Monsieur le secrétaire d'État, j'avais l'intention de présenter mes observations sur ce projet de budget de façon traditionnelle. Mais les explications qui ont été fournies ce matin, notamment les vôtres, ainsi que celles du rapporteur spécial et des rapporteurs pour avis, me donnent l'occasion inespérée de dire ce que je pense en toute vérité.
Certes, ce projet est élaboré dans un contexte budgétaire globalement difficile. Malgré tout, il traduit incontestablement le manque de volonté du Gouvernement pour faire avancer l'outre-mer dans une nouvelle direction. En politique, il faut faire preuve de courage. C'est toujours payant.
Ce projet de budget, dont l'architecture est tout à fait nouvelle, suit des axes bien définis, élaborés à partir de deux programmes de fond.
Je n'entrerai pas dans le détail des chiffres. Vous avez magistralement démontré, monsieur le secrétaire d'État, qu'on fait dire aux chiffres ce que l'on veut.
Comme M. le rapporteur spécial l'a dit, les Français considèrent à juste titre que l'outre-mer coûte très cher à la France. Il faut avoir le courage de le dire !
Je souhaite, par ailleurs, rendre hommage à M. le président de la commission des finances, qui a fait remarquer avec raison qu'on ne fait pas évoluer un peuple avec des subventions. Il faut mener une autre politique en outre-mer, monsieur le secrétaire d'État, et vous avez aujourd'hui l'occasion de faire.
Lorsque le candidat Nicolas Sarkozy est venu en outre-mer pendant la campagne présidentielle et qu'il a prononcé des mots forts, prônant la fin de l'assistanat, des conflits sociaux et plaidant pour l'instauration du dialogue, la jeunesse qui était présente s'est levée et l'a applaudi. Sans doute cela ne vous a-t-il pas marqué, mais moi si ! Même les syndicats l'ont approuvé !
Mais il faut aussi préserver les valeurs liées au travail, au mérite et renforcer la place de la famille, qui est le ciment de la société antillaise.
De ce projet de budget, je dégage plusieurs éléments positifs. J'en évoquerai deux.
Le premier élément concerne l'idée de zone franche.
Vous avez affirmé ce matin, monsieur le secrétaire d'État, qu'il fallait soutenir le développement économique et l'emploi. La loi de programme pour l'outre-mer que vous allez présenter a pour corollaire fort la zone franche, qui est une idée géniale du Président de la République. Cela fait longtemps - j'ai retrouvé des écrits qui remontent à 1972 ! - que nous parlons de la nécessité de mettre en place, non pas une intégration, mais une complémentarité économique entre la Caraïbe française et le reste de l'archipel.
L'idée de zone franche est, certes, géniale, mais je suis tout de même triste de constater que certains Français ont la conviction profonde qu'ils peuvent penser pour nous.
J'évoquerai, à ce propos, un événement qui m'a beaucoup peinée.
Voilà près de trente années que je suis parlementaire. Cela fait un bail ! Depuis tout ce temps, personne, ici, n'a pu me reprocher d'avoir trahi mon parti. Or, après avoir transmis des rapports sur la coopération à tous les ministres de la République, après avoir écrit au Président de la République pour le mettre en garde contre l'accord de Cotonou et les accords APE, j'ai eu la tristesse de devoir m'opposer à mon groupe, après l'avoir supplié, en précisant mes motivations, de ne pas ratifier les accords APE.
Le 29 novembre dernier, les pays ACP, eux, ont refusé de signer les accords APE. J'en suis satisfaite, mais également un peu triste, car l'image de la France en a été quelque peu ternie dans les Caraïbes. Le Premier ministre de l'île de la Dominique et les responsables politiques des autres territoires de la région se sont demandé comment le Parlement français, c'est-à-dire le Sénat et l'Assemblée nationale, avait pu ratifier les accords APE alors que, dans le même temps, les pays ACP, directement concernés, avaient refusé de les signer, à cause des zones d'ombre que ces accords contiennent.
Ces zones d'ombre sont tellement nombreuses que vous êtes monté au créneau, monsieur le secrétaire d'État, pour défendre, in limine litis, l'octroi de mer. Vous y êtes d'ailleurs parvenu, mais ce n'est pas satisfaisant. En effet, les pays ACP conservent leur negative list pour douze années encore.
