Merci de nous rejoindre pour évoquer les conséquences du Brexit, avec cette situation paradoxale : pour la première fois en quarante ans, nous sommes confrontés à une opération s'apparentant à un suicide collectif, selon les termes de Michel Barnier. Comment faire diverger le Royaume-Uni de l'Union européenne des 27, avec le moins de dégâts possibles ? Nous devons faire face à la forte incertitude qui pèse sur l'issue des négociations avec le Royaume-Uni. Nous devons donc nous préparer à toutes les hypothèses, y compris celle de l'absence d'un accord sur les modalités de retrait.
Comment analysez-vous ce scénario, vos services sont-ils prêts à rétablir des droits de douane ? Quels contrôles devront être mis en place et selon quelles modalités ? Qu'en est-il du coût et des ressources humaines qui devront être mobilisées ?
Nous nous inquiétons de la fluidité des échanges et de l'attractivité des ports français par rapport à leurs voisins néerlandais et belges. Vous avez devant vous de nombreux élus de la façade atlantique. Cet été, la Commission européenne a émis une proposition qui est une véritable provocation, en imaginant que le mécanisme d'interconnexion en Europe ne concernerait pas, dans un premier temps, les ports français, occultant l'impact du Brexit sur nos ports. Enfin, comment votre administration accompagne-t-elle les entreprises, qui semblent seules en France alors que les administrations belges et néerlandaises soutiennent les leurs ? Ce n'est peut-être qu'un ressenti.
Je centrerai mon propos sur trois points. Quels effectifs seront mobilisés ? Votre tâche n'est pas facile, et vous avez annoncé le recrutement de 700 douaniers, dont une quarantaine prévus dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2019. Le tunnel voit passer 1,1 million de camions, les ports français 3,2 millions. Selon les entreprises que nous avons consultées, cela ne suffira pas à éviter des bouchons monstrueux. Pouvez-vous augmenter le nombre de douaniers ? En cas d'accord, vous aurez deux à trois ans pour les préparer, mais en cas d'échec, à peine six mois ! Combien de douaniers ont déjà été recrutés, combien ont été formés ?
Nous sommes très inquiets pour les infrastructures. Vous avez devant vous des représentants des ports de Roscoff, Cherbourg, Caen-Ouistreham, Dieppe, Calais, et du tunnel sous la Manche qui n'ont pas les infrastructures suffisantes pour des postes douaniers et sanitaires, contrairement à Dunkerque, Le Havre, Saint-Malo et Brest - et encore. Quel en sera le coût ? Comment les financerez-vous en trois ans, et comment ferez-vous en six mois ?
Xavier Bertrand, votre président de région, craint à raison une concurrence déloyale des ports d'Europe du Nord comme Anvers et Rotterdam, au détriment de nos ports. Avez-vous, avec vos homologues de ces pays, établi des règles du jeu, pour éviter la « triche » ? Une des plus grandes entreprises pharmaceutiques européennes, AstraZeneca, a déjà investi à Anvers dans des entrepôts. Une partie de ses médicaments ne passera donc plus par deux de nos ports.
Les représentants de Cherbourg, Calais, Le Havre, Roscoff sont en face de vous...
Qui paiera ? Les Anglais, au travers de l'accord du Touquet, nous ont déjà habitués à une certaine posture...
Il me semblait que vous étiez d'abord des élus de la Nation, à moins que je n'aie pas bien compris la Constitution de la Ve République...
Les enjeux du Brexit concernent tous les ministères, et notamment le ministère de l'Intérieur, l'Agriculture, le mien pour les douanes.
Le sujet des ressources humaines, quoiqu'essentiel, a une importance relative tant que nous ne connaissons pas le lien juridique qui nous liera avec nos amis britanniques. La commande du Premier ministre est claire : nous devons faire comme si l'accord ne devait pas être trouvé, ainsi nous risquons seulement une bonne nouvelle ! En cas de Brexit « dur », nous n'aurons aucun lien juridique avec le Royaume-Uni. L'administration française est capable, à horizon 2020-2021, de gérer ces 4 millions de flux de camions dans les ports et par le tunnel.
L'interrogation principale concerne la période de transition, du 29 mars 2019 au Brexit effectif, durant laquelle nous devrons former le personnel et aménager des infrastructures. Or nous n'avons pas le droit de négocier avec le Royaume-Uni, c'est réservé à l'Union européenne, au travers de M. Barnier.
