Intervention de Denis Detcheverry

Réunion du 3 décembre 2007 à 15h15
Loi de finances pour 2008 — Outre-mer

Photo de Denis DetcheverryDenis Detcheverry :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je n'entrerai pas aujourd'hui dans le détail des différentes lignes de la mission qui nous est présentée, d'autant qu'il est facile de faire dire ce que l'on veut aux chiffres. Les discussions de marchands de tapis ne m'intéressent pas. Je me limiterai donc à une analyse globale des financements prévus pour l'outre-mer dans le cadre du projet de loi de finances pour 2008.

Une telle analyse est un peu difficile à effectuer, car il faut retrouver plusieurs éléments, notamment les aides directes à l'embauche des publics les plus éloignés de l'emploi, qui seront prises en charge par le ministère de l'économie, des finances et de l'emploi à compter du 1er janvier 2008.

Malgré cette petite gymnastique, on peut conclure que les aides en direction de l'outre-mer sont en légère augmentation, ce dont je ne puis que me réjouir dans le contexte actuel. Mon vote sur ce budget sera donc favorable.

Monsieur le secrétaire d'État, malgré la disparition du programme « Intégration et valorisation de l'outre-mer », dont l'intitulé était un message fort pour toutes les personnes concernées, et ce en outre-mer comme à Paris, j'ai bien noté votre volonté de développer les économies ultramarines en favorisant leur intégration dans leur environnement régional.

Quand on mesure les disparités entre les régions environnant ces territoires lointains, c'est vers la mondialisation que nous nous tournons. Mais, même si ce terme « mondialisation » peut faire peur à certains, pouvons-nous rester la tête dans le sable et subir plus tard le contrecoup de l'immobilisme ?

Monsieur le secrétaire d'État, comme vous l'avez affirmé à maintes reprises, l'outre-mer peut et doit prendre sa place partout dans le monde.

À la demande du Gouvernement, j'ai effectué au début de l'année une mission de coopération régionale destinée à évaluer les possibilités offertes à Saint-Pierre-et-Miquelon pour s'intégrer au développement économique de la région qui l'entoure et qui est en plein essor. Les résultats sont positifs et notre grand voisin canadien est ouvert à toute évolution en ce sens.

Depuis, plusieurs manifestations et rencontres ont eu lieu à Saint-Pierre-et-Miquelon ou au Canada et des projets économiques communs sont envisagés.

Malheureusement, ces projets, qui sont potentiellement très porteurs, rencontrent un certain nombre de difficultés, notamment dans leur phase d'élaboration. Nous sommes souvent confrontés à des réglementations internationales disparates et très complexes. La difficulté réside dans la situation géographique de Saint-Pierre-et-Miquelon. Notre territoire, qui peut et qui doit servir de plaque tournante vers l'Europe, se retrouve confronté à trois réglementations : française, canadienne et européenne.

Aucun organisme n'étant suffisamment étoffé et compétent sur l'archipel pour traiter ce genre de dossier, les projets restent en suspens. Nous constatons que nous manquons cruellement d'outils de travail performants et de moyens humains ou matériels. Or il est impossible de s'intégrer dans une économie internationale sans les moyens techniques adéquats.

Ironie de l'histoire, d'après les informations dont je dispose, l'accès à l'Europe semble plus facile pour des projets canadiens que pour ceux provenant de Saint-Pierre-et-Miquelon.

La loi de programme que vous proposez pour le premier trimestre 2008 est en cours de finalisation. Nous aurons là la possibilité de répondre aux demandes qui sont clairement formulées par les acteurs économiques de l'archipel. La coopération économique avec le Canada étant un élément indispensable à la réussite de nos projets, il serait opportun de mettre en place des outils tels que le bureau de la coopération régionale, ainsi que l'euro info centre. Cela permettra à Saint-Pierre-et-Miquelon de jouer pleinement son rôle de plateforme relais entre l'Amérique du Nord et l'Europe.

Nous avons donc besoin de financements en ce sens. Heureusement, pour la première fois, vous avez décidé d'octroyer 150 000 euros à Saint-Pierre-et-Miquelon à travers le fonds de coopération régionale. C'est un très bon début, et je vous en remercie.

À un niveau plus local, la mise en oeuvre du contrat État-région, qui débutera en 2008 pour se terminer en 2013, est une bouffée d'oxygène pour l'économie de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Malheureusement, ce n'est pas suffisant, car il s'agit d'un contrat non pas de développement, mais plutôt de ce que j'appellerai de dépenses, dont les retombées ne s'inscrivent pas sur le long terme et ne correspondent pas au changement de politique économique dont nous avons besoin.