Quel type d'échanges la Caraïbe française peut-elle entretenir avec les pays ACP lorsque ces derniers ont la possibilité de nous matraquer commercialement grâce à leur négative list ? Or si nous n'avions pas ratifié ces accords, nous serions actuellement en position de force !
Certes, vous avez également eu satisfaction dans le dossier du sucre, monsieur le secrétaire d'État, en obtenant une clause régionale de protection pour deux fois dix ans. C'est bien. Mais nous aurions pu aller plus loin et faire profiter de notre barrière commerciale la Caraïbe, qui le demande, notamment l'île de la Dominique et Sainte-Lucie.
De la même manière que les Américains ont su mettre en place une politique d'aide à la banane dans la zone dollar, nous aurions pu impulser une politique de soutien à la Caraïbe qui entre dans le cadre des échanges avec les pays ACP.
Je suis très satisfaite que les Réunionnais siègent au sein de la commission de l'océan Indien. Ils ont ainsi obtenu que le conseil des ministres de la zone fasse admettre à Bruxelles la nécessité de prendre en compte les spécificités réunionnaises.
Mais moi, à quel moment puis-je défendre, avec mes collègues de Guadeloupe, de Martinique et de Guyane, les spécificités des Antilles-Guyane, alors que la France ne siège pas au Cariforum, instance qui regroupe tous les pays de la Caraïbe, et dont nous sommes par conséquent exclus ? Nous sommes donc obligés de donner un mandat naturel obligatoire à l'Union européenne pour négocier dans la zone Caraïbe.
Nous sommes présents dans cette zone, mais nous n'y avons pas le droit à la parole ! Je réclame depuis des années que la France réintègre le groupe de la Caraïbe, où son influence était considérable. Depuis qu'elle en est sortie, en 2000, nous ne pouvons plus nous exprimer.
Cette idée de zone franche, qui est bonne, que j'approuve, va nous placer également en position de faiblesse. En effet, quel type de zone franche appliquer dans la Caraïbe, alors que tous les pays de l'archipel sont déjà en zone franche ?
Comment pouvez-vous admettre, monsieur le secrétaire d'État, qu'à Trinidad ou à La Barbade, les produits qui représentent l'excellence de la production française soient vendus meilleur marché qu'en Guadeloupe et en Martinique ?
Lorsque nous aurons réglé ce problème et fait de la Guadeloupe un port franc et lorsque l'ensemble de la production française sera disponible à la vente chez nous, ce qui permettra d'attirer les touristes, alors nous serons forts !
Ne mésestimons pas la puissance de la France dans la zone ! De Porto Rico à la Guyane, la présence française est un facteur très important d'équilibre et de respect des institutions.
C'est la raison pour laquelle je n'ai pas approuvé entièrement le projet de zone franche et de loi de programme pour l'outre-mer, projet issu d'une plate-forme de l'excellence réunissant socioprofessionnels et parlementaires.
Nous aurions là une belle occasion de redonner de l'espoir. Comme M. Arthuis l'a très bien dit, dans une zone franche, on doit mettre en valeur le capital humain. Mais peut-on parler de zone franche tout en continuant à mener une politique qui favorise les socioprofessionnels, qui leur accorde toujours plus d'avantages par le biais de leurs organisations professionnelles ?
Lorsqu'un client achète des produits dans un supermarché, il paie tout de suite, ce qui représente du cash pour les socioprofessionnels. Ces derniers, quant à eux, remboursent à trois mois ou quatre-vingt-dix jours. Et ils réclament toujours une amélioration des fonds de roulement, des exonérations par-ci, des exonérations par-là...
J'ai vécu la loi Pons, j'ai vécu les lois Perben et Girardin, j'ai vécu la loi d'orientation pour l'outre-mer, la LOOM. J'ai vu des socioprofessionnels guadeloupéens oser envoyer des mémoires pour demander à bénéficier de tous les avantages possibles en contrepartie de l'engagement qu'ils prenaient de réduire le chômage de 27 % à 20 % dans un délai de dix ans...
Est-ce là la réponse que nous voulons donner à la jeunesse que nous avons formée ? Ce n'est pas possible ! Ce serait méconnaître la réalité locale. Je considère pour ma part, comme notre collègue de la Martinique, Claude Lise, qu'il faut travailler encore le dossier de la zone franche, car la jeunesse attend une autre réponse.
Le deuxième élément sur lequel je souhaite insister est le problème du logement social.