Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui, comme chaque année à cette époque, pour débattre de la mission « Outre Mer » dans le projet de loi de Finances pour 2008.
Ce temps fort de la vie parlementaire est aussi un moment de vérité pour un gouvernement qui se dit attentif aux difficultés rencontrées par les populations d'outre-mer. Nous allons voir, monsieur le secrétaire d'État, si le discours volontariste que vous tenez depuis votre arrivée rue Oudinot trouve une traduction concrète dans le projet de budget que vous nous soumettez.
En d'autres termes, il s'agit de vérifier si la rupture hautement proclamée là-bas, en Martinique, s'exprime ici, dans l'hexagone, en chiffres clairs - du moins s'il est vrai qu'un budget est, avant tout, l'expression d'une volonté politique.
Les crédits de la mission « Outre-mer » ne représentent qu'une très faible part - 13, 5 % exactement - de l'action de l'État en faveur de l'outre-mer, qui s'élève cette année à près de 16 milliards d'euros, soit 5, 4 % du budget de l'État. Pour certains, c'est encore trop ! Toutefois, compte tenu des retards que l'histoire nous a légués, j'estime, pour ma part, qu'il reste de la marge.
Par ailleurs, on nous a longuement expliqué que l'apparente diminution de 11, 3 % des crédits de la mission « Outre-mer » résultait de transferts vers le ministère de l'intérieur et le ministère de l'économie des finances et de l'emploi.
Permettez-moi, monsieur le secrétaire d'État, de considérer que ces variations de périmètre, qui s'accompagnent de surcroît de redéploiements de crédits entre les actions, rendent opaques et difficilement lisibles les chiffres qui nous sont présentés. De plus, je crains qu'à cause de la fongibilité de ces crédits l'outre-mer ne soit traité comme une variable d'ajustement budgétaire, que l'on peut utiliser en toute discrétion.
Enfin, l'absence de source d'informations synthétiques ne nous permet pas de disposer d'une vision claire des transferts intervenus.
Certes, quelques éléments vont dans la bonne direction. Ainsi de l'effort qui a été accompli dans le cadre de l'enveloppe prévue pour les contrats de projet État-régions et les conventions de développement : en hausse de 10 %, elle s'élève à 110 millions d'euros. Par ailleurs, l'emploi demeure la première priorité de votre budget, puisque 60 % des crédits sont consacrés à ce programme.
Toutefois, un long chemin reste à parcourir, car il existe toujours un décalage inacceptable entre nos régions et celles de l'hexagone. Même si l'on assiste, ces derniers temps, à une légère décrue du taux de chômage outre-mer, celui-ci représente encore plus du double de la moyenne nationale - 21, 1 % contre 8, 6 %, en janvier 2007 - et nos RMIstes sont quatre fois plus nombreux, en proportion, que dans l'hexagone.
Si la finalité de ce programme est de faciliter la création d'emplois et l'accès au marché du travail des Ultramarins, il me semble difficile, voire impossible, de juger de la pertinence des mesures mises en oeuvre. En effet, monsieur le secrétaire d'État, sur les cinq objectifs définis par vos services pour apprécier l'efficacité de ces politiques, un seul se trouve instruit, celui du RMA, le revenu minimal d'activité. Ses chiffres sont bons, d'ailleurs, puisque le taux d'insertion des volontaires en fin de contrat s'élève à 76, 5 % en 2006 et devrait s'établir à 75 % en 2007.
En ce qui concerne les exonérations de cotisations sociales outre-mer, leur montant prévisionnel s'élève à 1 130 millions d'euros, alors que 867 millions d'euros seulement sont prévus dans le projet de loi de finances. Ainsi, la dette envers les organismes de sécurité sociale augmenterait de 263 millions d'euros cette année, auxquels il faudrait ajouter les 993 millions d'euros accumulés en 2007, ce qui fragilise à court terme le dispositif d'exonération et fait peser un risque réel sur l'équilibre des régimes de sécurité sociale.
Monsieur le secrétaire d'État, j'espère qu'en cours d'année des ajustements seront réalisés afin de mettre un terme à ces dérives.
Dans ce contexte économique particulièrement difficile pour l'outre-mer, il me semble nécessaire, sinon indispensable, d'instituer des politiques d'accompagnement ambitieuses.
Or la réduction de 25 millions d'euros des crédits destinés aux contrats aidés et la disparition pure et simple du congé-solidarité priveront de toute perspective des milliers de nos jeunes concitoyens. Je souhaite que la loi de programme qui devrait être votée au premier semestre de l'an prochain leur ouvre de nouveaux horizons.
Le logement social constitue la deuxième priorité annoncée du Gouvernement, ce qui est une bonne nouvelle. Ses crédits passent à 200 millions d'euros, en hausse par conséquent de près de 14 %. Toutefois, l'effort demeure insuffisant eu égard aux besoins, comme Mme la ministre de l'intérieur le reconnaissait ce matin. Vraisemblablement, les 25 millions d'euros d'augmentation qui ont été consentis ne serviront qu'à éponger la dette qui, malgré tout, devrait subsister.
Les prévisions pour 2008 ne me semblent pas non plus traduire un engagement fort de l'État en faveur de la relance du logement social outre-mer. En effet, avec 236 millions d'euros en autorisations d'engagement, il sera extrêmement difficile de répondre à la fois aux exigences de la mise en application du droit au logement opposable et à l'accroissement de la demande exprimée, notamment à la Martinique, après le passage du cyclone Dean.
