Je voudrais vous présenter ici un peu plus longuement que je ne l’ai fait en réponse aux amendements précédents, le projet d’évolution de l’organisation territoriale que je porte pour la justice.
Comme j’ai eu l’occasion de l’affirmer à plusieurs reprises, je souhaite une justice plus simple, plus lisible et plus efficace pour les citoyens, une justice qui s’adapte aux évolutions de notre société tout en restant proche des citoyens. Cette proximité me paraît en effet une caractéristique essentielle du service public de la justice dans notre pays.
Cela doit se traduire physiquement par des lieux de justice très proches des citoyens et par le développement du numérique, qui permettra de renforcer la qualité des décisions qui seront prises tout en facilitant le travail des personnels de justice.
La commission des lois du Sénat a compris cette ambition, d’une part, en votant, comme je le proposais, le regroupement administratif des tribunaux de grande instance et des tribunaux d’instance et, d’autre part, en renonçant à la création, envisagée un temps par votre assemblée, d’un tribunal départemental unique.
Je suis donc satisfaite que nous puissions ainsi converger au moins sur ces points.
La commission des lois souhaite introduire une nouvelle dénomination en créant un tribunal de première instance. Je ne partage pas ce choix parce que, selon moi, dans l’esprit de nos concitoyens, le tribunal de première instance renvoie à l’idée de tribunal départemental, que j’évoquais précédemment et que je ne souhaite pas créer. Il me semble nécessaire, sur ce point, de lever une certaine ambiguïté.
Je vous le disais précédemment, je souhaite maintenir l’ensemble des lieux de justice partout où ils se trouvent aujourd’hui, mais je souhaite également pouvoir évoluer en partant de projets territoriaux construits avec les acteurs locaux de la justice. Nous pourrons ainsi, à mon sens, renforcer l’organisation judiciaire tout en nous préoccupant de préserver la proximité par rapport aux citoyens et aux justiciables et d’assurer la qualité eu égard à des contentieux qui exigent une grande technicité de la part des magistrats comme les avocats.
Le projet de loi portant réforme de la justice contient donc plusieurs propositions d’évolutions. Ainsi, il est proposé, dans le cadre du regroupement administratif entre le tribunal de grande instance et les tribunaux d’instance, la transformation des tribunaux d’instance en chambres de proximité, dénommées tribunaux de proximité, là où il existe aujourd’hui des tribunaux d’instance isolés.
Cette proposition se fonde sur le fait que, demain, le justiciable n’aura plus qu’une entrée unique, par une requête unique, devant le tribunal, quel qu’il soit, qu’il s’agisse du tribunal de grande instance, du tribunal d’instance, d’un tribunal d’instance isolé ou bien d’un tribunal d’instance regroupé au sein du tribunal de grande instance, comme cela se passe d’ailleurs aujourd’hui dans beaucoup de villes moyennes.
Ces tribunaux de proximité, issus des actuels tribunaux d’instance, verront leur socle de compétences garanti par décret. Ce socle de compétences comprendra l’ensemble des compétences dévolues aux anciens tribunaux d’instance, notamment tout ce qui s’attachera aux tutelles ou à la consommation, ainsi que les contentieux civils de moins de 10 000 euros. Au fond, c’est la justice du quotidien. Et, à ce titre, elle doit être rendue en proximité, en très grande proximité, condition que remplissent les actuels tribunaux d’instance. Nous allons plus loin et c’est pourquoi je dis que nous confortons la justice de proximité : ces tribunaux de proximité pourront se voir attribuer des compétences supplémentaires par décision des chefs de cour, par exemple, en matière familiale, s’il en est besoin. S’il apparaît vraiment nécessaire de gonfler les compétences des tribunaux d’instance, des tribunaux de proximité, eh bien, on y adjoindra du contentieux en matière familiale.
Après avoir beaucoup discuté avec les juges d’instance actuels, avec l’ensemble des magistrats et des syndicats qui les représentent, j’ai décidé de revoir mon projet initial et de créer un juge des contentieux de la protection. Destiné à remplacer les juges d’instance, il aura en charge l’ensemble des dossiers de la justice du quotidien. Il traitera du surendettement, de la consommation, des baux d’habitation et des tutelles, de tout ce qui forge le contentieux du quotidien.