Ce contrat a peut-être été préparé localement à la hâte, mais il a tout de même le mérite d'exister. Cela dit, il devra être complété, afin de tenir compte de certaines opérations indispensables qui sont délaissées. En attendant, il continuera de fournir du travail à court terme, ce qui, dans la situation actuelle, n'est pas un luxe, même si je considère qu'il faut cesser de travailler dans l'urgence, sans vision à long terme.

Mais il est des seuils de financement au-dessous desquels il ne faut pas descendre, sous peine de compromettre l'avenir et de devoir ensuite financer du chômage à long terme.

Je suis, malheureusement, bien placé pour parler de financement du chômage. Je suis en effet le maire d'une petite commune qui est passée du jour au lendemain, en 1993, du plein-emploi à un chômage saisonnier de longue durée touchant à peu près 25 % de la population, ce qui a fortement contribué à l'exil de 15 % des habitants de Miquelon ces dernières années. À ce rythme, je crains que nous n'atteignions le seuil de non-retour assez rapidement.

En outre, quand les gens travaillent, ils sont en partie sur des chantiers d'utilité publique. Inutile de vous dire que cette situation n'est pas confortable pour ces travailleurs saisonniers, non plus que pour la mairie ou pour l'État, qui doivent dépenser du temps et de l'argent pour trouver des solutions d'urgence, parfois en décalage avec les objectifs réels de développement.

Les collectivités territoriales de Saint-Pierre-et-Miquelon sont dans une situation financière très difficile. Le manque de moyens humains se fait sentir cruellement au niveau des deux mairies et du conseil territorial. Nous sommes en réalité dans une spirale infernale, car, du fait des déficits, nous n'avons pas les moyens de nous payer les compétences nécessaires pour trouver des solutions pour nous en sortir, et la situation continue de se dégrader.

C'est pourquoi je ne peux qu'approuver le travail du député de Saint-Pierre-et-Miquelon, qui a su vous faire prendre conscience de la nécessité de réévaluer les critères d'attribution de la DGF pour l'archipel. Étant donné l'urgence, monsieur le secrétaire d'État, j'aimerais que le délai de l'étude soit ramené de six mois à trois mois.

Le Gouvernement a fait preuve de prudence face à son deuxième amendement concernant l'inflation. Je peux le comprendre, mais la gravité de la situation exige que nous sortions du cadre habituel de la réflexion pour regarder la vérité en face.

C'est un fait, les chiffres de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer, l'IEDOM, organisme maîtrisant parfaitement les réalités outre-mer, le prouvent : l'inflation à Saint-Pierre-et-Miquelon est en moyenne quatre fois supérieure à celle de la métropole. Je le déplore, mais telle est la réalité économique de la plus petite collectivité d'outre-mer, l'une des plus isolées au niveau du transport de passagers et de fret, soumise très directement aux fluctuations du dollar et confrontée à des difficultés spécifiques comme celles qu'engendre un climat rude en hiver.

Pour illustrer mon propos, je citerai la prime à la cuve de fioul domestique, créée récemment en métropole et dont le montant est fixé à 150 euros pour tout l'hiver. Sachez qu'avec cette somme, à Saint-Pierre-et-Miquelon, la majeure partie des maisons ne peuvent être chauffées que pendant huit à dix jours !

C'est pourquoi je n'aurai pas de complexe à demander au Gouvernement, mercredi prochain, d'accepter un amendement sur la DGF des collectivités visant à prendre en compte l'inflation à Saint-Pierre-et-Miquelon. Au reste, si nous mettons tout en oeuvre pour faire preuve de responsabilité économique, nous réussirons à trouver des solutions pour réduire cette inflation excessive, et cet amendement n'aura finalement pas de conséquence à moyen terme.

Autre élément important, vous avez accepté, à ma demande, d'étudier la possibilité d'une liaison entre Paris et Saint-Jean de Terre-Neuve, qui se trouve à seulement quarante minutes de vol de Saint-Pierre ; je vous en remercie. Si un tel projet pouvait voir le jour dans un avenir raisonnablement proche, les passagers, les commerçants, les consommateurs et les producteurs bénéficieraient d'un service de bien meilleure qualité : je pense notamment aux produits frais, à l'entrée, comme à la sortie. Si, parallèlement, un effort était entrepris pour réduire le coût des transports, les prix des produits diminueraient, que ce soit à l'importation ou à l'exportation. Ainsi, l'inflation se résorberait de manière sensible, ce qui entraînerait à la baisse certaines aides financières de l'État.

