Nous examinons la mission « Engagements financiers de l'État » et les comptes spéciaux qui lui sont associés. Ce rapport est stratégique, car il s'agit du troisième budget de l'État. Cette mission recouvre essentiellement les crédits alloués au paiement de la charge de la dette. Nous consacrons plus au service de la dette qu'à la plupart de nos politiques publiques. Ces quelque 40 milliards d'euros rémunèrent les créanciers qui ont bien voulu prêter à un État, la France, qui, de façon structurelle, dépense plus qu'il ne gagne. Comme le souligne le Haut Conseil des finances publiques, « la France n'aura pas encore amorcé, à l'horizon de 2019, le mouvement de réduction de son ratio de dette publique par rapport au PIB, à la différence de la quasi-totalité des pays européens ». En résumé, notre dette publique représente 10 points de PIB de plus que la moyenne européenne. On peut se rassurer en regardant au Sud : la Grèce, l'Italie, le Portugal, mais chacun sait que notre ambition est de nous comparer à l'Allemagne. Et là, l'histoire est tout autre ! Le décrochage ne cesse de s'accentuer.
La portée de notre travail sur cette mission est cependant limitée, car nous enregistrons ici une dépense plus que nous ne l'autorisons. La charge de la dette fait l'objet de crédits évaluatifs et non pas limitatifs. Nous votons donc non pas des plafonds de crédits juridiquement contraignants, mais de simples prévisions.
La charge d'intérêts de la dette de l'État inscrite dans cette mission devrait s'élever à 42,2 milliards d'euros en 2019, soit une augmentation de l'ordre de 1,7 % entre 2018 et 2019. L'État français vit à crédit et la facture augmente ! L'encours de la dette négociable de l'État, qui représente plus des trois quarts de cette dette, devrait atteindre plus de 1 800 milliards d'euros en 2019, en croissance de 4,7 % par rapport à fin 2018, soit plus de 80 milliards d'euros supplémentaires. C'est presque deux fois le budget de la Défense. Les chiffres sont là : la dette publique, qui était à peine au-dessus du seuil de 60 points de PIB en 2007, a augmenté de plus de 30 points en dix ans. C'est considérable. Le ministre Bruno Le Maire l'a souligné lui-même devant nous, c'est « un poison lent pour notre économie et les générations futures » ; mais on ne devrait pas s'y habituer...
La dérive de la dette publique n'est pas enrayée. L'endettement public atteint 98,7 % du PIB en 2018. Le projet de loi de finances indique qu'il devrait atteindre 98,6 % du PIB en 2019. On frôle les 100 % de PIB... C'est alarmant. L'Allemagne va revenir sans doute dès cette année sous la barre des 60 % de PIB de dette publique, en se tenant depuis la sortie de la crise financière de 2008 à sa stratégie du « Die schwarze Null » (équilibre budgétaire sans nouvelles dettes). Il serait bon que le France trouve une règle d'or qu'elle appliquerait vraiment ! Dans ce contexte, il convient plus que jamais de remettre l'accent sur les quatre principaux risques qui pourront conduire à revoir à la hausse la charge de la dette pour 2019. Le premier risque est une remontée des taux d'intérêt car cela reste soutenable tant que les intérêts sont bas, voire négatifs ; mais les intérêts vont finir par remonter, la question est dans quelle proportion ! À force de crier au loup, on a fini par oublier le risque. Les agences de notation ne semblent pas inquiètes pour la dette française, en tout cas beaucoup moins que votre rapporteur...Avec la hausse des taux, la charge de la dette progressera - d'autant plus vite que la maturité moyenne de la dette française n'est pas extrêmement élevée par comparaison avec d'autres pays. Elle s'élève à environ 7 ans et demi en France, contre 14 ans au Royaume-Uni, par exemple.
D'après les simulations de l'Agence France Trésor, une hausse d'un point de pourcentage, toute chose égale par ailleurs, aura un coût cumulé de près de 35 milliards d'euros après cinq ans, un chiffre à rapprocher des 40 milliards d'euros de la mission. La charge de la dette est actuellement le troisième poste budgétaire, mais, dans ces conditions, son rang risque de remonter. Évidemment, si cette augmentation d'un point des taux d'intérêt s'accompagne d'une augmentation du taux de croissance à due concurrence, la situation serait très différente. Un point de croissance supplémentaire, c'est ce que l'on peut souhaiter ! Mais, pour l'instant, on a surtout assisté à des révisions à la baisse des prévisions de croissance...
Deuxième risque : les engagements hors bilan de l'État qui constituent l'ensemble des obligations potentielles de l'État liées, notamment, à des opérateurs qui bénéficient de la garantie implicite ou explicite de l'État. Tous les engagements hors bilan n'ont pas vocation à se traduire par des dépenses, mais il s'agit d'un risque qui pèse bel et bien sur le niveau de la dette. À titre d'exemple, la dette publique affichée en comptabilité nationale a été significativement affectée par la reprise de la dette de la SNCF. La SNCF porte en effet une dette conséquente, de plus de 46 milliards d'euros en 2017, dont 39 milliards ont été intégrés dans la dette des administrations publiques en 2017. Je me permets d'attirer votre attention et celle de notre rapporteure spéciale du budget des transports terrestres sur la nécessité, pour les pouvoirs publics, de clarifier rapidement les modalités du transfert de cette dette à l'État.
Troisième risque : le risque de notation. Les agences de notation ne sont pas inquiètes, mais elles ne l'étaient pas non plus en 2008... Elles sont plutôt préoccupées par la situation en Italie et les prochaines élections européennes, car, si les eurosceptiques l'emportent, cela aura nécessairement des conséquences sur les politiques nationales. Elles estiment que la France est capable d'assumer la charge de la dette. Ce contexte international pourrait cependant peser sur la notation de notre dette.
Enfin, le quatrième risque concerne une évolution possible du traitement prudentiel des dettes souveraines.
Dans ce contexte peu réjouissant, que faire ? Face à la réalité de la dette, on peut faire le choix d'augmenter les prélèvements...