Pour les douanes, le Royaume-Uni a déjà demandé un accord sur le transit. La réponse sera donnée en décembre. Cet accord permettra d'améliorer largement le flux des marchandises. En cas d'accord, la fin de la période de transition sera repoussée à fin 2020. Mais nous nous préparons à la commande du Premier ministre - un Brexit dur, sans transition.
Nous recrutons 700 douaniers, pour faire simple, la moitié dans les services commerciaux, qui font le dédouanement et accompagnent les entreprises, l'autre moitié, en uniforme, pour la surveillance. Je ne peux vous donner leur répartition géographique, cela dépend du lien juridique avec le Royaume-Uni. Sans accord de transit, davantage auraient été en poste dans les Hauts-de-France, ainsi que dans les aéroports régionaux de La Rochelle et de Bretagne, où ce sont les douanes qui procèdent aux contrôles de personnes - et non la police aux frontières.
Je m'inscris en faux avec le rapporteur : nous avons déjà formé, dans les excellentes écoles de La Rochelle et de Tourcoing, 350 douaniers supplémentaires, qui seront affectés débuts février, pour répondre aux enjeux du tunnel ou des ports. Près de 250 douaniers supplémentaires sont prévus dans le PLF 2019, 100 en 2020 ; la moitié des recrutements sont faits et le personnel formé.
Depuis la création des douanes, les douaniers ne contrôlent pas toutes les marchandises, sinon il faudrait dix fois l'Armée du salut par passage frontière ! Dans ma commune, il y a 17 points de frontière avec la Belgique. Les technologies permettront d'enregistrer les flux, et un douanier peut faire son travail depuis Grenoble pour une marchandise qui part de cet endroit, au lieu que cela se fasse à la frontière. Des vérifications administratives peuvent être faites en amont, et l'arrêt du camion demandé ensuite.
Le principal problème concerne les marchandises qui entrent sur le sol français et européen et non celles qui sortent. Nous avons trois objectifs : protéger le marché unique, car le Royaume-Uni ne peut pas avoir les avantages sans les inconvénients ; lutter contre les marchandises illicites, que ce soient les contrefaçons ou la contrebande de tabac, d'alcool ou de drogue ; et la sécurité du tunnel et des ports contre un éventuel attentat. Le deuxième concerne plus particulièrement les douanes, tandis que le troisième est partagé avec les services de police et de gendarmerie.
Où se trouvera la frontière pour les marchandises, en France, au Royaume-Uni ou entre les deux ? Cela dépendra de l'accord international. Pour les relations entre les personnes, la frontière est en France. Les Britanniques pourraient décider de bloquer l'entrée en Europe des marchandises pour des raisons diplomatiques, pratiques ou économiques. L'idéal est d'avoir des bureaux partagés - comme à Andorre ou en Suisse - de chaque côté de la frontière, à Calais et à Douvres. Les douaniers ne contrôlent pas la totalité des flux, mais ciblent les contrôles, en fonction des renseignements dont ils disposent.
Les nouvelles technologies sont une aide précieuse ; la dématérialisation est complète à Roissy, il en sera bientôt de même pour les camions. Nous devons réimaginer une frontière et faire l'essentiel des procédures avant, pour arrêter très peu de camions à proximité des ports et du tunnel.
Les ETP, les nouvelles technologies et les investissements dans les infrastructures sont donc suffisants pour faire face au Brexit, d'autant plus avec la proposition britannique d'accord de transit.
Les infrastructures sont une question importante pour Calais - tandis que Le Havre et Dunkerque ont des surfaces suffisantes. Le problème réside davantage dans la concurrence entre le tunnel et le port de Calais qu'entre Calais avec Rotterdam et Anvers, car la logistique est différente selon les lieux : le chauffeur reste dans le camion qui passe par le tunnel ou le ferry à Calais, tandis qu'un nouveau chauffeur conduit le camion sur le sol britannique lorsque celui-ci embarque à Anvers ou Rotterdam. À cela s'ajoute que les normes flamandes de sécurité ou environnementales sont moindres : à Anvers, un complexe pétrochimique se trouve à deux pas du port, sans frontière, et le canal Albert ouvre sur un large hinterland, à la différence des ports français. Durant la période de transition, la comparaison n'est donc pas totalement pertinente, le risque de report est moindre - même s'il existe à long terme...
