Il est étonnant que la proposition de loi ne vienne pas illustrer par des chiffres la nécessité de légiférer pour renforcer un arsenal répressif en vigueur très complet, comme cela a été décrit par le rapport de la commission des lois. Alors que les formes de délinquance ne sont pas plus nouvelles ni plus violentes que celles que l’on a connues par le passé, il est proposé de restreindre davantage l’exercice de nos libertés individuelles.
Cette proposition de loi, si elle part d’une intention louable, ne pouvait être adoptée en l’état, et je souhaite saluer le travail réalisé en commission par Mme la rapporteur, qui a tenté autant que possible de faire en sorte que ce texte ne sorte pas des bornes de la constitutionnalité.
Je m’interroge sur l’inflation législative que nous connaissons, pour une efficacité contestable : nombreuses sont les mesures intégrées à cette proposition de loi qui sont satisfaites par notre droit en vigueur.
Concernant le volet préventif de la proposition de loi, le contrôle des effets personnels des passants aux abords des manifestations est déjà existant. Une généralisation des contrôles, en élargissant le dispositif des périmètres de protection et de sécurité prévu pour l’état d’urgence, nous semble à la fois risquée sur le plan constitutionnel et impossible à mettre en œuvre dans la pratique, au regard du nombre de personnes qui devraient être soumises à un contrôle.
En ce qui concerne la possibilité pour le préfet de prononcer des interdictions administratives de manifester à l’encontre des individus susceptibles de représenter une menace pour l’ordre public, nous considérons que de telles interdictions doivent continuer d’intervenir dans un cadre judiciaire, plus protecteur des droits fondamentaux. En effet, il n’est pas souhaitable d’interdire de manifester des personnes qui n’ont jamais été condamnées pour des violences lors des manifestations, jugées sur leur simple comportement.
À l’instar de l’article 3, qui prévoit la création d’un fichier national des personnes interdites de manifester, nous estimons que ces articles sont difficilement applicables. S’il est aisé de filtrer les entrées dans un lieu clos comme un stade, il s’avère très compliqué de bloquer l’accès à une manifestation en plein air. Il est donc préférable de maintenir le droit en vigueur, qui permet au juge de prononcer une peine complémentaire d’interdiction de manifester.
Sur le volet répressif, l’article 4 vient ériger en délit la dissimulation volontaire du visage. Autant dire que cette disposition me paraît disproportionnée et d’une utilité limitée. Comme cela est clairement indiqué dans le rapport, la dissimulation du visage, actuellement sanctionnée par le code pénal, ne fait l’objet que d’un faible nombre de contraventions en temps normal. Lors d’une manifestation, les forces de l’ordre ont effectivement d’autres préoccupations. Encore une fois, le droit en vigueur reste plus judicieux en retenant la dissimulation du visage comme une circonstance aggravante.
Enfin, le dispositif de responsabilité civile collective prévu initialement nous paraissait dangereux, parce qu’il laissait planer le risque qu’un individu puisse être accusé arbitrairement de dommages qu’il n’a pas causés. Cette mesure était disproportionnée et allait plus loin que la loi anti-casseurs – c’est dire ! –, puisque le juge avait la possibilité de limiter la réparation à une partie des dommages et fixer la part imputable à chaque condamné en le dispensant de la solidarité.
Plus qu’un nouveau texte, il nous faut amplifier les moyens, d’une part, de la direction générale de la sécurité intérieure, la DGSI, pour lutter de manière plus concrète contre les Black Blocks et démanteler ces derniers et, d’autre part, de nos forces de l’ordre pour que celles-ci puissent, sur le terrain, exercer pleinement et efficacement leur mission de maintien de l’ordre public.
Sur ces sujets, prenons le temps de la réflexion ! Le renforcement de l’arsenal juridique au cours de ces vingt dernières années n’a pas, pour le moment, fait ses preuves. Intégrons les conclusions de la commission d’enquête pour encadrer la présence d’intervenants extérieurs au sein des manifestations, ainsi que la réflexion conjointe menée par les ministères de la justice et de l’intérieur sur l’amélioration du traitement des infractions commises lors des manifestations.
L’ensemble de ces éléments pourrait, je le pense, nous permettre d’avoir une vision plus complète du sujet afin, le cas échéant, de légiférer.
Pour conclure, je pense qu’en matière de manifestations la liberté doit rester la règle et la restriction l’exception. Vous l’aurez donc compris, la majorité des membres du groupe du RDSE ne pourra pas apporter son soutien à cette proposition de loi.