Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, depuis quelques années, un grand nombre de manifestations sur la voie publique sont émaillées de violences et de dégradations d’une particulière gravité, qui nuisent au libre exercice du droit de manifester.
Ces violences et ces dégradations sont le fait de groupuscules ultra-violents, notamment désignés sous le terme de Black Blocs, qui se créent et disparaissent à l’occasion de chaque manifestation. Ils ont en effet pour unique objectif de se fondre dans les cortèges pacifiques pour commettre des dégradations et des violences.
Ainsi, 1 200 Black Blocs se sont infiltrés dans les cortèges de la manifestation du 1er mai dernier à Paris et ont provoqué, par des actes d’une violence inouïe, des dégâts et dégradations d’une ampleur considérable. Je puis en témoigner, car je me trouvais alors en face de l’hôpital Necker-Enfants malades qui a été vandalisé.
Il serait erroné de dire que nous sommes complètement démunis face à ces phénomènes de violence.
Au cours des vingt dernières années, le législateur a en effet renforcé le cadre juridique du maintien de l’ordre en créant de nouveaux outils destinés à prévenir le plus en amont possible les débordements dans les manifestations publiques.
L’autorité administrative a été ainsi dotée de nouvelles prérogatives, parmi lesquelles la possibilité, lors des manifestations, de recourir à la vidéoprotection ou d’interdire le port et le transport d’objets pouvant constituer une arme ; le législateur a, de plus, renforcé l’arsenal répressif, en créant une série d’incriminations spécifiques destinées à sanctionner les faits troublant ou susceptibles de troubler l’ordre public commis à l’occasion d’une manifestation, notamment le délit de participation à un groupement violent, créé par la loi du 2 mars 2010 renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public.
La systématisation et la radicalisation des violences nous conduisent pourtant aujourd’hui à questionner l’efficacité de cet arsenal juridique.
La judiciarisation du maintien de l’ordre et la sanction des actes délictuels commis à l’occasion des manifestations se heurtent en effet, dans la pratique, à des difficultés opérationnelles majeures. Les contraintes liées au maintien de l’ordre nuisent très souvent à la qualité des procédures diligentées ou à la collecte des preuves qui permettraient d’imputer les infractions constatées aux personnes interpellées.
De plus, la présentation en masse de personnes interpellées aux autorités de police judiciaire n’est généralement pas compatible avec le cadre juridique inhérent au placement en garde à vue. Or, faute d’éléments de preuve ou de procédures solides, les parquets sont trop souvent contraints de prononcer des classements sans suite.
Les difficultés à engager des procédures judiciaires sont exacerbées lorsqu’il s’agit de Black Blocs, car ceux-ci recourent à des modes d’action spécifiques, conçus pour entraver l’intervention des pouvoirs publics.
Il est ainsi particulièrement difficile d’interpeller les Black Blocs au cours d’une manifestation, en raison de leur capacité à se mêler rapidement aux manifestants pacifiques, après avoir abandonné, voire brûlé, leurs équipements. Il n’est pas plus aisé de les identifier a posteriori, au moyendes images de vidéoprotection, car ils agissent masqués et vêtus de noir.
Sans avoir pour ambition de résoudre l’ensemble des difficultés soulevées, qui relèvent pour partie de l’organisationnel, la proposition de loi sur laquelle nous sommes appelés à nous prononcer aujourd’hui tend à apporter une première série de réponses.
Elle prévoit des mesures fortes, destinées à faciliter l’action des pouvoirs publics à l’égard de ces groupuscules ultra-violents.
Elle s’inscrit dans un mouvement déjà engagé par le législateur au cours des dernières années, qui privilégie une logique chirurgicale, afin d’écarter de la foule les individus perturbateurs ou les casseurs, tout en permettant aux cortèges pacifiques de continuer à manifester.
Je regrette d’ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, que la commission des lois n’ait pas été en mesure de recevoir l’avis de la préfecture de police de Paris – pourtant essentiel en ce qui concerne le maintien de l’ordre –, car les réponses écrites que nous attendions n’avaient pu être validées au plus haut niveau, faute de ministre !
La proposition de loi comporte trois volets, que la commission des lois a approuvés et sécurisés, afin de prévenir efficacement les atteintes à l’ordre public, dans le respect des droits et des libertés constitutionnellement garantis.
Son premier volet est préventif. Il vise à doter l’autorité administrative de nouveaux instruments destinés à prévenir, le plus en amont possible, l’infiltration des manifestations pacifiques par des individus violents.
En premier lieu, il confère au préfet la possibilité de diligenter, par arrêté, un contrôle des effets personnels des passants dans le périmètre ou aux abords immédiats d’une manifestation, lorsqu’il existe des risques de troubles graves à l’ordre public. Ces contrôles comprendraient des palpations de sécurité et des fouilles de sacs et ne pourraient s’effectuer qu’avec le consentement des personnes contrôlées. Il n’est en revanche pas prévu que des contrôles d’identité et des fouilles de véhicules puissent être réalisés.