À Calais se pose la question des migrants, car seulement 50% des camions sont équipés pour éviter des intrusions. Il faut pouvoir, en amont et à équidistance du tunnel et du port, contrôler les camions sans bloquer les axes routiers. Des centaines de millions d'euros ont été investis par la région dans le port de Calais avant le Brexit. Il faut à présent réaliser de nouveaux aménagements, que ce soit avec le soutien de la région à Calais et à Boulogne, dans les ports d'État de Dunkerque et du Havre, et dans le tunnel sous la Manche, détenu par une société privée.
Lors d'une réunion présidée par le préfet et le directeur général des douanes, nous avons émis le souhait d'acquérir un terrain à Calais. Mais aucun n'est disponible à équidistance du port et du tunnel. Près du tunnel se trouve un terrain appartenant à la société Eurotunnel, qui est prête à nous le céder gratuitement. Un autre, sur la zone de la Turquerie, sur lequel l'agglomération de Calais a des intérêts, appartient à Territoires Soixante-Deux et coûterait 20 millions d'euros. Il se situe à deux sorties d'autoroute du port, soit à 9 kilomètres du port, et à quatre sorties du tunnel. Un code-barres permettrait d'anticiper l'arrivée d'un camion de Douvres, de géolocaliser le camion et de vérifier les marchandises en cas de doute. Les douanes pourront réaliser jusqu'à quatre démarches douanières, y compris vider le camion, alors qu'elles n'en font aucune aujourd'hui. Elles seront menées avec le ministère de l'Agriculture, pour les contrôles sanitaires. Nous serions dégagés du fameux délai contraint de trois minutes par camion juste à l'arrivée à Calais. Je déciderai quel terrain aménager dans les prochains jours, afin que nous soyons prêts pour le 29 mars.
Les services des douanes sont aussi aidés de chiens - pour la détection d'explosifs et de stupéfiants - et de scanners. En lien avec Eurotunnel est prévu le déploiement d'une technologie étonnante, pour contrôler les marchandises d'un train roulant à 30 kilomètres par heure. Nous attendons le feu vert de l'Autorité de sûreté nucléaire pour vérifier que cette prouesse technologique ne provoque aucun risque sanitaire. Par ailleurs, le ministère de l'Agriculture doit préciser le nombre de postes supplémentaires prévus pour le contrôle sanitaire.
Quant au risque de concurrence déloyale, nos voisins flamands sont plus pragmatiques et leurs ports connaissent des flux plus réguliers. Les ports ne se ressemblent pas et sont souvent spécialisés : Dunkerque dans les fruits et légumes, Bruges pour l'automobile... On ne change pas si facilement une spécialisation ! Nous pourrions construire le canal Seine-Nord, améliorer notre hinterland et nos liens ferroviaires, cela ne dépend pas du Brexit.
Certes, les douanes sont plus ou moins tatillonnes ; j'ai alerté Michel Barnier il y a un an, et me rendrai fin novembre avec la ministre des Transports en Belgique et aux Pays-Bas pour exercer une amicale pression sur nos voisins flamands... Cet été, il apparaissait que le port d'attache vers l'Irlande se situerait en Belgique ou aux Pays-Bas. Pourquoi pas dans les Hauts-de-France, par exemple au Havre ? La Commission européenne y est désormais plus attentive. En cas d'absence d'accord avec le Royaume-Uni, les négociations seront dures. Le Gouvernement français ne négocie pas directement avec le Royaume-Uni, mais nous avons des contacts avec l'administration britannique et l'ambassadeur pour préparer l'éventualité d'un Brexit « dur ». Nous nous réunirons avec le ministre des douanes britanniques pour éviter une concurrence douanière malsaine.
Vous avez évoqué les flux entrants, mais qu'en est-il des flux sortants ? Est-ce le problème des Britanniques ? Qu'en sera-t-il pour la sécurité sanitaire des aliments et vétérinaire ? Ce sera comme pour les centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage (Cross), ils vont considérer que les infrastructures françaises sont acceptables et qu'elles assurent le contrôle à leur place. Actuellement, de moins en moins de navires britanniques assurent le secours maritime, y compris dans leurs eaux territoriales...
De nombreux camions arrivent de toute l'Europe. Si les Britanniques veulent faire preuve de mauvaise volonté, ils peuvent ralentir les flux.
