Il me semblait que vous étiez d'abord des élus de la Nation, à moins que je n'aie pas bien compris la Constitution de la Ve République...
Les enjeux du Brexit concernent tous les ministères, et notamment le ministère de l'Intérieur, l'Agriculture, le mien pour les douanes.
Le sujet des ressources humaines, quoiqu'essentiel, a une importance relative tant que nous ne connaissons pas le lien juridique qui nous liera avec nos amis britanniques. La commande du Premier ministre est claire : nous devons faire comme si l'accord ne devait pas être trouvé, ainsi nous risquons seulement une bonne nouvelle ! En cas de Brexit « dur », nous n'aurons aucun lien juridique avec le Royaume-Uni. L'administration française est capable, à horizon 2020-2021, de gérer ces 4 millions de flux de camions dans les ports et par le tunnel.
L'interrogation principale concerne la période de transition, du 29 mars 2019 au Brexit effectif, durant laquelle nous devrons former le personnel et aménager des infrastructures. Or nous n'avons pas le droit de négocier avec le Royaume-Uni, c'est réservé à l'Union européenne, au travers de M. Barnier.
Pour les douanes, le Royaume-Uni a déjà demandé un accord sur le transit. La réponse sera donnée en décembre. Cet accord permettra d'améliorer largement le flux des marchandises. En cas d'accord, la fin de la période de transition sera repoussée à fin 2020. Mais nous nous préparons à la commande du Premier ministre - un Brexit dur, sans transition.
Nous recrutons 700 douaniers, pour faire simple, la moitié dans les services commerciaux, qui font le dédouanement et accompagnent les entreprises, l'autre moitié, en uniforme, pour la surveillance. Je ne peux vous donner leur répartition géographique, cela dépend du lien juridique avec le Royaume-Uni. Sans accord de transit, davantage auraient été en poste dans les Hauts-de-France, ainsi que dans les aéroports régionaux de La Rochelle et de Bretagne, où ce sont les douanes qui procèdent aux contrôles de personnes - et non la police aux frontières.
Je m'inscris en faux avec le rapporteur : nous avons déjà formé, dans les excellentes écoles de La Rochelle et de Tourcoing, 350 douaniers supplémentaires, qui seront affectés débuts février, pour répondre aux enjeux du tunnel ou des ports. Près de 250 douaniers supplémentaires sont prévus dans le PLF 2019, 100 en 2020 ; la moitié des recrutements sont faits et le personnel formé.
Depuis la création des douanes, les douaniers ne contrôlent pas toutes les marchandises, sinon il faudrait dix fois l'Armée du salut par passage frontière ! Dans ma commune, il y a 17 points de frontière avec la Belgique. Les technologies permettront d'enregistrer les flux, et un douanier peut faire son travail depuis Grenoble pour une marchandise qui part de cet endroit, au lieu que cela se fasse à la frontière. Des vérifications administratives peuvent être faites en amont, et l'arrêt du camion demandé ensuite.
Le principal problème concerne les marchandises qui entrent sur le sol français et européen et non celles qui sortent. Nous avons trois objectifs : protéger le marché unique, car le Royaume-Uni ne peut pas avoir les avantages sans les inconvénients ; lutter contre les marchandises illicites, que ce soient les contrefaçons ou la contrebande de tabac, d'alcool ou de drogue ; et la sécurité du tunnel et des ports contre un éventuel attentat. Le deuxième concerne plus particulièrement les douanes, tandis que le troisième est partagé avec les services de police et de gendarmerie.
Où se trouvera la frontière pour les marchandises, en France, au Royaume-Uni ou entre les deux ? Cela dépendra de l'accord international. Pour les relations entre les personnes, la frontière est en France. Les Britanniques pourraient décider de bloquer l'entrée en Europe des marchandises pour des raisons diplomatiques, pratiques ou économiques. L'idéal est d'avoir des bureaux partagés - comme à Andorre ou en Suisse - de chaque côté de la frontière, à Calais et à Douvres. Les douaniers ne contrôlent pas la totalité des flux, mais ciblent les contrôles, en fonction des renseignements dont ils disposent.
Les nouvelles technologies sont une aide précieuse ; la dématérialisation est complète à Roissy, il en sera bientôt de même pour les camions. Nous devons réimaginer une frontière et faire l'essentiel des procédures avant, pour arrêter très peu de camions à proximité des ports et du tunnel.
Les ETP, les nouvelles technologies et les investissements dans les infrastructures sont donc suffisants pour faire face au Brexit, d'autant plus avec la proposition britannique d'accord de transit.
