Intervention de Laurent Nunez

Réunion du 23 octobre 2018 à 14h30
Prévention des violences lors des manifestations et sanction de leurs auteurs — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Laurent Nunez :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est avec un profond sentiment de responsabilité que je prends la parole pour la première fois devant la représentation nationale, à l’occasion de l’examen de la proposition de loi visant à prévenir les violences lors des manifestations et à sanctionner leurs auteurs. Je remercie M. le sénateur Retailleau de ses félicitations.

Sentiment de responsabilité, dis-je, car le sujet abordé est particulièrement complexe, sensible. Il touche directement à la liberté de manifestation des opinions, fondée par l’article X de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui a valeur constitutionnelle : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. »

Permettez-moi tout d’abord de remercier M. le sénateur Bruno Retailleau de son initiative, ainsi que Mme le rapporteur, Catherine Troendlé. Cette initiative fait suite aux événements du 1er mai dernier, des événements inacceptables, comme ils l’ont l’un et l’autre souligné : quelques centaines de Black Blocs ultraviolents s’étaient donné rendez-vous dans le seul but d’en découdre.

La commission des lois et son président, que je remercie également, ont accru les garanties du texte initial pour minimiser les atteintes aux droits des personnes. Nous examinerons ces points avec attention dans la discussion des articles.

S’agissant du principe même de ce texte, le Gouvernement estime, comme ses auteurs, que, si nous devons protéger la liberté de manifester, rien ne justifie, à l’occasion de manifestations, les violences graves à l’encontre des forces de l’ordre, non plus que la dégradation des symboles de la République, du mobilier urbain ou des magasins ou enseignes qui seraient les symboles d’une société moderne.

Pour les prévenir, pour garantir l’exercice de la liberté de manifester en permettant à chaque citoyen, s’il le souhaite, de se rendre sans crainte sur les lieux d’une manifestation, les préfets font appel aux membres des compagnies républicaines de sécurité et aux militaires de la gendarmerie mobile, ainsi qu’à l’ensemble des effectifs de sécurité publique, de gendarmerie départementale et, pour les nombreuses manifestations qui se déroulent dans la capitale, de la préfecture de police de Paris.

À ceux qui sont engagés dans ces opérations de maintien de l’ordre au service des Français, au service de nos libertés, je souhaite rendre un hommage appuyé : ils sont mobilisés, à toute heure du jour et de la nuit, pour rétablir l’ordre républicain grâce à leur savoir-faire, leur sang-froid et leur professionnalisme.

Rappelez-vous les opérations de maintien de l’ordre menées cette année dans des conditions difficiles, dont certaines ont été mentionnées par M. Retailleau et Mme le rapporteur. Je pense à l’évacuation de la ZAD de Notre-Dames-des-Landes et à celle de la ZAD du bois Lejuc à Bure, qui a mobilisé plus de 500 gendarmes, aux opérations d’évacuation menées au sein de plusieurs facultés à Paris et dans certaines grandes agglomérations, aux nombreuses journées nationales de mobilisation et, bien sûr, aux manifestations du mois de mai évoquées il y a quelques instants et à ces images choquantes de Black Blocs encagoulés en tête de la manifestation.

Toujours en première ligne, particulièrement exposées, nos forces de sécurité risquent leur intégrité physique dans ces opérations compliquées, où certains cherchent constamment à les pousser à la faute, sous le regard permanent des médias et des réseaux sociaux. Comme vous le savez, mon expérience passée m’a conduit à diriger de nombreux services d’ordre public : je suis donc bien placé pour en témoigner. Le ministre de l’intérieur en est également parfaitement conscient.

Au reste, c’est dans ce cadre que, le 8 juin dernier, le ministre de l’intérieur s’était déplacé à Saint-Astier, où est formée notre gendarmerie mobile, pour proposer de revisiter et d’adapter notre doctrine d’emploi en matière de maintien de l’ordre, afin que force reste toujours à la loi. Il avait alors présenté plusieurs axes de travail, que nous sommes en train de décliner sur le terrain de manière opérationnelle, pour mieux prévoir, mieux préparer, mieux anticiper et mieux contrôler ces manœuvres d’ordre public – je parle évidemment de doctrine d’emploi opérationnelle.

Un autre axe de travail rejoint tout à fait la proposition de loi en discussion : renforcer les pouvoirs de l’autorité administrative et mieux articuler l’action de celle-ci avec celle de l’autorité judiciaire, pour parvenir à une réponse pénale de qualité et dissuader les fauteurs de troubles de prendre part à des cortèges pour commettre des violences.

Il est en effet de notre responsabilité de mieux anticiper les trois temps d’une manifestation – l’avant, le pendant et l’après –, pour mettre un terme au sentiment d’impuissance que certains ont pu ressentir lorsque les pouvoirs publics n’ont pas été en mesure de faire cesser les agissements de personnes venues spécialement pour en découdre, commettre des violences et casser.

L’absence de dispositif administratif spécifique d’interdiction individuelle de manifester et l’absence de poursuites pénales ou de condamnation des fauteurs de troubles suscitent légitimement une forme d’incompréhension chez nos concitoyens.

C’est pourquoi un groupe de travail spécifique, composé de juristes et d’opérationnels, a été installé par le ministère de l’intérieur et le ministère de la justice, pour convenir des moyens les plus simples et les plus efficaces de mieux détecter, interpeller, puis sanctionner les fauteurs de troubles. Ce groupe de travail, qui comprend notamment des responsables des directions générales de la police et de la gendarmerie, rendra ses conclusions le 15 janvier prochain. Ses propositions auront vocation à nourrir la présente proposition de loi lors de son cheminement ultérieur, si elle est adoptée cet après-midi par votre assemblée.

En effet, si certains dispositifs inclus dans la proposition de loi nous paraissent ne pas manquer de pertinence, nous considérons qu’un travail d’examen complémentaire et de réécriture est nécessaire pour qu’ils soient pleinement opérationnels.

Il en est ainsi de la création d’un périmètre de protection permettant le contrôle des personnes pendant les six heures précédant une manifestation, de la possibilité pour l’autorité administrative d’interdire à toute personne susceptible de se livrer à des violences de participer à une manifestation et de la création d’un fichier des interdictions de manifester. Je pense également à la transformation de la contravention de la cinquième classe de dissimulation illicite du visage à l’occasion d’une manifestation en un délit, permettant une signalisation de la personne, un placement en garde à vue et l’engagement d’une procédure rapide, ainsi qu’à l’action récursoire de l’État contre les fauteurs de troubles. Le Gouvernement considère que ces dispositifs doivent encore être affinés et précisés…

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