J'ai alerté le cabinet de Mme Loiseau sur le partage équitable des frais entre les États membres, puisque la France, très engagée, va devoir construire des infrastructures coûteuses au bénéfice de l'ensemble de l'Union européenne. Et je doute de l'orientation pro-européenne des Belges, qui ont choisi le F-35 plutôt que l'avion européen...
Douvres est coincé entre une falaise et la mer, c'est pourquoi les Britanniques ont choisi un terrain à 50 kilomètres du port pour contrôler les camions. Est-ce un problème ?
Rapporteur du budget agricole pour le projet de loi de finances, j'ai vu que le ministère de l'Agriculture ne prévoit que 40 ETP supplémentaires et 2 millions d'euros pour contrôler les denrées venant du Royaume-Uni. Les Britanniques nous ont déjà prouvé leur capacité à faire entrer dans l'Union des produits - notamment des ovins - issus de leur ancien Commonwealth. Pour contrer la fin de la Politique agricole commune, ils seront tentés d'augmenter leurs exportations de produits agricoles en Europe ; 40 ETP, c'est peu pour la sécurité sanitaire des aliments et éviter la transmission de maladies dans les élevages. Depuis les années Thatcher, le Royaume-Uni est dépourvu de tout service vétérinaire digne de ce nom. Nous risquons un problème sanitaire dans les élevages européens. Le budget agricole a diminué de 571 millions d'euros entre 2017 et 2018. Avons-nous réellement évalué le nombre de personnes nécessaires ?
Cherbourg est un port ultra sécurisé, je ne suis pas inquiet, d'autant que des terrains et bâtiments disponibles ont déjà été identifiés. Ce n'est pas le cas à Ouistreham, site plus contraint. Est-il nécessaire de renégocier l'accord du Touquet et de relocaliser la frontière immatérielle ? Selon les logisticiens, la réglementation européenne ne permet pas de déporter les contrôles portuaires ; le confirmez-vous ? Que représentera le recouvrement des droits de douane pour les flux financiers ?
Vous avez évoqué une concurrence malsaine entre les ports, que les transporteurs ont également dénoncée, car les ports belges seraient moins stricts dans leurs contrôles - ils ont même mentionné un audit de la Commission européenne, qui serait en cours. Si on appliquait l'accord de Chequers pour les marchandises, n'aurions-nous pas besoin de mettre en place les mêmes contrôles ?
Le Brexit comporte aussi des enjeux fiscaux, notamment pour le remboursement de la TVA. Imposeront-ils des modifications législatives ?
Je suis bien conscient des enjeux pour les entreprises qui exportent au Royaume-Uni ou en importent des produits - comme, par exemple, Pernod Ricard, dont j'ai rencontré récemment le dirigeant. Nous leur fournissons un maximum d'informations et, s'il y a bien une administration pro-business, c'est celle des douanes. Encore faut-il que ces entreprises se mobilisent ! La semaine dernière, nous avons convié toutes celles qui dans les Hauts-de-France sont concernées par le Brexit à une réunion d'information à Lille. Sur 550 PME, 40 personnes sont venues... Mon impression, à vrai dire, est qu'il y a peu de gens qui croient au Brexit ; l'administration française, en tous cas, y croit plus que ses interlocuteurs. L'enjeu est donc celui d'une prise de conscience, d'autant qu'il y a de vrais risques que le Brexit soit très dur.
Et les Anglais ne sont pas si raisonnables que le disent ceux qui n'y croient pas. En tous cas, même les opposants au Brexit considèrent que, puisque le peuple s'est exprimé, il y a une vraie exigence démocratique à aboutir. Je suppose que la prise de conscience viendra à mesure qu'on s'approchera de la falaise...
Les flux sortants sont le problème des Britanniques, qui seront pragmatiques car l'Angleterre ne peut pas se permettre de jouer à l'île autosuffisante. Si nous considérons que la frontière est uniquement en France, nous aurons les mêmes problèmes qu'avec les accords du Touquet. Les contrôles que nous exerçons sur les flux sortants n'ont pour but que d'éviter les trafics illicites. Nous nous occupons des flux entrants, car nous protégeons le marché commun. À cet égard, nous devons négocier l'installation de bureaux à contrôles nationaux juxtaposés (BCNJ), comme nous l'avons fait avec d'autres pays.