Les infrastructures sont une question importante pour Calais - tandis que Le Havre et Dunkerque ont des surfaces suffisantes. Le problème réside davantage dans la concurrence entre le tunnel et le port de Calais qu'entre Calais avec Rotterdam et Anvers, car la logistique est différente selon les lieux : le chauffeur reste dans le camion qui passe par le tunnel ou le ferry à Calais, tandis qu'un nouveau chauffeur conduit le camion sur le sol britannique lorsque celui-ci embarque à Anvers ou Rotterdam. À cela s'ajoute que les normes flamandes de sécurité ou environnementales sont moindres : à Anvers, un complexe pétrochimique se trouve à deux pas du port, sans frontière, et le canal Albert ouvre sur un large hinterland, à la différence des ports français. Durant la période de transition, la comparaison n'est donc pas totalement pertinente, le risque de report est moindre - même s'il existe à long terme...
À Calais se pose la question des migrants, car seulement 50% des camions sont équipés pour éviter des intrusions. Il faut pouvoir, en amont et à équidistance du tunnel et du port, contrôler les camions sans bloquer les axes routiers. Des centaines de millions d'euros ont été investis par la région dans le port de Calais avant le Brexit. Il faut à présent réaliser de nouveaux aménagements, que ce soit avec le soutien de la région à Calais et à Boulogne, dans les ports d'État de Dunkerque et du Havre, et dans le tunnel sous la Manche, détenu par une société privée.
Lors d'une réunion présidée par le préfet et le directeur général des douanes, nous avons émis le souhait d'acquérir un terrain à Calais. Mais aucun n'est disponible à équidistance du port et du tunnel. Près du tunnel se trouve un terrain appartenant à la société Eurotunnel, qui est prête à nous le céder gratuitement. Un autre, sur la zone de la Turquerie, sur lequel l'agglomération de Calais a des intérêts, appartient à Territoires Soixante-Deux et coûterait 20 millions d'euros. Il se situe à deux sorties d'autoroute du port, soit à 9 kilomètres du port, et à quatre sorties du tunnel. Un code-barres permettrait d'anticiper l'arrivée d'un camion de Douvres, de géolocaliser le camion et de vérifier les marchandises en cas de doute. Les douanes pourront réaliser jusqu'à quatre démarches douanières, y compris vider le camion, alors qu'elles n'en font aucune aujourd'hui. Elles seront menées avec le ministère de l'Agriculture, pour les contrôles sanitaires. Nous serions dégagés du fameux délai contraint de trois minutes par camion juste à l'arrivée à Calais. Je déciderai quel terrain aménager dans les prochains jours, afin que nous soyons prêts pour le 29 mars.
Les services des douanes sont aussi aidés de chiens - pour la détection d'explosifs et de stupéfiants - et de scanners. En lien avec Eurotunnel est prévu le déploiement d'une technologie étonnante, pour contrôler les marchandises d'un train roulant à 30 kilomètres par heure. Nous attendons le feu vert de l'Autorité de sûreté nucléaire pour vérifier que cette prouesse technologique ne provoque aucun risque sanitaire. Par ailleurs, le ministère de l'Agriculture doit préciser le nombre de postes supplémentaires prévus pour le contrôle sanitaire.
Quant au risque de concurrence déloyale, nos voisins flamands sont plus pragmatiques et leurs ports connaissent des flux plus réguliers. Les ports ne se ressemblent pas et sont souvent spécialisés : Dunkerque dans les fruits et légumes, Bruges pour l'automobile... On ne change pas si facilement une spécialisation ! Nous pourrions construire le canal Seine-Nord, améliorer notre hinterland et nos liens ferroviaires, cela ne dépend pas du Brexit.
Certes, les douanes sont plus ou moins tatillonnes ; j'ai alerté Michel Barnier il y a un an, et me rendrai fin novembre avec la ministre des Transports en Belgique et aux Pays-Bas pour exercer une amicale pression sur nos voisins flamands... Cet été, il apparaissait que le port d'attache vers l'Irlande se situerait en Belgique ou aux Pays-Bas. Pourquoi pas dans les Hauts-de-France, par exemple au Havre ? La Commission européenne y est désormais plus attentive. En cas d'absence d'accord avec le Royaume-Uni, les négociations seront dures. Le Gouvernement français ne négocie pas directement avec le Royaume-Uni, mais nous avons des contacts avec l'administration britannique et l'ambassadeur pour préparer l'éventualité d'un Brexit « dur ». Nous nous réunirons avec le ministre des douanes britanniques pour éviter une concurrence douanière malsaine.