Il s’agit, à quelques différences près, d’une extension des périmètres de protection que nous avions créés dans la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.
En deuxième lieu, la proposition de loi vise à autoriser les préfets à prononcer, à l’encontre de toute personne susceptible de représenter une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public, une interdiction de participer à une manifestation, assortie, le cas échéant, d’une obligation de pointage auprès d’un représentant de l’autorité publique.
L’interdiction de manifester n’est pas inconnue dans notre droit, mais elle n’existe, actuellement, qu’à titre de peine complémentaire, pour une durée de trois ans. Il s’agirait, ici, d’en faire une mesure administrative préventive, en limitant sa durée de validité à une seule manifestation. Une proposition similaire avait été faite, en 2015, par notre ancien collègue député Pascal Popelin, dans son rapport rédigé au nom de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale relative au maintien de l’ordre.
Enfin, de manière conséquente, la proposition de loi prévoit la création d’un fichier national recensant l’ensemble des mesures d’interdiction de manifester, qu’elles soient prononcées dans un cadre judiciaire ou dans un cadre administratif, afin d’en faciliter le suivi, notamment à l’occasion des contrôles de police.
Ces mesures confèrent à l’autorité préfectorale de larges prérogatives, mais elles ont le mérite de permettre d’écarter, dès avant la manifestation, les individus animés par la seule volonté de commettre des dégradations. Il ne s’agit en aucun cas de porter atteinte à la liberté de manifester, mais au contraire d’en garantir le libre exercice par les manifestants pacifiques, en évitant qu’ils ne soient pris en otage par une poignée d’individus désireux de se livrer à une action violente.
L’adaptation de ces mesures présenterait également l’avantage de compléter l’arsenal juridique à la disposition de l’autorité préfectorale et, ainsi, de permettre une réponse graduée en cas de menaces à l’ordre public.
Il est préférable, j’en suis convaincue, d’empêcher quelques individus de manifester plutôt que d’interdire la tenue d’une manifestation. Dans cette perspective, la commission a complété et précisé les dispositifs pour garantir qu’aucune atteinte disproportionnée ne soit portée aux droits et libertés constitutionnellement garantis.
Le deuxième volet de la proposition de loi est répressif et vise à sanctionner plus sévèrement les auteurs de violences et de dégradations dans les manifestations. Il comprend plusieurs dispositions pénales, auxquelles la commission des lois a apporté quelques modifications pour en assurer l’intelligibilité et la clarté.
Tout d’abord, il s’agit d’ériger la dissimulation volontaire du visage dans une manifestation, actuellement constitutive d’une contravention de la cinquième classe, en un délit puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
Ensuite, la proposition de loi élargit l’infraction de participation à une manifestation ou à une réunion publique en étant porteur d’une arme, afin de viser le port non seulement d’une arme, mais aussi d’une arme par destination, de fusées et d’artifices.
Enfin, plusieurs dispositions renforcent et élargissent la peine complémentaire d’interdiction de manifester.
Le troisième volet de la proposition de loi consiste en une réforme, prévue à l’article 7, du régime de la responsabilité civile applicable en cas de dommages causés dans le cadre d’une manifestation. Cet article a été entièrement réécrit par la commission des lois, qui a souhaité répondre à l’objectif visé par les auteurs de la proposition de loi – mieux responsabiliser les auteurs de dégâts –, tout en garantissant un régime juridique viable et applicable sur le plan opérationnel.
Le dispositif initial instaurait une présomption de responsabilité civile collective des personnes condamnées pénalement pour des infractions commises à l’occasion d’une manifestation, y compris pour des dommages sans lien avec la faute commise par chacune de ces personnes.
Cette disposition appelait, tout d’abord, d’importantes réserves constitutionnelles, dans la mesure où elle aurait permis de reconnaître la responsabilité d’un individu pour des dommages qu’il n’a pas causés.
Elle risquait ensuite d’affaiblir la protection des victimes. En effet, le régime actuel de responsabilité sans faute de l’État pour tous les dommages commis lors des manifestations garantit le remboursement des victimes. Créer un régime de responsabilité concurrent, qui plus est à l’encontre de personnes dont il y a tout lieu de penser qu’elles seraient insolvables, produirait des effets dont nous n’étions pas certains, d’autant que les victimes se portent rarement parties civiles.
La commission des lois s’est attachée à conserver le principe d’une responsabilité sans faute de l’État, tout en prévoyant la possibilité pour celui-ci de se retourner contre les auteurs des dommages. Ainsi, nous serons sûrs que les responsables de ces dommages sur le plan pénal participeront effectivement à l’indemnisation des victimes.