Je pense qu'il faut maintenant « mettre le paquet » pour permettre à Saint-Pierre-et-Miquelon de sortir totalement la tête de l'eau, une bonne fois pour toutes. Il faut oser mettre à la disposition de l'archipel des moyens humains, techniques et financiers dans les domaines clefs, pour qu'il s'engage enfin sur la voie du développement durable, ce qui lui permettra de se responsabiliser et de devenir plus autonome.

Avec des collectivités locales à la situation assainie et des transports plus adaptés, nous serons mieux armés pour soutenir les acteurs économiques dans tous leurs projets. Nous parlons régulièrement du potentiel de notre archipel. Pour ma part, je suis convaincu, et je ne suis pas le seul, que ce potentiel dépasse les besoins de notre population.

Plusieurs pistes de développement existent et sont connues de tous.

La première concerne les hydrocarbures. Nous savons aujourd'hui que toute la région qui nous entoure, en l'occurrence le bassin Laurentien, regorge d'hydrocarbures. Loin de moi la pensée d'une exploitation propre à Saint-Pierre-et-Miquelon dans ce domaine : nous n'avons pas la prétention de posséder notre propre plateforme pétrolière en mer, mais nous pourrions être un très bon prestataire de services auprès des compagnies exploitant dans la région. Ce serait un juste retour de l'histoire, l'archipel ayant longtemps été une station de service sur les bancs de Terre-Neuve.

La deuxième piste possible, c'est l'installation d'une zone de moindre pression fiscale. Le statut de collectivité d'outre-mer nous confère une autonomie fiscale. Sans parler de paradis fiscal, ce statut nous offre la possibilité de proposer certains avantages fiscaux à une clientèle que nous pourrions trouver chez nos voisins canadiens et américains. Les retombées, modestes à l'échelle nationale, mais conséquentes pour une population de 6 200 personnes, réduiraient d'autant nos demandes financières à l'État.

La troisième piste est celle du plateau continental. De par notre statut nous pouvons obtenir la reconnaissance d'État côtier et la possibilité de revendiquer une zone maritime jusqu'aux limites du plateau continental. Il nous reste aujourd'hui peu de temps pour faire avancer ce dossier, ce qui, à mon sens, ne peut se faire qu'en étroite concertation avec le Canada.

La quatrième piste concerne les produits de la mer. Nous ne pêchons plus comme par le passé, mais la pêche est encore présente et permet la capture de quelques milliers de tonnes de produits divers et variés.

Heureusement, il existe des projets d'aquaculture, comme celui de la société EDC que vous connaissez bien. Maintenant que les doutes quant à la viabilité de cette opération ont été levés, grâce notamment à l'assistance technique de l'IFREMER, l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer, intervenue cette année, j'ai confiance en votre capacité de convaincre le Gouvernement de transformer l'essai, monsieur le secrétaire d'État.

En aidant jusqu'au bout ce type de projet innovant, vous permettrez à de nouvelles activités d'engendrer des retombées profitables à tous, à Saint-Pierre comme à Miquelon.

Des efforts restent à faire en matière de transformation : nos produits sont très peu valorisés et vendus à des prix trop bas. En outre, le coût et le manque de régularité des transports empêchent nos producteurs d'être compétitifs sur le marché mondial. Ne pourrions-nous pas bénéficier d'un système inspiré du programme POSEIDOM, le programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité des départements d'outre-mer ?

La cinquième piste a trait à la biodiversité de Saint-Pierre-et-Miquelon, citée à plusieurs reprises au cours du Grenelle de l'environnement.

J'évoquerai pour conclure notre développement touristique, qui intéresse beaucoup le Canada. Nous sommes un atout dans le développement touristique de la région.

Au risque de me répéter, j'affirme que ces projets ne verront le jour que si leur sont attribués, en plus des soutiens financiers, les supports techniques dont ils ont besoin. La réussite économique d'un projet débute non pas dans l'usine de production, mais bel et bien sur la planche à dessin de l'architecte. Outre les financements, ces architectes nous sont véritablement nécessaires pour concrétiser tous nos projets.

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