Il y a un vrai sujet aux Antilles, où nos relations maritimes avec les Anglais sont cruciales dans la lutte contre le trafic de drogue. Vous savez que la zone des îles européennes est une plaque tournante, où la drogue d'Amérique du Sud, dont le prix ne cesse de baisser, s'échange quasiment contre des quantités égales de haschich ou de cannabis maghrébins. La douane française, qui est l'une des mieux équipées au monde, intervient sur terre, sur mer et par hélicoptère contre d'impressionnants go-fast nautiques, mais elle utilise beaucoup les renseignements fournis par les Anglais. Ce flux d'informations perdurera-t-il si nous n'avons plus de liens juridiques ? Je me suis rendu récemment en Guadeloupe et en Martinique pour étudier la question.
L'agriculture est un sujet dont je ne suis pas spécialiste. Certains ports sont spécialisés dans la production agricole ou la pêche : Calais ou Dunkerque n'ont pas les mêmes problématiques que Boulogne-sur-Mer ou Dieppe, où j'ai prévu de me rendre prochainement avec le ministre de l'Agriculture. Je crois que 90 % des produits de la mer traités à Boulogne-sur-Mer viennent de Calais, et les douaniers n'ont que peu d'interventions à faire. En tous cas, le ministre de l'Agriculture a participé à toutes les réunions sur le Brexit, et mon ministère lui a accordé tous les postes qu'il a demandés dans le budget pour 2019.
Pour avoir rédigé un rapport sur la crise de la vache folle il y a quelques années, je sais que, depuis des décennies, il n'existe plus aucun réseau d'épidémiosurveillance au Royaume-Uni. C'est inquiétant, car toute nouvelle maladie peut se propager très rapidement depuis l'un de nos ports. Et cette incurie britannique nous avait coûté très cher.
Un tiers de mes déplacements sont consacrés au Brexit, et je réunis mes services tous les quinze jours sur le sujet. J'imagine que mon collègue ministre de l'Agriculture fait de même. Je me rendrai également à Ouistreham et à Roscoff - et peut-être à Saint-Malo. Et nous mettrons des terrains à la disposition du ministère de l'Agriculture. À Calais, nous créerons une brigade des douanes, et nos services devront travailler vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Le directeur général des douanes a déjà fait le travail syndical et social en ce sens.
Nous ignorons encore quel sera le coût global. En tous cas, entre 2020 et 2027, il y a un pot commun, et comme le Président de la République a annoncé une hausse de la contribution française au budget de l'Union européenne, nous sommes fondés à veiller au partage des frais. Déjà, 90 % du coût des vedettes des douanes sont financés par des fonds européens. Il n'y a pas de modification législative à prévoir sur la perception de la TVA. Avec les droits de douane, nous prévoyons une recette brute complémentaire d'environ 220 millions d'euros.
Certes, il y a une concurrence défavorable aux ports français, essentiellement parce que ce qui fait un port, c'est avant tout son hinterland. Pour le Havre, l'hinterland devrait être Paris, d'où l'idée de l'axe Seine. Pour Dunkerque, il y a le canal Seine-Nord, et des lignes ferroviaires conduiront jusqu'à Dijon et Lille. Mais Anvers, lui, bénéficie du canal Albert, construit il y a un siècle. Ainsi, Nike fait livrer toutes ses chaussures à Anvers, avant de les expédier partout en Europe. Outre l'hinterland, il y a la question de la fiscalité : la France fiscalise ses ports - comme tout le reste - plus que les autres. Le Premier ministre a commandé un rapport sur le sujet, qui sera rendu dans quelques semaines. Enfin, il faut être capable de clarifier la gestion entre port nationaux et ports décentralisés. Le président de la région Hauts-de-France réclame, par exemple, la gestion du port de Dunkerque, qui n'a sans doute pas la même envergure que celui du Havre ou celui de Marseille. L'histoire de nos voisins flamands a favorisé une gestion par région et par écosystème.
Ajoutons encore la question des normes écologiques et de sécurité. À Anvers, il n'y a aucune barrière, aucune surveillance et les entrepôts de la pétrochimie sont situés juste à côté des containers... Jamais nous ne ferions cela. Que voulons-nous ? De la sécurité, de l'efficacité économique ?