La création de ce juge des contentieux de la protection viendra conforter cette justice de proximité qui me semble mériter toute notre attention. Les juges d’instance que j’ai auditionnés m’en ont convaincue, certains des contentieux dont ils sont chargés méritent d’être traités par une personne dotée des compétences, qualités et capacités en la matière. Je crois important de le dire, au fond, ce que j’ai voulu faire, c’est donner un visage au traitement des questions de vulnérabilité économique et sociale. Pour moi, c’est un aspect essentiel.
La prise en compte de ces fragilités mérite en effet une affectation dans les tribunaux de proximité, comme au siège des tribunaux de grande instance. J’observe au passage que votre commission des lois m’a rejointe pour partie en créant un juge des tutelles et un juge des contentieux de proximité. Je propose, pour ma part, un juge unique prenant en charge l’ensemble de ces dossiers.
Votre commission des lois m’a rejointe, mais pour partie seulement, car elle ne choisit pas, contrairement à moi, de faire protéger la spécialisation de ces fonctions par la loi organique. Nous divergeons également sur le socle de compétences. Dans le projet que je porte, les contentieux civils de moins de 10 000 euros doivent être dévolus non à un juge particulier – l’option que vous retenez – mais à une chambre de proximité. Je le dis bien, ce qui prime pour moi, c’est que la justice du quotidien soit proche du justiciable, et je peux le garantir.
Tous les tribunaux de proximité sont maintenus, les juges de proximité, appelés juges des contentieux de la protection, auront une garantie pour juger des contentieux du quotidien, de la vulnérabilité.
Autre ambition, la spécialisation. Ce que je mets en place, c’est non pas une spécialisation totale, absolue, car cela n’a pas de sens, mais une spécialisation dévolue à des contentieux techniques. Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, vous le savez, il est très rare que les avocats soient « multicartes », si j’ose utiliser cette expression. Cela arrive, bien sûr, mais la plupart d’entre eux sont spécialisés : certains en droit pénal, d’autres en droit des affaires, d’autres encore en droit de la propriété littéraire et artistique, ou en droit de l’environnement, et la liste n’est pas exhaustive. Eh bien, il me semble que nous devons, dans certaines hypothèses, rendre cette spécialisation envisageable pour nos magistrats.
C’est la raison pour laquelle j’ai proposé que, dans les départements qui auraient plusieurs tribunaux de grande instance – les tribunaux de grande instance seront tous maintenus ! – avec leurs socles de compétences actuels, ces tribunaux noue un dialogue afin de nous faire remonter un projet offrant la possibilité de se spécialiser, pour l’un, sur telle compétence technique, pour l’autre, sur telle autre compétence technique et pour l’autre encore, sur telle autre compétence technique.
L’écriture de mon projet a évolué pour tenir compte des craintes exprimées par les avocats et les territoires. J’ai donc décidé que ces compétences spécialisées ne pourraient porter que sur des compétences techniques, d’une part, et de faible volumétrie, d’autre part. Cela pourrait représenter globalement jusqu’à 10 % des contentieux gérés dans un tribunal. Mais le tribunal qui perdra 10 % du contentieux qu’il gère gagnera la même part, venue d’ailleurs, l’idée étant de créer des pôles de compétences techniques.
Je veux le souligner, il y a eu un progrès important par rapport au texte initial. En effet, n’y figuraient ni la création du juge des contentieux de la protection, ni la spécialisation sur les compétences techniques et de faible volumétrie. Ces notions, je les ai introduites à la demande des syndicats de magistrats et des professionnels du droit.
Votre commission m’a rejointe sur un certain nombre de points. Je pense notamment à mon idée d’ouvrir la possibilité de confier à l’un des procureurs, dans les départements qui en comptent plusieurs, un rôle de coordination des politiques publiques judiciaires sous le contrôle du procureur général. Il s’agit là aussi d’un point important, qui mérite d’être souligné ici.
Telle est donc l’architecture globale que je propose, proximité, maintien de tous les tribunaux et spécialisation dans un certain nombre de contentieux.
Voilà les précisions que je voulais apporter pour présenter cet amendement, qui tend à rédiger l’article.