, nous avions fait valoir que l’Union européenne pouvait se retrouver le dos au mur. En particulier, le plan de Chequers s’apparente à un marché unique à la carte, inacceptable pour l’Union.

Malheureusement, notre analyse lucide semble se concrétiser. Le risque pour l’Union est bien que celle-ci se retrouve confrontée au choix entre un no deal et une remise en cause inacceptable de ses lignes rouges, au premier rang desquelles – j’y insiste –, l’intégrité du marché unique.

L’Irlande apparaît toujours comme le nœud gordien de l’accord de sortie. Faute de solution de rechange sérieuse de la part du Royaume-Uni, le filet de sécurité proposé par l’Union semble la solution la plus crédible pour éviter un retour à une frontière physique entre les deux Irlande. La commission spéciale du Sénat examinera avec vigilance et responsabilité le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour faire face à la situation qui résultera des négociations.

Je m’associe aux propos du président Cambon concernant l’attitude de nos amis irlandais, qui nous manifestent une grande fidélité et nourrissent de grandes attentes vis-à-vis de la position de la France. Je crois que nous ne les décevrons pas.

Le dossier migratoire est un autre sujet particulièrement difficile. Nos collègues Jean-Yves Leconte, Olivier Henno et André Reichardt présenteront demain à la commission des affaires européennes un rapport d’information sur l’espace Schengen. Leur rapport nourrira le débat de contrôle qui aura lieu le 30 octobre prochain, à la demande de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et de la commission des affaires européennes.

Ce dossier est au cœur des réactions de nos opinions publiques. Il nourrit les populismes et témoigne malheureusement de la difficulté pour l’Union d’apporter des réponses rapides et coordonnées, alors même que des intérêts essentiels sont en cause.

L’Europe est attendue sur sa capacité à protéger ses frontières. Faute d’y parvenir, elle s’expose à de grands risques, qui pourraient se manifester dès les prochaines élections européennes. Certes, les flux ont sensiblement baissé par rapport au pic de 2015, mais on ne peut qu’être frappé par la lenteur du processus de décision. L’Europe s’inscrit dans le temps long des alliances, des accords, des compromis, ce qui, sur ce sujet, est extrêmement difficile.

Quand les 10 000 gardes-frontières supplémentaires seront-ils opérationnels ? Nous vous posons la question, madame la ministre. Où en est-on concrètement du projet de centres européens contrôlés et des plateformes de débarquement dans des pays tiers ? Peut-on espérer des progrès dans la réforme du système européen d’asile, qui est enlisée ?

Redisons-le : l’Europe ne peut être plus longtemps l’otage de réseaux criminels. Le secours en mer, qui constitue malheureusement un autre aspect de ce sujet, est une exigence humanitaire incontournable et un devoir au regard du droit international, mais l’Union européenne doit aussi agir contre les réseaux de passeurs.

Nous devons souligner une nouvelle fois l’urgence de partenariats ambitieux entre les pays d’origine et de transit dans l’esprit du sommet de La Valette. Soyons créatifs au travers de nouveaux mécanismes, à l’image du plan Juncker d’investissements pour l’Europe. En retour, l’Europe doit pouvoir compter sur la coopération active de ces pays en matière de réadmission.

C’est un autre sujet, qui sera abordé à un autre moment, mais la politique africaine de l’Union est en cours de réflexion et d’élaboration. Nous devons anticiper les flux migratoires qui risquent, demain, d’emporter l’Union. Comme l’a souligné le président Cambon, le continent africain pourrait voir sa population passer à 2, 5 milliards d’habitants en seulement trente ans…

La sécurité intérieure est un autre domaine où la plus-value européenne doit se manifester. Nous l’avons dit au Sénat après les attaques terroristes qui ont frappé la France. Face à des menaces de plus en plus hybrides, la réponse européenne doit d’abord être opérationnelle et intégrer les nouveaux défis, comme la cybersécurité. Il est crucial de renforcer l’échange d’informations et d’assurer l’interopérabilité des systèmes d’information.

Peut-on admettre plus longtemps que 85 % des données d’Europol proviennent de cinq pays, dont la France ? Europol doit jouer tout son rôle pour promouvoir la coopération policière européenne. De même, nous appuyons pleinement l’initiative de la Commission européenne tendant à étendre les compétences du parquet européen aux crimes terroristes à dimension transfrontalière.

Madame la ministre, tous mes vœux vous accompagnent pour ce difficile dîner de conciliation avec le Premier ministre Theresa May. Je pense que vous aurez le souci de protéger le marché unique européen, qui reste le premier marché économique mondial.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion