Je vous remercie d'avoir organisé cette réunion que j'espère très interactive. Aujourd'hui, on parle beaucoup du danger des écrans, et ceci pour toutes les tranches d'âge. Même les fabricants de produits numériques commencent à nous proposer des moyens pour mieux encadrer nos consommations. Toutefois, il faut bien comprendre que les outils numériques n'ont pas le même impact chez un jeune enfant, un adolescent ou un adulte. Le problème des écrans chez un jeune enfant, notamment entre la naissance et trois ans, c'est que tout contact avec un écran risque d'écarter l'enfant d'apprentissages indispensables à cet âge. L'ensemble des travaux de psychologie expérimentale et de neurosciences montrent qu'entre zéro et trois ans, l'enfant a essentiellement besoin d'interagir de façon multimodale - en utilisant l'ensemble de ses sens et dans une relation humaine.
Entre zéro et trois ans, l'enfant doit assimiler quatre compétences indispensables pour un développement satisfaisant pour le reste de la vie. Tout d'abord, il doit apprendre à pouvoir contrôler sa motricité : bouger, utiliser des objets qui ont un poids, une consistance, une couleur, une saveur. Dès qu'un tout petit commence à interagir avec le monde, il prend les objets qu'il voit, les porte à la bouche, les flaire, les regarde, les secoue, les jette. Cela nécessite d'engager la motricité. Or, un enfant ne le fait pas lorsqu'il est devant un objet numérique. Sa relation au monde se réduit à ce qu'il voit, ce qu'il entend, et il ne touche qu'en effleurant l'objet du bout du doigt. Cela représente une motricité très amputée par rapport aux exigences de la motricité à cet âge.
A cet âge, l'enfant développe également le langage. Cela n'est possible que s'il interagit avec un humain. À une époque, certains pensaient qu'il suffisait de mettre un tout petit devant un écran qui parle pour que l'enfant développe des compétences linguistiques. On sait aujourd'hui que cela n'est pas vrai. D'ailleurs, lorsque vous interagissez avec un bébé, vous modulez la voix et votre visage. Or, la télévision ne le fait pas. On s'est aperçu que la télévision, non seulement n'apprend pas à parler, mais retarde l'apparition du langage.
Le troisième domaine dans lequel l'enfant a besoin de s'investir énormément est l'apprentissage de l'attention et de la concentration. On sait aujourd'hui que l'attention-concentration, même si le bébé vient au monde avec une prédisposition, a besoin d'être cultivée. Comment construit-il cette capacité d'attention et de concentration entre zéro et trois ans ? Il le fait en se concentrant et en étant attentif. Vous avez appris à conduire en conduisant, à nager en nageant. Un bébé apprend à se concentrer en se concentrant. Or, lorsqu'une télévision est allumée dans une pièce où se trouve un bébé, les ruptures sonores des programmes télévisées, les bruits qui lui paraissent étranges, l'empêchent de se concentrer. C'est la raison pour laquelle, dans les carnets de santé, il est maintenant spécifié que laisser un enfant de moins de trois ans dans une pièce où la télévision est allumée nuit à son développement, même s'il ne regarde pas la télévision et essaye de jouer sur un tapis. Le fait que la télévision soit allumée va le déranger dans le jeu et nuire à ses capacités d'attention et de concentration.
Enfin, les interrelations sont très importantes pour la communication humaine et la possibilité d'apprivoiser le visage d'autrui est indispensable en tant que support de relations. On en connaît aujourd'hui l'importance grâce aux travaux menés sur l'empathie. Il y a plusieurs formes d'empathie. Mais on ne peut pas développer cette dernière au sens de la curiosité de l'autre, de la capacité à se mettre à la place de l'autre, si on n'a pas une idée claire de l'état émotionnel de l'autre. Or, cela nécessite d'identifier les mimiques. Cela s'apprend, de manière préférentielle entre zéro et trois ans, lorsqu'un tout petit interagit avec un humain. Tout le temps passé par un enfant de moins de trois ans devant un écran est préjudiciable à son développement, non pas parce que les écrans seraient des produits toxiques, mais parce que le bébé est détourné d'apprentissages essentiels à cet âge. Aussi, depuis 2008, je plaide pour l'absence de télévision, et désormais de manière plus large, d'écrans avant trois ans. Bien sûr, si un parent a envie de jouer cinq minutes avec son bébé sur une tablette, c'est possible. Toutefois, cela se fait dans le cadre d'une relation. En outre, cela ne justifie pas que des objets numériques soient vendus avec l'idée laissée aux parents que le bébé pourra en faire un bon usage seul. C'est la raison pour laquelle je soutiens massivement cette proposition de loi.