Le présent amendement vise à supprimer l’institution des durées minimale et maximale d’affectation des magistrats au sein d’une même juridiction.
Ce dispositif a été introduit par la commission des lois et reprend les dispositions de l’article 2 de la proposition de loi organique pour le redressement de la justice que le Sénat a adoptée le 24 octobre 2017. Ces dispositions, d’ailleurs déclinées dans d’autres articles du projet de loi organique, s’agissant de la durée minimale, répondent en réalité à un vrai besoin en matière de gestion des ressources humaines des magistrats, en particulier, en matière de mobilité.
Un tel besoin a été mis en évidence dans plusieurs rapports récents, notamment celui de la mission d’information du Sénat sur le redressement de la justice, rapport qui date du mois d’avril 2017 et qui a fait l’objet de larges concertations, à la fois auprès des magistrats, de leurs syndicats représentatifs et, naturellement, de toutes les personnes susceptibles de donner un point de vue sur ce sujet.
Il ne s’agit toutefois pas du seul rapport sur la question, puisque le CSM, le Conseil supérieur de la magistrature, fait aussi état de ce besoin depuis 2012, et ce de façon réitérée dans ses derniers rapports d’activité de 2016 et de 2017. Nous croyons du reste que le Gouvernement partage également cette préoccupation. C’est ce qu’a rappelé Mme la ministre tout à l’heure.
Néanmoins, nous avons l’impression que l’on nous renvoie une nouvelle fois au sixième chantier de la réforme de la justice sur les ressources humaines, dont on nous indique qu’il sera mené dans le cadre de la loi organique qui suivra l’adoption de la loi constitutionnelle réformant le Conseil supérieur de la magistrature. Nous ne savons pas quand cette loi sera votée et sommes donc un peu étonnés. Je rappelle notamment que l’avis budgétaire de mon collègue corapporteur, Yves Détraigne, ici présent, sur la loi de finances pour 2018 mentionnait déjà le lancement de ce sixième chantier. C’était il y a pratiquement une année maintenant.
Pourtant, le sujet nous semble urgent. Il peut en outre être traité indépendamment de la réforme du CSM, s’agissant de la modification du statut de la magistrature. Le dernier rapport d’activité du CSM pour l’année 2017 confirme, à cet égard, « le phénomène de mobilité qui caractérise désormais les carrières des magistrats » et fait état de l’examen de 2 856 propositions de nomination du garde des sceaux, soit près de 35 % du corps des magistrats.
La mise en place d’une durée minimale d’exercice des fonctions, telle que nous la proposons, vise à répondre à ce phénomène de turn-over excessif, qui est justement plus important dans les juridictions peu attractives et pour ce qui concerne les premiers postes. Le rapport du CSM pour l’année 2017 constate d’ailleurs « les effets néfastes de cette forte mobilité ».
Selon ce rapport, celle-ci « rend plus difficile l’investissement des magistrats dans les fonctions et le travail en équipe. Elle peut ralentir la mise en œuvre des projets de service et de juridiction. Elle peut enfermer certains chefs de juridiction dans une gestion à court terme de la structure qui leur est confiée, faute de prévisibilité sur la composition des équipes. Des mouvements fréquents touchant certaines fonctions de cabinet génèrent des vacances de poste répétées qui nuisent à la célérité du traitement des dossiers. Une forte mobilité plus ou moins subie entraîne des conséquences lourdes sur la vie personnelle et familiale. Elle a une incidence sur le déroulement de la carrière des femmes ».
S’agissant de la durée maximale d’exercice des fonctions que nous proposons, le rapport du CSM relève également qu’« il n’existe aucun outil permettant d’identifier les situations de grand immobilisme touchant certaines juridictions, notamment parmi les plus attractives et susceptibles de créer des difficultés au plan déontologique ».
Compte tenu de ce contexte largement documenté, nous considérons que l’institution de nouvelles règles constitue un impératif au regard des difficultés de gestion des ressources humaines et, surtout, de leurs conséquences en termes de désorganisation de nos juridictions.
Cependant, pour tenir compte des exigences de souplesse de gestion, l’article 1er A prévoit également la possibilité de déroger à ces règles sur avis motivé du CSM.
Par ailleurs, nous estimons que ces règles sont conformes aux principes de portée générale définis par la jurisprudence constitutionnelle, et ne portent atteinte ni au principe de l’inamovibilité des magistrats du siège ni à aucun autre principe ou exigence de valeur constitutionnelle. Elles s’appliqueraient à tous les titulaires des fonctions en cause. Les magistrats devront être pleinement informés de la limitation dans le temps de la fonction. Ainsi, en acceptant ces règles, ils auront consenti aux modalités d’affectation prévues par la loi organique.
De ce fait, les nouvelles obligations de mobilité et les conséquences qui s’y attachent ne peuvent s’appliquer que dans un délai suffisant pour permettre aux magistrats de prendre connaissance de ces nouvelles règles, qui peuvent impliquer un régime transitoire. C’est la raison pour laquelle l’article 1er A prévoit que les dispositions ne sont applicables qu’aux magistrats nommés à compter du 1er septembre 2019, sauf pour ceux auxquels s’applique le régime transitoire, naturellement.
S’agissant de ces dispositions transitoires, il conviendra peut-être d’examiner par la suite des améliorations éventuelles.
Enfin, des garanties de nature à concilier les conséquences qui résultent d’une obligation de mobilité avec le principe de l’inamovibilité des magistrats du siège sont également prévues dans le dispositif de l’article 1er B du projet de loi organique.
Compte tenu de l’ensemble de ces observations, la commission des lois est défavorable à cet amendement.