Jusqu'au jour où il y a un problème... Et il y a aussi une concurrence douanière. Les Belges ont beaucoup de douaniers, mais ne font pas toujours les mêmes contrôles que nous. Or, la protection du marché commun requiert une unification des vérifications. Sinon, la concurrence est faussée, sans parler des risques de sécurité. Sur l'Irlande et les accords de Chequers, je vais donner la parole au directeur général des douanes.
Pour faire simple, l'Irlande est une île partagée entre deux pays, entre lesquels tous souhaitent éviter de rétablir une frontière physique. Or les douanes françaises ne peuvent contrôler spécifiquement les marchandises provenant d'Irlande, car ce serait discriminatoire. Les Britanniques ont le choix entre le rétablissement de formalités au sein de l'Irlande ou l'acceptation du fait qu'une partie du territoire britannique continuera d'appliquer les règles communes - ce qui est la solution à la fois la plus naturelle et la plus difficile à admettre sur le plan politique. Pour l'heure, ils n'ont pas trouvé de solution - et, comme l'a dit M. Barnier, c'est à eux d'en proposer une.
Je partage votre sentiment qu'il existe une incrédulité généralisée des entreprises face au Brexit. Or les entreprises devront s'adapter, non seulement à l'impact du Brexit sur les volumes, mais aussi aux transformations qu'il pourra occasionner dans leur structure : nous ne sommes pas à l'abri d'un refroidissement du commerce entre la France et la Grande-Bretagne. Avez-vous, de votre côté, envisagé ses conséquences en matière fiscale ? Verrons-nous se rétablir des zones de duty free ?
Il est difficile de prévoir le comportement des consommateurs et des entreprises. Le duty free montre que le malheur des uns fait parfois le bonheur des autres. Comme les Anglais pourront détaxer leurs achats, ils consommeront sans doute davantage en France. De même, les Français bénéficieront du taux de change favorable en Grande-Bretagne. En fait, je ne crois pas en un ralentissement des échanges : depuis les années 1990, le nombre de containers sur les mers a crû de 900 %... Pour la première fois, alors que depuis des années les pays convergent vers des normes communes, un pays divergera vers d'autres normes. Et, alors qu'on imaginait la fin des frontières, nous en rétablissons ! Il est vrai que les frontières les plus importantes sont désormais numériques : on fait plus facilement passer des marchandises illicites par colis qu'en traversant la frontière avec. Mais les flux de marchandises sont en croissance constante. Et je ne vois pas la Grande-Bretagne différer sur ce point de l'Asie ou de l'Afrique, avec lesquelles nos relations sont aussi très contraintes sur le plan juridique. D'ailleurs, un grand nombre d'Anglais possèdent des maisons en France. Et je ne parle pas des mariages, ni des fonctionnaires, notamment à la Commission européenne...
Pour illustrer la détermination et le pragmatisme du Royaume-Uni, je vais vous lire un extrait d'un article intitulé Petit avant-goût des négociations sur le Brexit et publié en avril 2017. On y rappelait que M. Davis avait déclaré que « le Royaume-Uni aborde ces négociations en position de force » et que « aucun accord vaut mieux qu'un mauvais accord pour le Royaume-Uni ». Puis, le journaliste écrivait : « De façon plus crédible, [les autorités] rappellent à l'attention de ceux de ses « partenaires » qui l'auraient oublié que « le secteur des services financiers du Royaume-Uni est une plaque tournante pour l'argent, le commerce et les investissements du monde entier », que « plus de 75% des activités du marché des capitaux de l'Union européenne à 27 sont réalisés au Royaume-Uni ». Et elles les préviennent aimablement qu'en matière de business, les compromis ne seront pas faciles à négocier : « quittant l'UE, le gouvernement s'est engagé à faire du Royaume-Uni le meilleur endroit au monde pour faire des affaires » ». À bon entendeur...
Pour autant, on constate que le secteur où les Anglais perdent le plus, c'est la finance... La plupart de ceux de mes camarades qui y travaillaient sont partis. La France ne les récupère pas tous, certes. Et l'Angleterre peut réagir par une politique fiscale différente. Mais, pour l'heure, le secteur souffre. D'ailleurs, Londres a largement voté contre le Brexit.
Merci, monsieur le ministre. Dernière question, très locale : quid des relations avec Jersey ? Les flux avec la base de Granville ont été multipliés par six et atteignent désormais les 3 500 tonnes.