Monsieur le secrétaire d'État, les arbitrages budgétaires ne vous ont pas permis d'augmenter significativement la LBU, la ligne budgétaire unique. Pour contribuer à la relance du logement social, vous proposez donc de redéployer la défiscalisation dont bénéficie ce dernier. Permettez-moi de vous dire que cette solution est inopérante et qu'elle aboutirait, de l'avis de l'ensemble des spécialistes consultés, à multiplier par deux, voire par quatre, le prix de sortie des logements sociaux !
Le financement de la politique du logement social outre-mer a besoin de sécurité et de visibilité. C'est pourquoi, à mon humble avis, il convient d'oeuvrer dans deux directions.
Tout d'abord, il est nécessaire d'assurer la sanctuarisation de la LBU, afin d'éviter les gels et annulations de crédits en cours d'année. M. Borloo, alors ministre du logement, s'y était engagé. Nous attendons toujours la mise en place de cette mesure.
Ensuite, pour assurer plus de visibilité au dispositif, il faudrait ouvrir une autorisation d'engagement d'une durée de cinq ans, par exemple, et la ventiler en crédits de paiement pendant toute cette période. Il s'agirait d'un moyen efficient pour constituer une programmation pluriannuelle minimale de la LBU ; cela prouverait votre volonté de garantir une politique cohérente du logement dans les départements d'outre-mer, monsieur le secrétaire d'État.
II existe plusieurs autres freins au développement de ce secteur, il faut le reconnaître. Les trois principaux d'entre eux peuvent être identifiés.
Premièrement, le foncier est rare et coûteux ; c'est l'un des effets pervers de la défiscalisation. La solution réside avant tout dans la création, comme à la Réunion, d'un établissement public foncier bénéficiant du droit de préemption sur les terrains à construire. Cela aurait pour conséquence évidente de réduire la spéculation, donc le coût du foncier, et d'assurer le portage de terrains aux bailleurs sociaux et aux collectivités locales.
Deuxièmement, l'indivision des terrains pose problème. On pourrait prévoir la création, comme en Corse, d'un GIP regroupant, pour une période de dix ans, l'État, les professionnels et les élus, avec pour mission de réduire le nombre des terrains en indivision. Cette mesure libérerait du foncier pour la construction.
Troisièmement, le financement de la viabilisation des terrains pour la construction est insuffisant. Les communes sont rarement capables d'assumer le coût de l'assainissement des terrains et de leur équipement en VRD, ou voierie réseaux divers. II est donc nécessaire d'abonder le FRAFU, le fonds régional d'aménagement foncier urbain, et de relancer la réforme de cet organisme, afin d'en concentrer les missions sur l'aménagement du foncier.
En ce qui concerne la continuité territoriale, à laquelle nos populations sont très attachées, les crédits sont nettement insuffisants au regard des besoins.
Dans notre république égalitaire, je comprends mal, monsieur le secrétaire d'État, le traitement différencié appliqué aux DOM et à la Corse. Par exemple, 172 millions d'euros de crédit sont consacrés à la Corse au titre de la continuité territoriale et seulement 5 millions d'euros à la Martinique, soit trente-cinq fois moins. Monsieur le secrétaire d'État, il existe certainement une explication à cet état de fait, que vous vous ferez un plaisir de me donner et que j'attends avec impatience !
J'en viens à la situation des communes de l'outre-mer, notamment en Martinique, car je n'oublie pas que je suis président de l'assemblée des maires de cette région. Ces communes connaissent une situation financière très tendue, et c'est un euphémisme ! Pour les raisons que vous connaissez, monsieur le secrétaire d'État, les charges de personnels ont fortement affecté leurs capacités d'autofinancement, qui se sont littéralement effondrées.
Ces communes éprouvent aujourd'hui de grandes difficultés à financer leurs dépenses d'équipement sur la base de leurs propres ressources. C'est pourquoi des financements externes doivent être mobilisés afin de leur permettre d'investir, notamment dans les écoles primaires et maternelles, qui relèvent de leur compétence.
Aujourd'hui, le parc immobilier des établissements scolaires, souvent très vétuste, ne répond pas aux normes parasismiques qu'exige la réglementation en vigueur dans une île soumise aux aléas sismiques. Il s'agit d'un sujet d'une brûlante actualité : d'après les expertises réalisées immédiatement à la suite du tremblement de terre qui a frappé récemment la Martinique, les écoles ont particulièrement souffert, et certaines d'entre elles se trouvent aujourd'hui fermées.
Si les régions et les départements reçoivent des fonds de concours européens pour bâtir leurs complexes scolaires, les communes, elles, ne peuvent compter sur aucune aide spécifique, que celle-ci vienne de l'Europe, de l'État ou des grandes collectivités, pour réhabiliter et reconstruire leurs écoles.
Il était déjà urgent d'agir en ce domaine. Après les derniers événements, il devient impératif de mettre en place un plan pluriannuel de reconstruction et de mise aux normes de ces établissements scolaires. J'en appelle à la responsabilité du Gouvernement.
Monsieur le secrétaire d'État, j'entends répéter partout, à tout moment, le leitmotiv de la rupture - avec les pratiques antérieures, je suppose. Je m'attendais donc à un budget portant un changement radical. Or, et j'ai été très déçu de le constater, quels que soient le programme étudié et les actions analysées, il y a continuité et parfois même aggravation.
Monsieur le secrétaire d'État, je ne peux que vous enjoindre de mettre cette rupture en oeuvre. Surprenez-nous donc, sinon je crains de ne pouvoir voter ce budget !